Aymeric, rencontré à la République des blogs, attendait que je continue à écrire sur le droit du travail. Pour l’instant j’ai fait le tour de ce que j’avais pensé écrire. Il faudra que je revienne sur la question de la représentativité syndicale. A défaut, évoquons un sujet que, par hasard, j’aborde régulièrement ces derniers temps, celui des classifications
De quoi s’agit il ? De systèmes qui permettent de classer, en fait de hiérarchiser les emplois, pour définir une hiérarchie des rémunérations (au moins du salaire de base). On va ainsi dire que la hiérarchie démarre par le manœuvre pour aller jusqu’au dirigeant, en passant par les ouvriers, la maîtrise et les techniciens, les cadres et les cadres supérieurs. Et on va établir une correspondance entre cette hiérarchie des emplois et la hiérarchie des salaires, par exemple par l’intermédiaire d’indices ou de coefficients.
La classification des emplois au sein d’une branche va conduire à un salaire minimum pour chaque catégorie que chaque entreprise de la branche devra respecter.
Une (la ?) première trace de l’idée de minimum est bien sûr celui établi pour les canuts en 1831, sous l’égide du préfet de Lyon. Le refus d’une partie des patrons d’appliquer les tarifs mènera à la célèbre révolte. Mais formellement, les canuts sont sous traitants des fabricants et non salariés.
Des systèmes vont progressivement se mettrent en place par endroit, parfois encouragés par les pouvoirs publics mais c’est en 1947 qu’une véritable dynamique est lancée avec les décrets Parodi qui se traduisent par une hiérarchie des emplois dans de très nombreuses branches.
Ces classements se font sans critères affichés : en fait ils reprennent, en en faisant des repères partagés, les pratiques les plus courantes. On observe ici une des caractéristiques majeures des classifications : c’est le fruit d’un consensus social. On peut noter que ce consensus n’est pas forcément rationnel, tel que pourrait le concevoir un scientifique mais qu’il est marqué par la culture dominante. Dans un domaine proche, celui de l’indemnisation des contraintes horaires, on voit que la contrainte physique du travail de nuit est plutôt moins bien valorisée que la contrainte sociale du travail du dimanche (encore que ce soit extrêmement variable selon les professions).
Des indices accompagnent chaque emploi (par exemple, manœuvre indice 100, ouvrier spécialisé 110, ouvrier qualifié 120, ouvrier professionnel 130, ouvrier hautement qualifié 150 etc.). Ils peuvent servir dans certains cas de coefficient, les salaires évoluant avec le prix d’un « point » de branche.
Si l’échelle au sein d’une filière (production, maintenance, administratif…) est assez naturelle, toute la difficulté (mais aussi l’apport) du système est de faire des comparaisons entre filière.
Avec le temps, les grilles deviennent de plus en plus difficiles à maintenir avec l’arrivée de nouveaux emplois (qu’on songe à l’intégration dans une grille d’une fonction de webmaster…) mais aussi de nouveaux métiers et types d’entreprises.
C’est la métallurgie (l’UIMM…) qui va amorcer le tournant avec la signature en 1975 d’un accord basé sur les critères classants. Au lieu de hiérarchiser les emplois au niveau de la branche, on les hiérarchises au niveau de l’entreprise à partir de quelques critères (responsabilité, autonomie, technicité ou complexité, connaissances etc.) qui serviront à « peser » l’importance d’un emploi. Ce système permet d’une part une adaptation plus facile aux évolutions constatées dans telle ou telle entreprise, d’autre part de prendre en compte la variété des contenus d’emplois aux intitulés identiques en fonction des organisations du travail de chaque entreprise.
Beaucoup d’autres branches suivent, à commencer par la Chimie.
Cela n’empêche pas certaines grandes entreprises d’adopter leur propre système, en respectant bien sûr la hiérarchie des accords : l’accord d’entreprise ne peut qu’être plus favorable aux salariés.
Un autre phénomène se produit dans les années 70 : le SMIC commence à rattraper les minima de branche, en commençant par celles qui payent le moins bien, celles qui demandent le moins de technique, de capital et d’organisation, comme l’habillement par exemple. La revendication d’une réduction des inégalités, conjuguée à cette hausse du SMIC, conduit aussi à la remise en cause des coefficients, qui produisait un maintien des échelles de rémunérations. Avec le temps, on voit des classifications de branche dont plusieurs des premiers niveaux se situent en dessous du SMIC. Ce problème s’accentuera avec le temps, malgré des incitations gouvernementales à renégocier les minima pour tenir compte de l’évolution du SMIC.
Pourtant le nouveau système ne prend pas en compte la révolution organisationnelle qui s’annonce, dans l’industrie pour commencer, et qu’on appellera pour simplifier le post toyotisme. Avec les nouvelles organisations, faut il continuer à classer les emplois ou faut il passer à une classification des personnes ?
Dans les années 80, Nicole Mandon développe au CEREQ les concepts de variabilité ( d’un endroit à l’autre de l’organisation mais aussi dans le temps) et d’élasticité (le fait que le contenu de l’emploi peut être modifié par son titulaire, notamment en fonction de ce qu’il sait faire).
L’organisation collective de certaines équipes autonomes révolutionne les organisations et le contenu des emplois : dans le système précèdent, s’il y avait un premier et un second fondeur, le second ne pouvait accéder à l’emploi de premier fondeur (et à la classification qui va avec) qu’avec le départ du précédent : c’est l’organisation du travail seule qui définit les emplois. Avec les nouvelles organisations, tout change : avoir deux ouvriers ayant la compétence de premier fondeur dans une même équipe n’est plus du gâchis mais un moyen d’être plus productif, notamment en réduisant les défauts qualités et les pannes.
Dans un atelier de chimie fonctionnant en 4x8, on trouve ainsi une équipe avec un leader très formé, au coefficient 270, entouré de collègues plus jeunes ou moins formés , au coefficient 205 ou 215, et une autre équipe où tout le monde a à peu prés le même niveau de compétences et est classé en 235.
Chez Peugeot à Sochaux, la mise en place des cellules de production (l’ancêtre des Unités Elémentaires de travail de Renault) avec le projet ISOAR en 1985 s’accompagne de la signature d’un accord de classification qui admet deux niveaux de classification possibles pour un emploi, en fonction du titulaire.
Mais la vrai nouveauté, c’est l’accord de la sidérurgie CAP 2000, qui en 1990 installe la compétence au cœur du système de classification, qui devient donc théoriquement une classification des personnes et non plus des emplois (en réalité on complète la classification des emplois par un système pour les personnes). Il est vrai que la branche se réduit quasiment à une seule entreprise (qui deviendra Arcelor). L’accord est particulièrement innovant puisque non content de mettre en avant la compétences, il prévoit de reconnaître celle-ci et met l’entreprise en responsabilité de l’(utiliser, c'est-à-dire de faire évoluer l’organisation pour l’utiliser.
Quelques années plus tard, l’usine de Péchiney à Dunkerque cherchera à aller le plus loin possible dans cette logique de responsabilité des ouvriers et de travail collectif (Martine Aubry est alors DRH de Péchiney). La place de la maîtrise est sans doute insuffisamment pensée ce qui affaiblira notablement le système.
A la fin des années 90, le MEDEF s’empare de cette idée de compétences et essaie d’encourager ses adhérents à développer la nouvelle logique, sans succès suffisant pour en faire un tournant décisif.
Comme c’est expliqué ici, la compétence s’oppose à l’idée de qualification. Cette dernière renvoie à une certification validée par des instances publiques en dehors de l’entreprise. La compétence est au contraire un savoir faire mis en œuvre à l’occasion du travail dans l’entreprise ; dans un pays où le diplôme reste une valeur primordiale, on voit bien les conflits potentiels autour de cette idée de compétence. D’autant plus que celle-ci n’est pas si facile que cela à évaluer. Les multiples référentiels produits dans les années 90 seront jugés assez rapidement comme de véritables usines à gaz, peu pérenne qui plus est.
On en est là aujourd’hui
La suite plus tard !
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