François Michelin qui vient de mourir à 88 ans et fut patron de la firme portant son nom pendant 44 ans fut une figure d’un paternalisme autrefois répandu mais qui se fait très rare dans les grandes entreprises françaises. Un paternalisme dont je veux donner un exemple ici, qui en illustre à la fois le moralisme parfois insupportable et un certain caractère social.
Wikipédia qui note le paternalisme du défunt en donne une explication tout en nuances. Il est d’abord précisé que l’attitude paternaliste consiste à considérer et traiter des adultes comme des enfants, et donc avec l’autorité que pourrait avoir un père pour ses enfants : il ne s’agit pas de traiter d’égal à égal mais de supérieur à inférieur.
Dans le domaine industriel, le paternalisme justifie l’autorité patronale mais elle inclut en contrepartie des devoirs de la part de son patron vis-à-vis des salariés, ce que’ Wikipédia décrit ainsi : Le paternalisme est défini comme le caractère familial des relations entre employeurs et employés. Le patron assume l’autorité et les devoirs d’un père à l’égard de ses « enfants salariés ». Il est responsable de leur bien-être en contrepartie de quoi ils lui doivent respect et obéissance. « Le patron doit être un père à qui Dieu impose l’obligation de remplir les devoirs de la paternité aussi bien au point de vue spirituel que matériel. » Et plus loin : Le paternalisme abandonne donc le bâton au profit de la carotte : les politiques paternalistes consistent à privilégier les sanctions positives en récompensant les conduites valorisées par les employeurs plutôt que la punition.
Tel Janus, le paternaliste a donc deux faces : une face de recherche du bien des salariés qui parait d’autant plus positive quand on la compare avec le comportement de certains patrons privilégiant la logique financière pure et dure, et une face de volonté de définir à leur place ce qui est bien pour les salariés, face insupportable qui conduit un syndicat comme la CFDT à réclamer l’émancipation des travailleurs. Dans un autre domaine, jacques Brel a décrit ces femmes patronnesses qui veulent reconnaître « ses pauvres à soi ».
Or donc, en 2008, Kléber, filiale de Michelin a décidé de fermer une de ses usines, près de Toul, comptant plus de 800 salariés . Le projet comprenait une phase de congé de reclassement (système devenu obligatoire aujourd’hui mais dont je ne sais plus s’il l’était à l’époque) période de durée limitée pendant laquelle les salariés restaient salariés et donc payés par leur entreprise mais pendant laquelle ils cherchaient du travail (une partie des salariés quitte donc l’entreprise pendant cette période, l’objectif étant évidemment que ce soit la plus grande part, qui ne passe donc pas par la case chômage).
Les dirigeants de l’entreprise ont alors considéré qu’il ne serait pas bon que les salariés bénéficiant de ce congé de reclassement soient payés à n’avoir pour seule activité le fait de chercher du travail : la lutte contre l’oisiveté supposée des classes populaires est un trait habituel du paternaliste. Cette attitude moraliste insupportable s’est pourtant traduite par une décision très positive.
L’employeur a donc décidé d’installer pour les centaines de salariés concernés un véritable centre de formation, avec machines-outils etc. En pratique, les salariés passaient donc une partie de leur temps avec la cellule de reclassement pour définir leur projet, rédiger leur CV, s’entrainer à passer des entretiens, et l’autre partie de leurs 35 heures à se former à des savoirs faire divers (ils pouvaient heureusement choisir ceux-ci !).
Cette démarche a eu un résultat : des taux de reclassements impressionnants (même s'il y a aussi des laissés pour compte), et d’autant plus quand on les compare à ceux obtenus plus tard par Continental dans l’Oise.
Je ne sais pas dans quelle mesure cette expérience y a participé, mais la possibilité de faire des actions de formation payées par l’employeur pendant le congé de reclassement est aujourd’hui inscrite dans la loi. Mais je ne connais pas d’exemple où cette faculté est utilisée aussi systématiquement que cela a été le cas chez Kléber. Il faut dire que cela a du coûter cher à l’employeur.
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