Il y a maintenant 20 ans, je recevais la plaquette d’un cabinet de conseil auquel j’avais soumis ma candidature, et découvrais que celui-ci se positionnait sur « la conduite du changement ». C’est la première fois que j’entendais ce terme. Peu de temps après, Antoine Riboud (en réalité Rose Marie Vandenberghe qui lui servit de plume), sollicité par le premier ministre de l’époque, produisait un rapport intitulé « Modernisation mode d’emploi », qui reprenait notamment des expériences du cabinet en question. Depuis, beaucoup d’annonces de recrutement proposent aux candidats de « conduire le changement », expression qui recouvre des réalités fort diverses.
Mais d’abord une petite histoire (vraie) pour illustrer ce propos.
Elle se passe dans une importante usine française (plus de 800 salariés) d’un grand groupe international européen. La direction mondiale a décidé de mettre en place un logiciel intégré, (un « ERP ») en l’occurrence. Celui-ci pose quelques problèmes d’utilisation aux salariés des différents services car il est entièrement en anglais, mais ce n’est pas de là que viendra le problème au lancement du système. L’un des principaux avantage d’un logiciel intégré, c’est qu’il évite les doubles saisies: une information utile par exemple pour les achats, la tenue des stocks, le paiement des factures et la comptabilité n’est saisie qu’une fois. Ce que les responsables de l’opération n’ont pas prévu, c’est que les salariés sont habitués à corriger leurs erreurs éventuelles plutôt que de faire bien du premier coup. Or avec le nouveau système, les erreurs affectent toute la chaîne. Au bout de quelques temps, le responsable du projet oblige les salariés à passer par lui pour faire des corrections: il doit intervenir 47 fois le lendemain.
Le résultat, c’est une belle pagaille pendant quelques temps, qui aboutira à des retards tels dans les chaînes de traitement qu’un fournisseur ne livre plus et que l’usine se retrouve au chômage technique pendant un journée!
Cet exemple parmi d’autres illustre la difficulté de prendre en compte toutes les dimensions d’un changement: techniques bien sûrs mais aussi organisationnelle et humaines. Ici c’était l’aspect culturel qui avait été sous estimé.
Les entreprises ont progressivement appris à gérer ces difficultés, avec plus ou moins de bonheur. Le secteur public a plus de mal et chacun sait que de nombreuses réformes gouvernementales avortent: on l’a encore vu avec le CPE, mais il suffit de penser à toutes les difficultés rencontrées par l’Éducation Nationale!
Michel Crozier avait déjà expliqué il y a longtemps, à travers ses livres sur « Le phénomène bureaucratique » ou « La société bloquée », qu’on ne change pas la société par décret. Ses théories sont enseignées depuis longtemps à l’ENA sans qu’il semble que les élèves en aient réellement compris l’intérêt! En multipliant les lois, comme l’a encore récemment dénoncé le Conseil d’État, les gouvernements et les élus semblent encore croire qu’ils peuvent mener ainsi le pays. L’incapacité des gouvernements de droite comme de gauche a faire passer et mettre en œuvre les réformes dont notre pays a besoin montre que la conduite du changement est une question politique clé. Mais avant de l’aborder, il peut être utile d’examiner les méthodes utilisées par les entreprises et les différentes institutions, à travers ce que leur proposent les cabinets de conseil, à qui les entreprises font généralement appel quand elles veulent réussir un projet de grande envergure sans avoir suffisamment de moyens internes pour cela. Trois méthodes principales peuvent être observées, reposant respectivement sur la formation et la communication, la socio dynamique et la sociologie. Elles feront l’objet chacune d’articles spécifiques.
PS: j’ai entamé cette série d’articles parce que la question de la gestion du changement est au cœur des problèmes qui se poseront au vainqueur de la présidentielle, mais également à la demande d’un de mes frères que je salue au passage!
La suite, 2
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