Aider les lecteurs à prendre du recul sur l’actualité et sur les déclarations des dirigeants politiques en donnant des éléments de décodage, c’est a priori une bonne idée. A cet égard la rubrique « les décodeurs » du Monde pourrait être de salubrité publique. A condition d’apporter les bons éclairages, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas.
Les décodeurs analysaient aujourd’hui les résultats publiés par le ministère de l’intérieur des statistiques sur les crimes et délits et commençaient par s’intéresser à la question des homicides.
L’article débutait bien, avec la reproduction de la carte publiée par le service statistique ministériel et par une définition de ce qu’on appelle homicide. On aurait pu continuer en présentant la répartition entre les situations d’homicides : ceux entre proches (les plus nombreux), ceux liés au banditisme ou au terrorisme, ou essayer d’expliquer pourquoi le nombre d’homicides diminue dans notre pays.
Les décodeurs ont préféré donner un classement des départements par nombre d’homicides, ce qui permet de titrer sur « Marseille et Paris, capitales de la carte du crime », un titre en réalité erroné.
Se focaliser sur le nombre d’homicides indépendamment de la taille de la population, c’est logiquement mettre en tête les départements les plus peuplés et en queue les moins peuplés, quel sens à ce classement ? Tous les départements apparaissant comme les dix premiers par nombre d’homicides ont plus de un millions d’habitants et tous ceux qui sont dans les dix derniers en ont moins de 250 000 !
C’est d’autant plus regrettable que la carte fournie par le ministère donnait le taux d’homicides aux 100 000 habitants. Et que le graphisme plus ou moins foncé permettait d’identifier immédiatement les départements ayant le taux d’homicides le plus élevé : les deux Corses, très loin devant, puis dans l’ordre les Bouches du Rhône, la Seine Saint Denis et les Alpes Maritimes. Le Nord, les Hauts de Seine et le Rhône, qui figurent dans les dix premiers par le nombre ont un plus faible taux que le Territoire de Belfort qui figure dans la liste des dix premiers par le nombre !
Les décodeurs vont aller ensuite plus loin dans la tromperie avec un graphique reprenant année après année le nombre total d’homicides, entre 1996 et 2015. Un premier coup d’œil au graphique montre que le nombre d’homicides baisse dans la durée. L’impression visuelle est confirmée par l’examen des extrêmes : 1546 en 1996 et 667 en 2015, cela fait une baisse de 57 % !
Mais un examen plus attentif montre que la baisse est en partie (en partie seulement) en trompe l’œil. D’abord la valeur de 1996 parait atypique puisqu’on descend à 1252 en 1997, à 1148 en 1998 et à 1118 en 1999. Si on calcule la baisse non plus à partir de 1996 mais de 1999, elle n’est plus de 57% mais de 41%.
Ceci dit, comme le fait remarquer l’article, les valeurs changent d’une année à l’autre et faire un calcul en se basant sur une seule année est assez vain. Du coup, ils se contentent de noter que le niveau atteint en 1996 ne l’a plus été depuis.
S’ils avaient vraiment voulu décoder, ils auraient regardé ce qui se passait avant, dans les années qui ont précédé 1996, année dont le choix n’a pas plus de justification que le fait que c’était il y a 20 ans (ce n’est d’ailleurs pas la vraie raison, car les mêmes tableaux publiés en janvier 2014 débutaient déjà en 1996). Mais pour cela il fallait faire des recherches, et ils n’en avaient probablement le temps (le scoop, mon coco, le scoop, dépêche-toi !). Ils avaient pourtant des données faciles à consulter : un de leurs propres articles en mai de cette année montrait, pour la seule région parisienne, une courbe qui commençait en 1994 et baissait de 12% entre 1994 et 1996 : non, la valeur de 1996 n’était pas une valeur anormale située au-dessus de la tendance générale.
Là où les décodeurs font une faute inadmissible, c’est à l’autre bout du graphique, là où le nombre d’homicides décroche en passant en un an de 924 en 2014 à 677 en 2015, soit une baisse de 27%.
Vous avez dit 2015 ? L’année 2015 n’est pas terminée, nous sommes à mi-octobre. Au mieux la valeur indiquée est à fin septembre, donc sur 3 trimestres. S’il manque un trimestre, la baisse de 27 % est en fait une quasi-stabilité ! Il y a donc tromperie dans le graphique !
Pas fort pour des décodeurs !
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