En 2005, le « non » à la
constitution européenne l’emporte largement, avec près de 55% des suffrages. 2
ans après, les 8 candidats à la présidentielle qui avaient appelé à voté
« non » ne recueillent ensemble qu’un peu moins de 23 % des
suffrages. Signe que les opinions des électeurs varient au fil des
événements ? En 2006, la première vague de sondage du Cevipof montrait que
37% des français se déclaraient ni à gauche ni à droite (15 autres % se
situaient au centre) . Les français sont ils capables de
définir ce qu’est être de droite ou de gauche ou sont ils d’un bord par
tradition ou par habitude, voire par norme sociale ?
Le même sondage du CEVIPOF estimait
à 60% le nombre de Français qui ne faisait confiance ni à la droite ni à la
gauche pour gouverner. Ce score de défiance reflète simplement le constat que
les différents gouvernements qui se sont succédés depuis 20 ou 30 ans ont déçu,
incapables de résoudre les problèmes du pays et de tenir leurs promesses. Un an
après ce sondage, les élections présidentielles ont montré que les électeurs reprenaient espoir. La raison en
était peut être la personnalité et le discours de candidats nouveaux,
certainement aussi une embellie économique qui s’est malheureusement révélée
provisoire : après avoir atteint des sommets, la côte de popularité de
Nicolas Sarkozy est aujourd’hui au plus bas.
Il
y a bien sûr un lien entre cette méfiance et le refus de se positionner sur
l’axe gauche / droite, mais celui-ci est d’une autre nature, et renvoie à des
évolutions profondes.
Bien
sûr, l’histoire politique dans notre pays depuis plus de 200 ans comporte des
périodes où l’image droite gauche est brouillée. Cela a commencé avec Napoléon
Bonaparte, fils de la république qui réprime une tentative royaliste mais qui
ensuite instaure un régime impérial. Cela recommence avec son neveu, un demi
siècle plus tard : Louis Napoléon instaure un régime illibéral, du point
de vue des libertés dites bourgeoises, il fraie avec les milieux d’affaires et
s’appuie sur les conservateurs. Mais c’est le même qui favorise l’installation
des syndicats en France. Plus tard, l’aventure du général Boulanger n’est qu’un feu de paille.
Notre pays connaît une nouvelle
alerte entre les deux guerres avec la naissance du fascisme et du nazisme qui
bousculent les repères, l’exemple du passage d’un Jacques Doriot du parti
communiste à la fondation du PPF en étant un phénomène éclatant.
La gauche connaît aussi la division
avec la fondation de la IIIème Internationale. L’expérience communiste prolonge
une des traditions de la gauche, celle qui se veut révolutionnaire, que l’on a déjà
connu du temps de Robespierre et de la Terreur. Il n’empêche, elle remet en
cause des éléments de la démocratie, dont l’acquisition est considérée comme
une victoire des forces de progrès, en déclarant qu’il s’agit de valeurs
bourgeoises qui aliènent la classe ouvrière. Lors du congrès de Tours en 1920,
la minorité du parti socialiste qui rejette les conditions léninistes décide de
grader la vieille maison. L’avenir
montrera à quel point elle a eu raison. Les pays sous joug communiste
souffriront des conséquences de la dictature et contrairement à ce qu’espéraient
les marxistes, leurs résultats économiques et sociaux seront très décevants.
A partir du milieu des années 70,
alors que le modèle taylorien et keynésien est remis en cause dans la douleur,
le clivage droite gauche se brouille et le paysage politique se complexifie. Ce
sont d’abord les écologistes qui font irruption sur la scène politique,
refusant au début avec Waechter le positionnement droite / gauche avant que les
Verts ne décident de s’allier avec la gauche. C’est ensuite le Front National
et Jean Marie le Pen qui prennent une importance durable dans le système. Bien
sûr, ils se situent à l’extrême droite mais un tiers de leurs électeurs votent
à gauche au deuxième tour et ils s’implantent en milieu ouvrier sur les ruines
du parti communiste.
La rupture avec la capitalisme
promise par la gauche avant d’arriver au pouvoir fait long feu: on passe des
nationalisations au ni-ni (ni nationalisation, ni privatisation) de Mitterrand
puis à l’acceptation des privatisations faites par la droite avant que la
gauche se mette elle-même à privatiser. Ce renoncement n’est pas conceptualisé
et rajoute à la confusion.
La composition sociologique de la
gauche l’amène à favoriser les insiders pour préserver leurs avantages acquis
et à reléguer les outsiders dans les mécanismes d’assistances de toutes sortes,
des TUC aux emplois jeunes (en attendant les emplois tremplins ou les contrats
premières chances), des pré retraites au RMI.
La montée du salariat et des
effectifs ouvriers (au dépens des paysans) pendant les trente glorieuses était
à priori favorable à la gauche. A partir d’Épinay, le parti socialiste s’ouvre
largement à de nouvelles catégories sociales en plein explosion: les employés
mais aussi les cadres ou les hauts fonctionnaires, les professions médicales ou
même les patrons de petites entreprises; Il faut dire que le nombre d’ouvriers
se met à baisser avec les grandes restructurations. La part du salariat se met
aussi à diminuer. La chute du communiste laisse les ouvriers orphelins. Le
parti socialiste étant devenu un parti de classe moyenne, certains se tournent
vers le Front National (Le Pen est en tête chez les ouvriers en 2002) ou
aujourd’hui vers Nicolas Sarkozy.
Le formidable développement de
l’enseignement secondaire puis universitaire brouille aussi la donne. Au début
des années 60, près des deux tiers des jeunes sortent encore de l’Éducation
Nationale sans qualification. Ils ne sont plus que 13% (ou 20% suivant les
critères) aujourd’hui et cela parait encore trop! Du coup, les classes
intermédiaires voient leur niveau de vie baisser à niveau de diplôme égal. En
2007, les moins qualifiés et les plus bas revenus donnent la priorité à Nicolas
Sarkozy.
Le référendum de 2005 a révélé une
fracture qui ne passe plus entre la gauche et la droite, mais au sein de chacun
de ces camps. Le vote sur Maastricht avait déjà montré les mêmes fractures,
sans doute de manière moins forte. La tentative de JP Chevènement de
capitaliser sur ces fractures a ensuite fait long feu. En 2007 la gauche du non
a également été incapable de transformer l’essai, P De Villiers à droite
échouant très largement de son coté. Alors que ces lignes de fracture pouvaient
paraître aux observateurs (moi le premier) comme beaucoup plus profondes que
celles qui séparent l’UMP et le PS, les citoyens semblent capables de les franchir
de temps à autres pour exprimer leur mécontentement.
René Rémond expliquait qu’il y avait
3 droites. Il y a certainement deux gauches, celles qui se sont séparées au
Congrès de Tours. On verra qu’elles se rejoignent sur certaines valeurs, pas
sur toutes.
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