Quatrième et dernier article de la série, je vais enfin aborder la question promise: comment mesurer et reconnaître la valeur (ou le mérite) des professeurs? Soulignons tout de suite qu'il ne s'agit pas d'estimer une valeur en soi mais une réponse à un besoin (celui des jeunes à former). En particulier, le fait d'être le plus savant dans sa discipline n'est sans doute pas le seul critère de valeur. On ne peut parler de valeur des professeurs sans parler des élèves et de leurs besoins.
Qu'attend on des professeurs? Qu'ils amènent 80% d'une classe d'âge au bac? Mais est ce que cela peut avoir le même sens à Louis le Grand et au lycée de Liévin? Les cours de sciences et vie de la terre doivent ils "produire" des jeunes qui ont un bagage correct en biologie et en géologie ou des jeunes qui ont intégré la démarche expérimentale et le raisonnement scientifique? Les élèves de philosophie doivent ils connaître les grands auteurs et leurs théories ou savoir réfléchir ?
Bien sûr dans les deux cas, mon opposition est artificielle, savoir et méthode de travail sont liés. Mais la question n'est pas neutre, d'autant que le besoin des futurs employeurs n'est pas forcement le même suivant le niveau d'étude atteint.
Un membre de ma famille, cadre de l'Education nationale, dit depuis longtemps que celle ci reste organisée sur le modèle napoléonien, quand une partie seulement des jeunes étaient scolarisés et que seuls les plus doués allaient au lycée. Aujourd'hui que tout le monde va au collège et que presque tous sont censés aller au niveau du bac, les professeurs n'ont plus devant eux les jeunes intéressés par et doués pour leur matière, mais tout le monde. La conséquence est que les jeunes ont besoin face à eux de professeurs capables de susciter une envie et un intérêt qui n'existent pas au départ; sans compter la nécessité de savoir imposer une discipline qui est de moins en moins évidente pour les jeunes, en particulier au collège. Et je ne suis même pas sûr que le problème disparaisse pendant les premières années d'études supérieures!
Une qualité majeure d'un enseignant est donc la pédagogie. C'est à dire, non seulement la capacité à rendre clair et compréhensible ce dont on parle, mais aussi la capacité à impliquer les élèves, à faire qu'ils se mettent dans le sujet au lieu d'en rester extérieur. Plus facile à dire qu'à faire. J'ai connu des professeurs qui étaient très clairs, beaucoup moins qui avaient la capacité d'intéresser les élèves, de leur donner envie (je sens que je vais me faire des copains!).
Je suis de plus en plus convaincu que nous avons besoin que les professeurs sachent travailler en équipe. C'est loin d'être évident car, comme je l'ai écrit dans l'article précédent, l'autonomie est sans doute le principal facteur de motivation des professeurs, la principale contrepartie aux contraintes quotidiennes. Le cadre dont je parlais plus haut avait trouvé dans le livre de François Dupuy, la fatigue des élites, la raison qui faisait que les professeurs ne voulaient pas travailler en équipe: c'est une lourde contrainte supplémentaire s'il n'y a pas de gain en contrepartie (par exemple le fait de faire bloc dans un établissement difficile).
Comment peut on évaluer ces valeurs, ces compétences dont on vient de parler? Assez classiquement, il y a deux moyens (assez complémentaires): par l'observation des comportements et par les résultats.
Par l'observation, c'est ce qu'est censé faire un inspecteur. Il me semble que l'intérêt d'une telle démarche n'est pas tant la note qu'on peut en tirer que la discussion qu'on peut en tirer, les conseils que peut donner l'inspecteur, à partir de ce qu'il a vu.
Par les résultats de toutes natures, les responsables d'établissement peuvent le savoir, s'ils s'occupent réellement de leur établissement et pas seulement sous l'angle administratif.
Un mot pour finir sur la récompense du mérite. Je suis assez opposé à la rémunération individuelle à la performance dans les entreprises parce que cela pousse à protéger son territoire et à la non coopération, au moment où les processus sont de plus en plus collectifs. Je préfère, quand cela est possible, la rémunération collective sur les résultats.
On peut très bien imaginer de récompenser les membres de l'équipe éducative en fonction des résultats obtenus (et il n'est pas difficile de tenir compte de la situation pour ne pas attendre les mêmes résultats à Louis le Grand et à Liévin). En pratique, cela signifie que je considère que les variables doivent être collectifs et liés à la performance mais que les augmentations peuvent être individuelles et liées à la compétence mise en œuvre.
La priorité dans la gestion des ressources humaines, et c'est évidemment vrai aussi pour la gestion des professeurs, c'est de détecter les plus mauvais et les meilleurs. Les plus mauvais pour essayer de corriger le tir avant qu'il ne soit trop tard, et les meilleurs pour les faire évoluer vers d'autres fonctions ou leurs confier des responsabilités particulières (par exemple définir un sujet d'examen).
Restent les 80 à 90% d'autres qu'il faut encourager quand ils réussissent et aider quand ils ont des difficultés. Parmi ces 80 à 90 %, il n'est pas nécessaire de faire de fortes différences salariales. Si on savait mesurer précisément la valeur des professeurs, on aurait probablement une courbe de gauss, avec beaucoup de monde autour de la moyenne. Ce sont les grands écarts par rapport à cette moyenne qu'il faut "sanctionner", positivement ou négativement.
Pour ceux qui sont au cœur de la courbe, il y a plein de moyens de reconnaissance qui ne sont pas des augmentations de salaire! Ce qui est important me semble-t-il, c'est de marquer les progrès des premières années, parce que c'est là qu'il y a une réelle progression, et que c'est le moment où l'on peut orienter cette progression, suivant ce qu'on encourage, que l'on valorise, que l'on met en évidence et en valeur. Cela s'appelle du management, mais j'ai cru comprendre que c'était une pratique peu répandue dans le secteur public!
J’ai écrit cet article depuis longtemps et lu depuis les articles d’Etienne Wasmer et de Gizmo. Le sujet est différent puisqu’il s’agit d’évaluer les chercheurs. Etienne raisonne à la louche comme moi pour évaluer les bons et les nuls, mais ses chiffres sont différents : tout simplement parce que les sujets ne sont pas les mêmes. La science avance peut être grâce à une toute petite minorité vraiment bonne alors que l’Education Nationale a besoin que la plupart des profs soient assez bons.
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