La gauche américaine s’est constituée comme regroupant les minorités, juives, noires, catholiques, ouvrières ou homosexuelles contre la domination des WASP (blancs anglo-saxons et protestants). La gauche française s’est au contraire constituée comme représentante de la majorité (voire l’écrasante majorité), le peuple d’abord par opposition aux aristocrates, la classe ouvrière et ses alliés ensuite, par opposition aux patrons, le salariat de fait à une époque plus récente. Elle est par ailleurs opposée aux notions communautaristes qui sous tende les pratiques américaines.
Elle n’a pas pour autant renoncé à défendre les minorités opprimées par l’injustice, à la suite par exemple d’un Voltaire au sujet de l’affaire Calas. Mais cela n’a pas toujours été évident, quand le combat proposé semblait pour les plus idéologues détourner l’attention des priorités sociales et économiques. C’est ainsi que dans les années 70, quand les féministes revendiquaient l’égalité entre les sexes, de purs marxistes leur expliquaient que leur combat était certes légitime mais qu’il ne devait pas prendre le pas sur la lutte contre le patronat, et que d’ailleurs, dans une société sans classe, il n’y aurait plus de problèmes. En clair, pour les partisans du Gand Soir et du peuple « un », le machisme devait disparaître tout seul avec le capitalisme ! Sur la question des droits des femmes, les radicaux et leurs amis républicains de la 3ème République, étaient capables de refuser le droit de vote sous le prétexte que les femmes étaient inféodées au curé (et donc à la droite). C’est ainsi que le suffrage n’a été vraiment universel qu’à partir de 1945. Progressivement, la défense des minorités s’est traduite par deux idées complémentaires : le droit à la différence et la question de la non discrimination. Une des manifestations concrètes du droit à la différence est celle de la défense de la création, de tout ce que est art et culture face aux conservatismes de toutes sortes et de tous bords (dans ce domaine, le communisme a montré qu‘il était capable de bien des conservatismes). C’est à cette aune qu’il faut entendre le rapport récent sur les aides au cinéma, qui plaide pour réserver celles-ci aux films à petits budgets plutôt qu’aux grosses machines sélectionnées par des distributeurs oligopolistiques y compris les grandes chaînes de télévision. Un observateur libéral ou inattentif conclurait, lui, qu’on propose d’aider les films qui n’intéressent pas les spectateurs plutôt que ceux qui les intéressent. Ce débat illustre cependant la volonté à gauche de ne pas s’enfermer dans des schémas priorisant (au point d’exclure les autres) les goûts (provisoirement) majoritaires La question de l’éducation des handicapés, qui a fait l’objet d’une passe d’armes mémorable entre N Sarkozy S Royal lors de leur duel d’entre deux tours, est une illustration des difficultés d’applications de ce droit à la différence. La logique de gauche va conduire à souhaiter que les enfants handicapés soient accueillis dans les écoles avec les autres enfants : c’est à la fois une façon de les traiter le plus normalement du monde et d’habituer les autres enfants à accepter la différence. C’est la prise en compte des limites de l’exercice qui a conduit le gouvernement de droite à remettre en cause les mesures prises par le gouvernement socialiste précédent, sans pourtant abandonner les jeunes handicapés à leur sort. Jusqu’où faut il aller (notamment dans les moyens affectés) pour ne pas marginaliser ces jeunes, c’est une vraie question, sur laquelle la droite et la gauche peuvent se diviser. Le fait est cependant qu’au regard de ce qui se fait en Belgique, la France ne sait pas bien accueillir les pluri handicapés. Par ailleurs, on peut s’interroger (et certains à droite ne s’en privent pas) sur l’utilisation du droit à l’avortement à des fins qu’on pourrait qualifier d’eugéniques, qui peut paraître contradictoire avec ce droit à la différence. Cet exemple montre qu’une fois le combat principal de la reconnaissance du droit à la différence gagné, les problèmes à résoudre deviennent complexes, et l’identification d’une position de gauche difficile. Les dernières décennies ont été marquées par des évolutions importantes et des combats gagnés par la gauche pour le droit à la différence (je pense par exemple aux homosexuel(le)s) ou à l’égalité (je pense à l’égalité hommes/ femmes). Le débat sur la parité a montré toute la difficulté de l’action concrète: faut il pour promouvoir l’égalité, mettre en place un système (les quotas) qui ne se contente pas d’affirmer le droit à la différence mais qui risque d’enfermer dans cette différence. On sent bien que la règle de la parité n’est légitime que comme une méthode transitoire pour changer les pratiques mais qu’elle ne peut pas s’installer comme principe de base. La question posée par la non discrimination est un peu la même : pour lutter contre les discriminations liées à la couleur de la peau ou à l’origine, faut il comptabiliser en fonction de ces critères ce qu’on a appelé les minorités visibles, ce que justement on s’est toujours refusé à faire pour éviter la ghettoïsation et le communautarisme? Les débats acharnés (dans les cercles spécialisés surtout!) montrent que la réponse est tout sauf simple. C’est ainsi que la solution pratique mise en place par Sciences Po pour accueillir des jeunes de banlieue a été fortement contestée. Et pourtant, il est clair que le problème est réel, comme l‘ont par exemple montré les enquêtes sous forme de tests par une équipe de la Sorbonne. Mais qu’on rencontre aussi dans ce domaine la préférence française pour les débats idéologiques et théoriques, à l’opposé de la préférence anglo-saxonne pour le pragmatisme. Pour conclure, il apparaît que les avancées réelles observées depuis plusieurs décennies ne sont pas suffisantes pour qu’on puisse dire que les combats sont terminés, mais que la gestion des problèmes restant n’est plus aussi évidente qu’elle a pu l’être plutôt, au point que des clivages apparaissent au sein même de la gauche.
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