Quel positionnement adopter quand on (re)négocie les classifications des emplois? Quelques exemples à partir de mon expérience de ces derniers mois, l’un dans une branche et les deux autres dans une entreprise.
Pour des raisons de confidentialité, je ne peux expliquer les raisons qui poussent la branche avec laquelle je travaille à négocier ni préciser de quel métier il s’agit. Mais je peux dire quelques mots de la manière dont les employeurs préparent la négociation avec les organisations syndicales, puisque j’assiste aux réunions de préparation.
La logique du collège employeurs est d’aboutir à un accord. La demande des organisations syndicales est bien sûr d’obtenir le maximum d’avantages, mais aussi d’avoir un accord assez contraignant, en faveur des entreprises du secteur où elles sont faibles. A priori, il y a plutôt intérêt au niveau de la branche à ce qu’il y ait une assez bonne harmonie entre conditions d’emplois.
Mais ce n’est pas forcément le point de vue des employeurs membres de la délégation de négociation. Il se trouve que les présents ont des salaires plutôt au dessus de la moyenne de la profession : ils ne devraient donc pas être gênés par des progrès de rémunération. Ils sont pourtant très réticents. Peut être parce qu’ils ont intérêt à continuer à être ceux qui payent le mieux, pour attirer les meilleurs dans chaque emploi (quelques uns de ces emplois sont de plus sur des métiers en tension). Mais surtout parce qu’ils veulent avoir les mains libres, y compris pour pouvoir afficher une image de « patron social ». Au final, une partie des patrons qui s’affichent « sociaux » recherchent ici un résultat minimaliste pour garder cette image chez eux !
La première entreprise que j’accompagne est confrontée à une évolution de sa stratégie et de son organisation qui l’amène à changer le contenu de ses principaux emplois. Pendant les trente glorieuses, ces évolutions allaient dans le sens de la complexité et se traduisaient par des progrès de classification. Dans ce cas on est plus dans un changement de ce qui est important dans l’emploi, ce qui en fait la noblesse. S’il y a « du grain à moudre » comme aurait dit André Bergeron, le fait d’afficher que les critères de « noblesse » ont changé n’est pas le plus facile.
Le moment du changement est alors important : comment se situe t’il par rapport à l’évolution de l’organisation ? Ici, celle-ci se met progressivement en place. Elle a déjà touché un bon tiers de l’entreprise et cela devrait encore durer plusieurs années pour que tout ait changé. La direction a intérêt à faire évoluer les classifications pour pouvoir inciter ses salariés à progresser dans les compétences utiles demain et à accepter ce changement. Mais le consensus social pour reconnaître la valeur des nouvelles compétences est seulement en cours de construction. Et les organisations syndicales, parce que ce sont les salariés les plus âgés qui sont syndiqués, risquent d’être plutôt du coté du conservatisme.
Le même problème existant au niveau des branches, on comprend que les systèmes collectifs entérinent généralement des changements antérieurs plutôt que de les accompagner, voire de les anticiper !
On retrouve ce problème de façon plus aigu dans la deuxième entreprise où j’interviens. La direction veut modifier le système d’évolution de carrière en faveur des plus jeunes et au détriment des plus âgés : en clair, il s’agirait de réduire la prise en compte de l’ancienneté et par contre de faire évoluer plus vite les salaires dans les premières années. Cette position de l’employeur s’explique par une prise en compte forte de l’ancienneté actuellement et par des difficultés de fidéliser les jeunes.
Les négociateurs syndicaux ne sont pas directement concernés par ces évolutions. Il s’agit de salariés de plus de 55 ans qui sont déjà en bout de carrière. Mais les propositions de la direction sont en dehors de leur schéma culturel. Une solution serait d’inciter les jeunes à investir les syndicats pour défendre leurs intérêts mais ce n’est pas ce qui est en train de se passer. Il est probable qu’on n’arrivera pas à un accord et que la direction prendra des décisions unilatérales (elle a dénoncé le précédent accord d’entreprise).
De ces trois exemples, il ressort que les intérêts des protagonistes ne sont pas si homogènes que cela : à l’intérieur de chaque camp, il y a des divisions liées à des logiques d’intérêt différentes. Le risque est bien sûr que ce soit l’immobilisme qui l’emporte, dans une période où les marges de manœuvre financières ne sont plus celles des trente glorieuses. A l’époque, il était possible que les moins favorisés voient leur rémunération augmenter malgré tout. Aujourd’hui, le risque est qu’il y ait des perdants (il y a toujours des gagnants mais cela font moins de bruit en général !)
C’est d’ailleurs en partie cette incapacité à adapter les systèmes aux réalités économiques qui a conduit depuis 30 ans la société française à faire porter le poids du changement aux nouveaux arrivants sur le marché du travail ce qui explique que les salariés les mieux payés soient les plus âgés
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