Il n’a pas fallu longtemps à certains des juristes de lieu commun, qui en compte de fameux,
pour nous expliquer ce qu’est un droit opposable et ce que peut donner
son application au droit. Moi qui ne suis pas juriste, j’en ai retenu
qu’ils n’étaient guère contents de cette initiative présidentielle,
mais j’invite ceux qui veulent savoir pourquoi à aller les lire !
Koz, Versac et Polluxe font
une analyse plus politique sur la manière dont les politiques traitent
dans la précipitation et l’ardeur médiatique les sujets du moment. Ils
ne sont pas plus satisfaits de notre Jacques Chirac national !
On retiendra dans l’analyse d’Eolas
le fait que le Parlement a longuement réfléchi à la situation il n’y a
guère que six mois, et pris alors un certain nombre de dispositions que
notre Maître juge utiles, regrettant que le gouvernement ne défende pas
son action
Frédéric LN prend au contraire la défense de l’idée en soulignant que
le jeu du marché ne permet pas de respecter le droit au logement et en
estimant que les pouvoirs publics ont un rôle important à jouer dans ce
domaine. Quand à Optimum, il nous explique pourquoi les efforts du législateur pour aller contre le marché sont contreproductifs. Et Frédéric Rolin a poursuivi sa réflexion!
D’abord, il s’y construit
des logements, collectifs ou individuels, sociaux ou non. Le rythme de
construction, qui avait atteint 500 000 logements par an dans les
années 70 s’est ensuite fortement ralenti jusqu’au milieu des années 90
pour fortement augmenter dans les années 2000. Le rythme continue à augmenter nettement en 2006 et le fera encore en 2007 si on en juge par les dépôts de permis de construire.
Logements mis en chantier (en milliers) |
1980 |
1985 |
1990 |
1995 |
2000 |
2005 |
Individuels |
265 |
196 |
155 |
140 |
195 |
229 |
Collectifs |
154 |
116 |
146 |
138 |
112 |
181 |
Total |
419 |
312 |
301 |
278 |
307 |
410 |
Y a-t-il trop ou pas assez de logements ? Comme on le verra plus loin et le constatent tous les jours ceux qui en cherchent un, il n’y en a pas assez.
A Frédéric LN qui nous explique qu’après 60 ans sans guerre, le parc
qui n’a cessé d’augmenter devrait suffire, je répondrais par une petite
histoire de famille.
Après
son mariage en 1950, celle qui allait devenir ma belle mère a suivi son
mari qui faisait des chantiers comme ouvrier électricien dans le sud de
la France. C’est ainsi qu’elle s’est retrouvé quelques années plus
tard, logeant avec son mari et deux enfants en bas âge dans une pièce
de 20 m2 avec l’eau froide au lavabo (je précise en passant que cela ne
l’empêchait pas d’être heureuse !). Plus de 30 ans plus tard, son mari
a hérité d’une vieille maison de famille, dont le locataire avait
quitté les lieux, grande mais en très mauvais état. Il a tout refait
(il était très bricoleur..) et aujourd’hui sa veuve se retrouve seule
dans une maison où il y a 11 lits. Je ne pense pas que Frédéric propose
qu’elle retourne dans son logement d’il y a 50 ans, mais cette histoire
montre comment on utilise plus de m2 par habitant qu’après la guerre !
La baisse de la construction
de logements dans les années 80 et 90, malgré les efforts successifs du
législateur (loi Besson et De Robien), s’explique par les conditions
économiques : rien ne poussait à construire. Le rendement de
l’investissement immobilier était nettement plus faible que le
rendement obligataire ou celui des actions. Le niveau des taux d’intérêt était tel qu’il décourageait tout emprunteur potentiel.
Sur
ce point, encore un exemple familial : les deux frères aînés de ma
femme ont commencé à travailler au milieu des années 70 comme
professeurs. Ils ont acheté leur logement aussitôt, en empruntant à un
taux élevé mais très vite mangé par l’inflation. Dix ans plus tard, son
plus jeune frère a fait la même carrière mais n’a pu imaginer
d’emprunter dans les années 80 alors que les taux étaient toujours
élevés mais pas l’inflation. Il est donc resté dans son logement HLM
jusqu’au début des années 2000 où les faibles taux lui ont enfin permis
d’accéder à la propriété.
Donc
à partir du milieu des années 90, sous le double effet de la baisse
très importante des taux d’intérêt et du manque de logement, les prix se mettent à monter. Comme le note cette étude, de 1998 à 2005, « la hausse cumulée des prix est de 65 % pour les maisons neuves et de 46 % pour les appartements (graphique 2). Dans le même temps le prix des maisons anciennes a augmenté de 95 % et celui des appartements anciens de 109 %. ». L’ancien
ayant progressé plus vite que le neuf, il devient de nouveau rentable
de construire, et c’est ce qui se passe comme on l’a vu. Bien sûr, une
augmentation de 50% des constructions dans un secteur qui n’embauchait
pratiquement plus depuis 5 ans ne se fait pas si facilement : des
tensions apparaissent sur le marché du travail qui font monter les
salaires, la faiblesse de la concurrence fait monter des prix frappés
par ailleurs par l’évolution du coût mondial des matières comme l’acier
ou l’énergie. Alors qu’ils avaient grimpé moins vite que la moyenne des
autres prix (donc baissé en francs constants), les prix de la construction rattrapent leur retard depuis 10 ans, comme le montre le tableau suivant :
|
70 |
75 |
80 |
85 |
90 |
95 |
2000 |
2005 |
Prix |
18.6 |
28.5 |
46.8 |
73.9 |
86.1 |
96.1 |
100 |
1105 |
Construction |
20.3 |
31.86 |
52.54 |
76.27 |
86.7 |
93.3 |
100 |
117.2 |
Ratio |
1.09 |
1.12 |
1.12 |
1.03 |
1.01 |
0.97 |
1 |
1.06 |
Qu’à cela ne tienne, les Français dépensent de plus en plus pour acheter
leur logement : en 12 ans, les dépenses d’achat dans l’ancien sont
multipliées par 3 ! Mais au-delà du choix de certains, c’est pour
l’ensemble des ménages que les dépenses de logement augmentent, avec
les difficultés qu’on imagine pour les foyers les plus modestes !
Ceux là se retournent vers le logement social.
Contrairement au parc général, dans lequel l’effort de construction
depuis 60 ans a en partie était absorbé par le remplacement des
immeubles d’avant guerre, le parc de logement social a essentiellement
été construit après la guerre avec un effort particulièrement important
dans les années 1956 à 1978 (le passage de l’aide à la pierre- prêt à
1% aux organismes HLM- à l’aide personnalisée - allocation logement -
vers 1973 a joué un rôle dans la baisse de la construction qui a
suivi). De moins de 20 000 logements construits par an jusqu’en 1953,
on passe à 80 000 vers 1956 et on, frôlera les 140 000 en 1971. On
revient à 60 000 par an à partir de la fin des années 70. Le niveau se
situe actuellement autour de 35 000 par an, auquel il
faut ajouter des achats (15 000 environ), enlever les ventes (7 000) et
les démolitions ou transformations (10 à 12 000). Le parc, supérieur à
4 millions de logements, augmente
ainsi suffisamment pour que le nombre de logements sociaux par
habitants soit en croissance (lente il est vrai !). C’est en Ile de
France que la proportion est la plus forte, avec 104 logements sociaux
pour 1000 habitants et plus du quart du parc national. On notera
cependant que le parc social subit le même phénomène que le parc
général : il s’y trouve de plus en plus de vieilles personnes, souvent
seules, qui occupent l’appartement qu’elles ont obtenu il y a 30, 40 ou
50 ans pour loger avec leurs enfants. Et ces personnes ne veulent
surtout pas bouger et abandonner le cadre de vie auquel elles sont
habituées. L’effort de construction n’est dans ces conditions sans
doute pas suffisant.
Mais, me dira t’on, n’y a-t-il pas de nombreux logements vacants ? Bien sûr : plus de 1,8 millions ! Une étude récente en fait une analyse détaillée qu’on pourra lire avec beaucoup d’intérêt mais dont on retiendra ici quelques idées clés :
Le taux de vacance est actuellement d’un peu plus de 6%, le plus faible taux depuis le début des années 60, ce qui illustre les tensions actuelles sur le marché !
La première raison de la vacance est tout simplement le temps de passage
d’un occupant à un autre. C’est ce que les auteurs appellent la vacance
frictionnelle. Il explique qu’il y ait environ 100 000 logements
sociaux vacants, malgré les efforts des organismes pour réduire ce
chiffre et les moyens professionnels dont ils disposent. Il y a aussi
évidemment le temps nécessaire pour faire des travaux, le départ d’un
locataire en étant soit l’occasion soit la cause (s’il y a eu des
dégradations).
Une partie du parc ne trouve tout simplement pas acquéreur, parce qu’il est dans une zone sans demande ou en trop mauvais état.
Parmi le parc vacant (donc y compris celui qui est provisoirement libre
quelques mois), on trouve 55% de logements construits avant guerre
(contre un tiers sur l’ensemble), un quart d’une seule pièce et de
moins de 35 m2 (contre 8% dans le total) et 23% de logement sans
confort (contre 6%).
La situation de l’Ile de France
est évidemment particulière. Le taux de vacance y est en moyenne
nettement plus faible que dans le reste du pays, mais Paris se
distingue de sa petite et grande couronne, la mobilité donc la vacance
frictionnelle y étant nettement plus élevée. La vacance avait
légèrement augmenté dans les années 90. Elle est revenue à un niveau
très bas depuis 2002.
La
construction en Ile de France pose un problème d’espace et de
disponibilité de terrains constructibles. La seule solution durable
consiste à augmenter le POS et la hauteur des immeubles, ce qu’à Paris
les Verts ont refusé à Delanoé, sous prétexte de logements vacants…
La question du logement n’est donc pas d’abord celle d’un droit opposable : il s’agit avant tout de continuer et d’augmenter l’effort de construction.
La baisse des taux d’intérêt nous a bien aidé dans ce domaine, mais
s’il manque comme le prétendent certains (c’est impossible à calculer)
environ 1 million de logements, il faudrait encore continuer à un
rythme supérieur à 400 000 (500 000 ?) pendant plusieurs années, et
sans doute augmenter la construction de logements sociaux : passer de
35 000 à 50 ou 60 000 par an serait sans doute très utile !
Evidemment,
il n’est que de réfléchir au temps qui se passe entre la décision de
construire puis le dépôt d’une demande de permis jusqu’à l’entrée du
premier occupant dans ses murs pour comprendre que si les mesures
votées en juillet sont de qualité, elles ne régleront pas le problème
ce mois ci ! Et pourtant, c’est bien là qu’il faut agir (ce n’est pas
cela le développement durable ?)
Les commentaires récents