L’absence de la gauche au deuxième tour des présidentielles redevient du domaine du possible. Ce serait la deuxième fois consécutive ! Un tel événement obligerait il la gauche à se remettre en cause et dans quelle direction le ferait elle ?
Rappelons d’abord que rien n’est joué, que le score annoncé par les sondages pour Bayrou reste assez théorique : il compte une part d’indécis plus important que les autres et il est possible que de futurs électeurs de JM Le Pen préfèrent annoncer un vote Bayrou aux sondeurs. Et puis, il peut se passer beaucoup de choses en 5 semaines, surtout avec une campagne officielle et une part extrêmement importante d’indécis. Après tout, dans le dernier baromètre de la Sofres, Mme Royal fait 48% au deuxième tour !
Rappelons aussi que la gauche a gagné haut la main les européennes et les régionales en 2004. Et qu’il n’est pas inimaginable qu’elle gagne les législatives en ayant été absente du deuxième tour des présidentielles.
Rappelons enfin que la gauche a connu (comme la droite) d’autres échecs, d’autres périodes où on la voyait finie et qu’elle s’en est toujours relevée : pensons au score de Deferre en 1969 et à la montée foudroyante du PS quelques années plus tard.
Ces précautions oratoires faites, examinons comme une hypothèse, celle où Ségolène Royal ne serait pas présente au deuxième tour.
Une sous hypothèse consisterait à un effondrement de la candidate socialiste à cause de choix tactiques chez les électeurs. Les sondages montrant Bayrou devant la candidate socialiste, une partie des électeurs de cette dernière se rangerait derrière Bayrou considéré comme un rempart contre Sarkozy et une autre partie qui ne la suivait que par vote utile en souvenir du 21 avril retournant vers un vote plus protestataire autour des Bové, Besancenot et autre Buffet ou votant pour Voynet.
Une gauche à 33%, avec une Ségolène Royal au dessus du score de L Jospin mais nettement en dessous du total Jospin +Taubira+Chevènement, cela ferait évidemment un choc, en particulier au sein du parti socialiste. Celui-ci pourrait aborder les législatives dans les pires conditions, c'est-à-dire sans leader consensuel, comme en 2002 avec le retrait de Jospin.
Au-delà, la question posée sera la même qu’en 2002 lors du congrès de Dijon : pourquoi ? A l’époque, le parti socialiste avait retenu implicitement trois explications :
Jospin a eu tort de reconnaître que l’Etat ne peux pas grand-chose contre les logiques de marché dans les licenciements (affaires Michelin et Lu) et d’aller plus loin en ne voulant pas proposer un projet socialiste
La dispersion des candidatures nous a coûté la place au deuxième tour
Les médias ont survalorisé les questions de sécurité
Pour reconquérir les électeurs qui s’étaient réfugiés dans le vote trotskiste, il fallait faire un virage sur la gauche, ce qui fut fait à Dijon (même si M Dolez n’y a pas été suivi).
En faisant ce choix, le PS refusait de regarder en face deux réalités gênantes :
La conjoncture économique s’est nettement dégradée en 2001 et 2002 et le discours sur les réussites économiques de 1997/2000 n’est plus acceptable. Mais ce serait admettre non seulement cette mauvaise conjoncture mais le caractère mondial de la bonne période précédente…
La délinquance avait augmenté sous Jospin : la décrue du chômage n’avait pas suffi à inverser la tendance et la manière dont la police de proximité a été mise en place n’a pas permis non plus de renverser la tendance.
Demain, en cas de défaite, il se trouvera des gens pour estimer que le choix d’accepter des adhérents à 20 euros et le contournement du PS par les réseaux Désir d’Avenir ont déstabilisé le parti et conduit à la défaite. Ce ne sera pas faux : le but était bien au départ de secouer le cocotier, de favoriser par l’interne et par l’externe les remises en cause. Et la mésentente entre la « ségosphère » et les élus du PS a joué négativement dans la campagne. Mettre le doigt sur cette question permet de tirer sur le couple Hollande Royal mais risque aussi de conduire au repli sur les vieilles pratiques.
Fabius et DSK plaideront évidemment chacun de leur coté pour leur discours précédent, et souhaiteront l’un et l’autre tenter leur chance en 2012. Fabius aura alors 66 ans et DSK 63. Mais après tout, Martine Aubry en aura 61 !
Dans l’idéal, le Parti Socialiste devrait profiter d’un passage dans l’opposition pour penser se demander ce qu’est être de gauche au 21ème siècle. Pour cela, il serait bien avisé de lire la contribution de Zaiki Laidi dans le Monde du 2 mars (désolé, je n’ai pas le lien), invitant la gauche à
Ne plus rêver à un retour à la stabilité des trente glorieuses et avoir un regard moins pessimiste sur les mouvements du monde, pour conduire le changement au lieu d’être championne d’un conservatisme à la Bourdieu
Sortir de la vénération de principe de l’Etat qui empêche de voir quand il est lui-même producteur d’inégalité et repenser son rôle face au marché.
Une gauche qui ne se contente plus de proposer plus d’Etat et de dépenses sociales, pourquoi pas ? Après tout, Zapatéro ou Prodi, le Royaume Uni ou la Suède sont sur d’autres voies pour la gauche. Pourquoi pas la gauche française ?
La défaite de Jospin n’a pas permis cette remise en cause. Les efforts de rénovation de François Hollande, une Ségolène Royal qui a pu un temps faire bouger les lignes auront peut être échoué le 6 mai, voire le 22 avril. Je suis sceptique pour la suite, mais après tout le pire n’est pas toujours sur. Peut être la gauche française a t’elle besoin d’un épisode thatchérien en France pour que l’équivalent d’un Blair puisse rénover le PS et proposer un discours et un programme de gauche adapté au 21ème siècle. Je connais des militants du PS qui le pensent. C’est dire où en est ce parti !
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