Dans sa volonté d’augmenter à 41 ans la durée de
cotisations pour la retraite, le gouvernement se heurte à une réalité
incontournable: beaucoup de seniors se retrouvent sans travail avant d’avoir
atteint les 40 années de cotisations. Il parait donc logique de permettre à
chacun d’effectivement travailler pendant 40 ans avant de demander de prolonger
jusqu’à 41 ans!
Le nombre de plus de 60 ans augmente nettement plus vite
que la population française et va continuer à le faire pendant au moins 25 ans.
Le problème que cela pose pour la financement des retraites ne peut être résolu
que par une augmentation des cotisations, une baisse des pensions ou un
allongement de la durée de cotisations, ou un mixte de ces 3 mesures. L’augmentation
des durées de cotisations apparaît à la fois comme la mesure la plus efficace
(on agit en même temps sur les dépenses et les recettes) et la seule qui ne
diminue pas le pouvoir d’achat d’une catégorie. Reste non seulement à la décider
mais encore à la mettre en œuvre!
Le rapport sur l’emploi à l’horizon 2015 a été l’occasion
d’examiner l’évolution de l’âge de fin de carrière (qui peut se situer au
moment du départ en retraite mais aussi bien avant). Le constat est décevant
pour ceux qui plaident pour une augmentation de la durée de cotisations: malgré
l’allongement progressif de 37.5 ans à 40 ans de la durée de cotisation en 1993
avec Balladur pour le privé puis en 2003 avec Fillon pour le public, l’âge de
fin de carrière se situe en 2005 au même niveau qu’en 1993, c’est-à-dire autour
de 58.5 ans. Les variations de cet âge autour de la moyenne sont plus dues à la
conjoncture économique qu’aux efforts et à la volonté du législateur.
Et pourtant, le taux de chômage des plus de 50 ans est
relativement faible: environ 7%, soit moins que celui de la moyenne des actifs,
et surtout beaucoup moins que celui des jeunes: 500 000 jeunes de moins de 25 ans sont au chômage contre environ 350 000 plus de 50 ans.. Par contre, la durée de chômage
des seniors est élevée. Cela signifie simplement que les seniors perdent beaucoup
plus difficilement leur travail que les jeunes (il faut dire qu’ils sont
beaucoup plus souvent en CDI), mais qu’ensuite ils ont le plus grand mal à en
retrouver.
Mais il y a une autre réalité masquée par les
statistiques officielles et qui explique les auteurs du rapport sur l’emploi à
l’horizon 2015 aient développé la notion d’âge de fin de carrière: l’existence
de seniors sans emploi mais dispensés de recherche de celui-ci parce qu’ils ont
au moins 57.5 ans, et bien qu’ils ne puissent faire valoir leurs droits à la
retraite. Leur nombre dépasse aujourd’hui les 400 000. Dit autrement, c’est
plus de 20% des classes d’âge entre 57.5 et 60 ans qui se retrouve ni au
travail ni en retraite ni officiellement comptabilisés comme chômeurs (puisque
dispensés de recherche)!
Réfléchir au taux d’activité des seniors, c’est assez
logiquement se poser deux questions: pourquoi les seniors perdent ils leur
emploi et pourquoi n’en retrouvent ils pas?
Alors que les jeunes perdent généralement leur emploi par
fin de période d’intérim ou de CDD, les seniors le perde par licenciement, que
celui-ci soit collectif ou individuel. Mais contrairement aux premiers, ils ont
le plus grand mal à en retrouver un autre.
Pourtant, le nombre de licenciements (cf page 5) économiques (entre 13 et 15 000 par mois) est beaucoup plus faible que celui des fins de missions (plus de 90 000 par mois). Les licenciements pour faute se situent entre les deux à environ 50 000 par mois. On sait que certains sont des licenciements arrangés, qui seront remplacés demain par la rupture conventionnelle. Toucheraient
ils en priorités les seniors? La réponse est oui. Et il faut ajouter que c’est
dans de nombreux cas avec l’assentiment des seniors concernés!
Il faut pour comprendre, revenir sur la question des
plans sociaux, qui sont appelés depuis la loi de modernisation sociale de 2001
du joli nom de « plan de sauvegarde de l’emploi »(!). Le législateur
a depuis longtemps focalisé toute son attention sur ce qui représente environ
4% des pertes d’emploi et y a concentré tous ses a priori sur l’emploi. Il a
ainsi cherché à éviter les licenciements par les pré retraites ou la réduction
du temps de travail. La loi du 18 janvier 2005 a fait aussi obligation aux
entreprises de plus de 300 salariés d’anticiper les évolutions de l’emploi avec
l’obligation de négociation triennale de la GPEC. Et les difficultés à mener à terme un plan social ont conduit
les entreprises a privilégier aujourd’hui, sauf en cas de fermeture totale d’un
site, les plans de volontariat.
Concrètement, pour réduire les effectifs, il est proposé à
tous ceux qui ont un projet, de partir avec un pécule, celui-ci pouvant être d’autant
plus élevé que le salarié volontaire pour partir est ancien. Des salariés qui
ont un projet de création d’entreprise, qui ont trouvé (ou ont l’intention de
trouver) un autre travail ailleurs ou même qui veulent se reconvertir par une
formation longue constituent un groupe, qui peut être important, de
volontaires. Pour éviter les catastrophes, un comité de suivi avec les
partenaires sociaux est généralement chargé d’évaluer le sérieux des projets.
On peut dire les choses autrement: 25 ans après les 50
000 F offerts par la sidérurgie à tout
volontaire pour quitter l’entreprise, mesure qui avait scandalisé à l’époque,
notre beau pays a réinventé et généralisé la méthode du chèque valise!
Ce genre de plan de volontariat révèle les profondes différences
entre salariés sur le marché du travail, différences que le législateur n’est
pas à même de prendre en compte. Certains salariés voient arriver avec terreur
les perspectives de réduction d’effectifs, persuadés qu’ils auront le plus
grand mal à retrouver un travail, au même salaire en particulier. D’autres au
contraire, attendent avec impatience le plan qui leur permettra de partir avec
la grosse somme en étant quasi assurés de trouver ailleurs avec des conditions
parfois meilleures.
Mais me direz vous, quel rapport avec les seniors et leur
fin de carrière?
Et bien, c’est simple, il y a des départs pour « raisons
personnelles ». Parce que certains veulent faire un break, prendre un congé
parental ou faire une formation longue. Mais surtout parce que les seniors de l’entreprise
préfèrent partir, en sachant qu’ils seront tout de suite ou au bout de quelques
mois dispensés de recherche d’emploi. Et qu’entre le pécule de départ (assez élevé
puisqu’il tient compte de l’ancienneté) et les indemnités de chômage (prévues
pendant un temps d’autant plus long qu’ils sont seniors) ils pourront attendre
tranquillement de pouvoir faire valoir leur droit à la retraite. Autrement dit,
ils se font payer leur pré retraite en partie par l’Assedic.
On peut considérer que 30% en moyenne des licenciements
volontaires dans le cadre des PSE se font pour ce genre de « projet
personnel ».
Mais bien sûr, les PSE ne suffisent pas à fournir les
plus de 400 000 dispensés de recherche d’emploi.
Il y a aussi les licenciements individuels, les transactions et les
licenciements pour inaptitudes. Et demain il y aura aussi les ruptures
conventionnelles. On comprend sans doute ici pourquoi je disais que ces
ruptures se traduiraient par des pré retraites déguisés, alors que d’autres en
doutaient.
Il faut ici rappeler que tous les seniors qui se
retrouvent sans emploi ne sont pas des volontaires pour cette situation, qui
constitue un drame pour certains. Mais j’ai tendance à penser que ces derniers
constituent une minorité (cela peut faire des centaines de milliers de
personnes malgré tout!), sauf peut être parmi les cadres, qui sont plus
facilement victimes de licenciements individuels et à qui il manque d‘autant
plus de trimestre de cotisations qu‘ils ont commencé tard leur vie
professionnelle.
A noter que les commissions de suivi ferment évidemment
les yeux sur le caractère exact de ces « solutions personnelles ». Employeurs,
salariés, représentants du personnel sont en fait au niveau local complices de
pratiques qui arrangent bien leurs intérêts particuliers mais qui vont contre l’intérêt
général, d’abord en ponctionnant les caisses de l’Unedic.
L’augmentation de l’âge moyen de fin de carrière n’est
donc pas acquis. D’où l’idée du gouvernement de retarder l’âge de dispense de
recherche de travail. En espérant diminuer les licenciements pour « projet
personnel » mais en prenant le risque d’avoir des seniors en fin de droit
sans perspective d’embauche.
Ce sera la suite: pourquoi les entreprises n’embauchent elles pas de seniors?
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