Avec prés de 17% de salariés concernés (plus de 30% dans les entreprises de moins de 10 salariés !), le SMIC n’a jamais touché directement autant d’actifs. C’est donc un sujet politiquement délicat. A ceux qui pointent du doigt les conséquences néfastes d’un SMIC considéré comme trop élevé (sur la situation des entreprises et de l’emploi) d’autres répliquent en notant que ce niveau permet tout juste de vivre et qu’il faut par ailleurs garder un écart suffisant entre le RMI et le SMIC. Le gouvernement actuel semble pourtant bien décidé à ne plus opérer de « coup de pouce » annuel contrairement à ses prédécesseurs et a tenu cette promesse en juillet.
Un peu d’histoire d’abord. De 1950 à 1970, il existait un
SMIG (salaire minimum interprofessionnel garanti). Celui-ci se situait au départ
à un faible niveau et c’étaient les minima de branche qui servaient de minima
salariaux. Ces minima dépendaient de la négociation entre partenaires sociaux
et étaient plus élevés dans les branches en croissance; Avec le plein emploi, c’était
le marché du travail qui poussait les salaires à la hausse.
En 1968, lors des accords de Grenelle, le SMIG est
augmenté d’un montant très élevé: 25 %.
Ce n’est évidemment possible dans cette proportion que parce qu’il est
largement inférieur aux minima pratiqués. Mais à partir de cette date, il va
jouer un rôle de voiture balai pour les salaires et être un enjeu politique,
dans la négociation avec les organisations syndicales d’abord, dans le
programme des partis ensuite. La CFDT réclame une réduction des inégalités et
demande dans les négociations une augmentation identique pour tous, non pas en
pourcentage mais en montant. Ce syndicat abandonnera par la suite sa
revendication d’une augmentation rapide du SMIC, en raison de ses dégâts sur l’emploi
d’une part, parce que cela écarte les organisations syndicales de la négociation
salariale d’autre part.
Le 2 janvier 1970, le SMIC remplace le SMIG. Le terme de
croissance pour le « C » indique cette fois une volonté politique de
se servir du SMIC pour augmenter les bas revenus. Il s’agit bien de déconnecter
les bas salaires des réalités économiques. Beaucoup plus tard, en instaurant un
SMIC dans son pays, Tony Blair agira différemment puisque les augmentations du
SMIC anglais sont soumises à une consultation préalable d’une commission
paritaire employeurs salariés. En France, la commission nationale de la négociation
collective, de composition semblable devrait théoriquement jouer le même rôle
mais en réalité, les choix du gouvernement sont surtout dictés par des considérations
politiques à court terme.
Dès la création du SMIC, le décret signé par Chaban
Delmas définit un rythme minimum pour les augmentations du SMIC, tout en
laissant la possibilité au gouvernement de donner des coups de pouce supplémentaire.
L’augmentation minimale est égale à l’inflation plus la moitié de la croissance
hors inflation du salaire moyen. Le SMIC peut donc évoluer moins vite que le
salaire moyen mais en pratique, les coups de pouce le font augmenter plus vite.
Avec le temps, le SMIC tend donc à se rapprocher du
salaire moyen. Les conséquences immédiates sont doubles : le nombre de smicards
ne cesse de croître et la hiérarchie des bas solaires est progressivement écrasée.
Comme cela a été dit plus haut, environ 16 à 17 % des
salariés sont au SMIC. Ce taux se situe généralement autour de 3% dans la
plupart des pays où il existe un SMIC. La Finlande fait exception avec 28% de
smicards (rappelons que le SMIC n’existe pas en Suède où les syndicats très
puissants imposent des minima de branche).
De nombreuses branches se retrouvent avec des salaires
minima nettement inférieurs au SMIC. Évidemment, les salariés concernés sont
malgré tout payés au SMIC, mais c’est aussi le cas de ceux qui sont au premiers
niveaux de classification: il n’y a plus de différences de rémunération entre
un salarié sans qualification et un salarié qualifié. Dans une branche pour
laquelle je travaille actuellement, le salaire minimal pour les catégories de
technicien et agent de maîtrise se retrouve seulement 2% au-delà du SMIC!
Le gouvernement a incité ces dernières années les
branches à renégocier des minima au moins égaux au SMIC mais c’est un travail éternellement
à refaire.
Mais après tout, est-ce bien gênant au regard de l’avantage
d’assurer aux salariés les moins qualifiés un salaire décent?
J’ai déjà abordé cette question ici. Je vais donc essayer
de résumer.
La première critique est venue du patronat, objectant qu’un
SMIC trop élevé était néfaste à l’emploi, argument important en période de chômage
massif. Les réductions de charges sur les bas salaires, réalisées
successivement par la droite et la gauche pendant les années 90 ont à la fois
montré la justesse de l’argument et donné une réponse apparemment satisfaisante
en augmentant le nombre d’emplois non qualifiés pour la première fois depuis
longtemps sans diminuer les salaires.
Reste la question de l’écrasement de la hiérarchie des
bas salaires qui a été accentué par les revalorisations liées aux 35 heures et
par l’effet de piéges à bas salaires des abaissements de charge; Cet écrasement
a probablement deux effets pervers:
D’une part il contribue à concentrer le chômage sur les
moins qualifiés, phénomène dont on observe l’effet cumulatif depuis plus de 20
ans
D’autre part il entraîne probablement un fort sentiment
de non reconnaissance pour les travailleurs qualifiés qui se retrouvent au SMIC
ou pas loin et qui considérèrent à juste titre que leur professionnalisme n’est
pas reconnu.
Autre effet pervers, pour les smicards et ceux dont la rémunération
est proche, c’est maintenant au niveau politique que se joue leur rémunération,
indépendamment des réalités économiques, de l’état de leur entreprise ou de la
qualité de leur travail. Ce n’est évidemment pas pour renforcer le poids des
syndicats dans les entreprises et dans les branches!
Que faire? On est
typiquement dans une situation où les excès d’hier font qu’il n’y a aucune
solution satisfaisante.
En particulier, la question du niveau de vie pour les
smicards se pose de manière accrue pour ceux (et surtout en pratique celles) qui sont à temps partiel.
Peut on penser qu’un SMIC plus bas augmenterait le nombre d’offres d’emploi à
temps complet ? C’est possible mais pas évident quand on observe par
exemple que la différence entre les taux d’activité au Royaume Uni et chez nous
est pour la plus grande part constituée par des emplois à temps partiel. Reste
la solution préconisée par des économistes de compenser le blocage du SMIC par
l’augmentation de la prime pour l’emploi.
Le président nouvellement élu a décidé de ne plus donner
de coups de pouce. On voit bien cependant que revenir à la situation qui prévalait
il y a trente ans sera long, très long. Ce sera d’autant plus rapide que le
salaire moyen augmentera fortement. Pour cela il faut une croissance forte qui
dégagera des possibilités de redistribution et qui en diminuant le chômage
renforcera la capacité de négociation des salariés;
En bref, je rêve de revenir à une situation où ce sont
les performances économiques, les gains de productivité, la combativité des
salariés qui font les élévations du niveau de vie et non des choix politiques démagogiques
et à courte vue qui se retournent de fait contre leurs soit disants bénéficiaires.
Mais on aura compris que dans le cas du SMIC, ce n’est
pas le code du travail qu’il faut changer, mais son utilisation par les
politiques !
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