Les exemples qui vont suivre illustrent ce qui a été exposé à propos de la vision sociologique du changement. Certains font partie du domaine politique public, d’autres sont issus de mon expérience en entreprise (ils feront l‘objet d‘un prochain billet).
Voir aussi les premiers articles: 1, 2, 3, 4
Premier exemple, la mise en place d’un service minimum dans les transports, que la SNCF d’un coté, le ministre Gilles de Robien de l’autre, ont essayé de mettre en place en le négociant avec les syndicats. La manière dont le ministre a procédé était par définition vouée à l’échec. J’ignore s’il en était conscient et s’il s’agissait simplement d’occuper le terrain en faisant semblant d’agir (ce qui serait bien la manière de Jacques Chirac) ou si l’ancien maire d’Amiens ignore quelques principes de base de la négociation syndicale.
Gilles de Robien a créé une commission avec ceux parmi les représentants syndicaux qui étaient prêt à discuter avec lui. Il a examiné avec eux ce qui se passait sur le terrain puis les a emmené voir ce qui se faisait chez nos voisins. Jusque là, rien à dire, il fallait commencer par parler, par consulter et pouvoir dire à l’opinion que cela a été essayé.
Mais Gilles de Robien a continué à négocier avec les syndicats, en faisant comme s’il pouvait aboutir à un accord (il a été sauvé par le gong, en l’occurrence le changement de gouvernement, et son successeur n’a pas poursuivi). Pourquoi ? Parce qu’il était impossible à aucun syndicaliste, même convaincu de la nécessité d’un service minimum, de signer un accord sur ce point: le paysage syndical dispersé de notre pays, la faiblesse même des syndicats ne permet pas à ceux-ci de prendre des positions courageuses. Le syndicat qui aurait signé aurait été férocement attaqué par ceux qui pratiquent par principe la surenchère (la CGT et surtout SUD) et aurait perdu de nombreuses voix aux élections professionnelles suivantes (la CFDT s’est déjà fait laminer à la SNCF à la suite de sa position sur la loi Fillon sur les retraites, alors que les cheminots n’étaient pas concernés !). D’autre part, le ministre n’avait pas réellement de contreparties à offrir!
Peut être la direction de la SNCF aurait elle pu plus facilement aboutir: il lui était possible de proposer des contreparties et les syndicats pouvaient négocier un référendum: s’il donnait plus de réponses favorables que la part de voix traditionnelles des syndicats envisageant de signer, ceux-ci pouvaient le faire sans crainte. Mais comme le score aurait probablement été inférieur à 50%, la direction aurait été dans une situation peu favorable.
La négociation sur les retraites est un bon exemple de ce qui est possible. La CFDT a donné son accord parce qu’elle avait obtenu une véritable contrepartie: la possibilité pour les personnes ayant commencé à travailler avant 18 ans de partir en retraite avant 60 ans. 100 000 personnes étaient concernées dans chacune des années suivantes, il ne s’agissait donc pas d’une petite contrepartie. On voit cependant ce que cela a coûté au syndicat réformiste. Il est vrai que le parti socialiste a été capable de prétendre que cette loi était une injustice sociale. On a compris que cela l’avait largement déshonoré à mes yeux, et pour un bon moment!
Puisqu’il est impossible aux syndicats de signer un accord mettant en place le service minimum, le gouvernement devait procéder en trois temps: consulter les syndicats, faire voter une loi sans leur accord puis négocier avec les syndicats les modalités d’application (en prévoyant dans la loi une date butoir pour la négociation) En procédant ainsi, il était possible de dialoguer.
Ceux qui sont étonnés qu’il vaille mieux dans certains cas imposer un cadre aux partenaires sociaux pour préserver le dialogue se rappelleront que nous sommes dans le pays de la logique de l’honneur. Et s’il faut une preuve, j’en tirerais une de mon travail actuel. Une entreprise a voulu remettre en cause son accord de classification, en raison de son contexte économique. Elle en a parlé avec les syndicats, qui ont compris la situation mais qui n’étaient pas prêts à renoncer à leurs avantages. La direction a donc dénoncé l’accord, ce qui lui donne 15 mois pour en renégocier un autre. Comme prévu, les syndicats ont dénoncés la décision, mais en ont pris acte et vont négocier. C’était la seule solution acceptable pour eux.
Deuxième exemple (je vais faire plus court!) la question des régimes spéciaux de retraites. A partir du moment où l’on a prolongé de 2.5 ans la durée de cotisation dans le privé (loi Balladur en 1993) et le public (loi Fillon en 2003), il parait logique de faire de même avec les régimes spéciaux, ceux ci étant déjà plus favorables que les autres avant les réformes et leur déficit étant financé par les autres.
Si on observe qui sont les acteurs, on peut en identifier 3 principaux: les bénéficiaires des régimes spéciaux, qui ont une perte importante dans l’affaire (et un pouvoir de nuisance important surtout!), tous les autres cotisants qui ont chacun un gain minime et mal identifié (après tout, ce sont les autres cotisants qui payent ou le contribuable? Qui le sait réellement?) et enfin le gouvernement qui peut trouver un trou financier à combler mais qui peut se retrouver comme Juppé avec les grandes grèves de 1995. Tout cela ne plaide pas pour lancer un projet dans lequel il n‘y a que des coups à prendre!
Pourtant N Sarkozy semble prêt à se lancer dans l’aventure. Il a pour cela une bonne raison: il sera difficile de faire de nouvelles réformes si les français ont le sentiment qu’elles épargnent certains qui ne font pas partie de plus défavorisés. En fait la position du troisième acteur (les autres cotisants) n’est plus celle de 1995. A l’époque, ceux-ci pouvaient être indifférents (l’enjeu était faible pour eux) et ne pas avoir envie de continuer à subir les grèves (application du syndrome de Stockholm) ou même espérer bénéficier de l’action des cheminots (pour les fonctionnaires).
Aujourd’hui, l’ensemble des autres salariés ayant été concernés par l’allongement de la durée de cotisation, l’opinion est majoritairement favorable à ce que cette mesure s’applique aussi aux régimes spéciaux. S’il est élu et qu’il présente correctement sa mesure, l’ancien maire de Neuilly sera en bonne posture pour l’imposer. Bien sûr, une loi sur le sujet risque de provoquer un conflit majeur, surtout si le service minimum est également imposé (le gouvernement commencera probablement par ce deuxième point). Mais un gouvernement qui vient d’être élu est en position de force, surtout sur une mesure annoncée dans la campagne.
On verra peut être!
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