Il est de notoriété publique que l’envolée des prix des logements, du pétrole, des autres matières premières ou des produits alimentaires est due à des spéculateurs (probablement ou forcément infâmes) qui tirent des profits énormes de leurs activités parasites, au détriment des pauvres peuples qui voient leur pouvoir d’achat baisser quand ce n’est pas beaucoup plus grave.
L’avantage de se genre de position, c’est de pouvoir à la fois désigner des responsables (encore qu’on ne peut connaître leurs noms et les pendre en place publique avec leurs propres boyaux, quel dommage !) et demander à l’Etat de compenser le manque à gagner pour tous ceux qui sont victimes de cette spéculation.
L’inconvénient (mais cela ne gêne ni les journalistes, ni les hommes politiques), c’est que cela ne permet pas d’identifier d’autres causes sur lesquelles on pourrait (pourquoi pas ?) agir. Il est vrai qu’imaginer que les prix puissent être influencé par l’évolution de l’offre et de la demande n’est pas à la portée du premier venu. Et de plus qui dit demande dit consommateurs, et il parait peu raisonnable de s’adresser aux citoyens en leur expliquant qu’ils jouent un rôle dans le système, et pas seulement celui de victime.
Bien sûr, les spéculateurs existent. Ils peuvent déclencher des bulles spéculatives qui finissent par éclater, comme on l’a vu par exemple pour la bulle Internet. Normalement, il y a au départ des fondamentaux économiques qui sont jugés durables par des intervenants qui vont par leur intervention exagérer le mouvement de hausse spontané. Un cas à part est constitué par la hausse de l’argent à la fin des années 1970, provoquée de manière purement spéculative par des milliardaires texans, les frères Hunt : cette hausse s’acheva en 1980 par la chute des cours et la ruine des deux frères.
On peut donc s’interroger pour savoir si dans les hausses évoquées plus haut, on se trouve face à une hausse en (grande) partie spéculative ou si l’essentiel de la hausse n'est pas liée à l’action des spéculateurs.
Qu’il s’agisse de logement, des matières premières ou du pétrole, on notera d’abord deux choses : il s’agit de quantités physiques (et non d’actions, d’obligations ou de produits dérivés) et on se trouve dans des cas où la demande est peu élastique par rapport aux prix, du moins à court terme.
Si les prix des voitures sont multipliés par deux, les conducteurs vont conserver plus longtemps leur véhicule ancien et les ventes de véhicules neufs vont s’effondrer brutalement. Quand le prix des téléphones portables et des communications ont chuté, la consommation a augmenté fortement.
Il n’en est rien pour le logement, le pétrole, le blé ou le fer : l’augmentation des prix ne joue que peu et lentement sur la consommation. Certes l’effet n’est pas nul : la consommation d’essence en France ou aux USA a légèrement baissé ces deux dernières années. Mais l’impact le plus net est sur l’achat de véhicules, celui des grosses cylindrés chutant de 20 ou 30% au profit des petites voitures. Ce qui devrait diminuer à terme un peu plus la consommation d’essence.
Ce qui fait monter le pétrole, c’est avant tout une augmentation rapide de la consommation mondiale et des stocks qui baissent malgré les quelques modifications de comportement des consommateurs. Quand le prix du pétrole a atteint 25 $ le baril, on s’est demandé si c’était durable, puis on l’ a dit pour 40, puis 80 puis 100 $. Il y a quelques jours, dans le Monde, un ancien ministre algérien du pétrole aujourd’hui professeur d’économie à Grenoble estimait que le prix d’équilibre se situe à 100$ et que les pays de l’OPEP baisseraient leur production pour empêcher une baisse en dessous de 80$.
Le logement a connu une situation semblable : à partir de 1984, le nombre de logements mis en chantier passe en dessous de 350 000 par an pour atteindre le minima de 255 000 en 1993.Il faudra attendre 2004 pour passer de nouveau au dessus de 350 000. Environ 20 ans de construction insuffisante a fini par produire un manque de logements : en 2006, la part de logements vacants est au plus bas depuis la fin des années 1960. Forcément, ce manque de logements pousse les prix à la hausse. Seule la capacité de paiement des ménages limite cette hausse, mais la forte diminution des taux d’intérêts à partir du milieu des années 90, en augmentant les capacités d’emprunts des ménages, conduit à la hausse que nous avons connue. Cette même hausse provoque ensuite une vive augmentation de la production qui conduit au bout de quelques années enfin à une stabilisation voire à une baisse des prix. Du moins là où l’offre est devenue suffisante voire excessive, ce qui n’est pas le cas pour l’instant dans la région parisienne.
Pour en revenir au pétrole, la meilleure façon de lutter contre la hausse des prix est donc de faciliter l’ajustement de l’offre et la demande. En France, cela ne peut se faire qu’en limitant cette dernière. La hausse des prix a eu dans ce domaine beaucoup plus d’effet que les déclarations des ministres proposant d’utiliser son vélo ou des écologistes réclamant de lutter contre le désordre climatique.
Si l’on regarde la consommation française de produits pétroliers, on constate en effet que le total de la consommation de gazole et de carburants domestique a augmenté de 10% entre 1996 et 2002 mais est stagnante depuis : il y a un impact de la forte hausse des prix mais il est faible est lent. Il est vrai que la force de la hausse est limitée par une importante TIPP.
C’est évidemment moins vrai pour le fuel domestique. La consommation de celui-ci est divisée par deux entre 1978 et 1995 : c’est l’effet des importants efforts d’isolation de logements après les chocs pétroliers de 73 et 79 conjugués à la montée en puissance du chauffage électrique et du parc nucléaire. Mais avec un pétrole bon marché, la consommation se stabilise à la fin des années 90. Le mouvement a repris récemment avec une baisse de 7% en 2006 et de 11% en 2007 (les conditions météorologiques entraînent une certaine irrégularité).
La France peut elle réduire plus vite sa consommation de produits pétroliers ? Elle y a intérêt, aussi bien économiquement qu’écologiquement. Cela passe par des actions à long terme. Par exemple le remplacement des véhicules actuels par d’autres moins consommateurs voire totalement électrique. Ou la construction de logements dits à haute qualité énergétique. Ou un urbanisme diminuant les transports (ce qui est loin d’être facile).
Mais il est aussi possible d’agir à plus court terme. Les français vont y être incités par les prix, notamment celui du fuel : ils vont vite comprendre (s’ils ne l’ont jamais fait) qu’il vaut mieux mettre un pull que pousser le chauffage. L’Etat pourrait montrer l’exemple. Tant qu’à faire de la communication, le gouvernement ne pourrait il pas limiter ses déplacements, favoriser les conférences téléphoniques ou vidéos, limiter les températures dans ses bureaux, ou faire un diagnostic de l’isolation de ses bâtiments ? Et en parler, Je propose que l’Etat s’engage à baisser de 5% sa consommation en 2009 et que le gouvernement s’engage de son coté à baisser de 20% les déplacements de ministres en moyens de transports particuliers (mais là je rêve).
En bref : il vaut mieux s’acharner à trouver les moyens d’économiser l’énergie ou de construire des logements que de se défausser de ses responsabilités sur les spéculateurs
Les commentaires récents