A l’occasion de la sortie d’une note de deux économistes pour l’Institut Montaigne, Alexandre Delaigue se demande s’il faut réduire le coût du SMIC pour diminuer le chômage des non-qualifiés et observe que depuis plus de 20 ans, cette idée et celle de la réduction du temps de travail sont toujours sur la table : le débat n’avance guère.
Il me semble que l’on peut aborder de trois manières la question du risque d’un SMIC trop élevé et de son impact sur le chômage
La première consiste à vouloir comparer le coût du travail le moins qualifié avec le valeur ajoutée par les salariés concernés. Le raisonnement est beau sur le papier mais difficile à appliquer, dans la mesure où la principale manière de mesurer la valeur ajoutée …est de prendre le coût donc essentiellement la rémunération chargée. Plus globalement, on peut se demander si le coût du travail n’est pas trop élevé dans un contexte donné pour les entreprises. C’est toute la question du partage de la valeur ajoutée entre les salariés et les entreprises. J’ai déjà dit que cela avait été un problème grave entre 1979 et 1984 à peu près et que s’en est un de nouveau depuis 4 ou 5 ans, (ce qui est le sujet principal du rapport Gallois) ; Mais le SMIC ne joue qu’un rôle marginale dans l’affaire je crois.
Deuxième question, l’impact du coût du travail dans la compétition internationale, dans la concurrence entre entreprises produisant en France et d’autres produisant ailleurs. Il est clair que la situation française (et en particulier celle du partage de la valeur ajoutée) est marquée par la politique salariale allemande entre 2000 et 2010. Mais là encore, le SMIC n’est qu’un des éléments du problème, même si sa hausse peut avoir un effet d’entrainement sur les salaires plus élevés. On notera d’ailleurs que ce ne sont pas les salaires industriels allemands (ceux dont on peut penser qu’ils comptent dans la concurrence) qui sont bas à la suite des réformes menées par Schröeder, mais surtout ceux des services.
La véritable question à mon sens est la troisième, celle du niveau relatif du SMIC par rapport au salaire médian ou moyen : un SMIC relativement trop élevé conduit à un écrasement du bas de la hiérarchie des salaires. Si les titulaires d’un CAP ne gagnent que 5% de plus que les sans diplômes, les bacheliers 10% de plus et les titulaires d’un bac +2 dans les filières les moins favorables que 15% de plus que le SMIC, on comprendra aisément que dans beaucoup de cas les employeurs auront tout intérêt à sur qualifier le niveau d’embauche, problème que l’on constate massivement en France, sauf dans des secteurs considérés comme peu attractifs comme le BTP ou la restauration.
L’étude citée par Alexandre Delaigue montre que le chômage de masse touche surtout les travailleurs les moins qualifiés. Ceux qui n’ont qu’une formation primaire ou n’ont pu obtenir aucun diplôme type CAP ou bac ont un taux de chômage compris entre 14 et 15%, le taux est entre 8 et 9% pour ceux qui ont un CAP ou un bac, de l’ordre de 5% pour ceux qui ont fait des études supérieures.
Mais ces chiffres concernent l’ensemble de la population, ceux qui ont eu un CAP (ou un autre diplôme) en 1975, en 1987 ou en 2012 ! L’observation des débuts de carrière donne des résultats plus inquiétants, d’autant plus si on les regarde sur la durée, comme le fait le CEREQ a travers ses enquêtes « génération ». Voilà donc le taux de chômage trois ans après la sortie de formation initiale et selon le diplôme, pour les générations 1998, 2004 et 2010 :
Diplôme |
Génération 98 |
Génération 2004 |
Génération 2010 |
Sans |
24 |
34 |
50 |
CAP BEP |
14 |
17 |
32 |
Bac prof ou techno |
8 |
12 |
22 |
Bac général |
11 |
13 |
22 |
Bac +2 |
5 |
5 |
15/ 2 |
Licence bac+3 |
7 |
7 |
13 |
Maitrise M1 |
8 |
9 |
|
DEA, DESS M2 |
6 |
6 |
11 |
Ecole d’ingénieurs ou de commerce |
3 |
4 |
9/3 |
Doctorat |
3 |
8 |
9/2 |
Les catégories de 2010 ne sont pas exactement les mêmes que pour les deux autres enquêtes, d’où parfois deux valeurs.
Les enquêtes du CEREQ ont lieu tous les 6 ans. Le hasard des choses a fait que la génération 98 est arrivée en pleine reprise, celle de 2004 dans une conjoncture moyenne et elle de 2010 en pleine crise. Peut-être celle de 2016 profitera-t-elle d’une reprise forte comme celle de 1998. L’une des questions majeures qui se pose à nous est de savoir si les différences de résultats selon les générations dépendent uniquement de la conjoncture ou s’il s’y rajoute une évolution à long terme dont on peut penser qu’elle serait défavorable aux moins qualifiés, le terme touchant tous ceux qui n’ont pas au moins le niveau bac pro
En 2013, pour ceux sortis de formation initiale trois ans avant, le taux de chômage se situe à 2% pour les bac +2/3 de santé et social (les infirmières ont toujours du travail…), ) 2% également pour ceux qui ont un doctorat dans la santé et à 3% pour les titulaires d’un diplôme d’ingénieurs. Pour ceux qui ont voulu et pu faire ces études, tout va bien, merci pour eux.
Mais pour les moins qualifiés, le constat est terrifiant. Le taux de chômage des non diplômés passe de 24 à 34 % de la génération 1998 à celle de 2004 et atteint 50% pour celle de 2010. Bien sûr, il y a la crise : dans le même temps, le résultat d’ensemble passe de 11 à 14 puis à 23%. On pourra dire que le taux de chômage des moins qualifiés a doublé comme celui d’ensemble. Mais 50%, la moitié, cela ne pousse pas à se poser des questions de fond ?
Dans le détail, sur 100 personnes sorties sans diplôme de formation initiale en 2010, 40 sont en emploi en 2013, 40 au chômage, 9 en inactivité (pour 4% pour l’ensemble de la population) et 11 % ont repris une formation (ce qui n’est pas la plus mauvaise nouvelle du tableau). Sur les 40 en emplois, 8 sont en temps partiel subi et 4 en temps partiel choisi. 5 sont en intérim, 8 en emploi aidé et 10 dans une autre forme de CDD. Finalement, seuls 13 ont un « vrai » CDI, contre 85% de ceux qui sortent d’une école d’ingénieur…
On pourrait rajouter que sans diplôme couvre des réalités diverses, entre ceux qui ont arrêté en fin de première générale, ceux qui ont raté leur CAP et ceux qui n’ont même pas accédé à ce type de formation. Et on rajoutera que la première chose à faire, avant même de s’interroger sur le SMIC, c’est de se demander comment diviser par deux le taux de sortants sans diplôme pour arriver aux taux atteints par les finlandais par exemple.
Pour revenir au tableau deux remarques :
- Les titulaires d’un CAP ou d’un BEP semblent à leur tour touchés par un chômage massif, ce qui est très grave. Le tableau sur les salaires selon le diplôme et le genre page 75 de l’étude sur la génération 2010 montre un écrasement de la pyramide des salaires jusqu’au bac
- Au-delà des niveaux, il y a la question des filières, illustrée par les résultats du social (ou la différence des taux de chômage entre les docteurs en santé et les autres). Le choix des filières joue massivement à tous les niveaux, du CAP au Master 2 et au doctorat. Il joue aussi très défavorablement au détriment des femmes.
L’expérience montre aussi que les entreprises ont tendance (tout à fait à tort à mon avis) à sur-qualifier l’embauche, et elles ont un boulevard pour cela dans les périodes de fort chômage
Pour revenir au SMIC, au voit qu’il se pose toujours deux questions en France
- Son niveau est défavorable à l’entrée des jeunes les moins formés (au moins jusqu’au bac) sur le marché du travail, parce qu’ils manquent de compétences sur le comportement à avoir au travail, dans une organisation, compétences que leurs premiers emplois vont leur apporter. D’où l’idée avancée d’un SMIC jeunes, dont on a vu en 2005 ce que la population concernée (ou pas d’ailleurs !) en pensait. D’où aussi le succès des formations en alternance, celles-ci étant certainement une réponse intelligente au problème, ce qui ne signifie pas forcément qu’elle est toujours bien faite
- Son niveau est défavorable de manière générale aux moins qualifiés, parce que la hiérarchie des bas salaires est écrasée. Une autre étude que je n’ai pas pris le temps de rechercher montrait que les évolutions salariales accroissaient (lentement certes) progressivement le phénomène sur la durée
A la louche, il faudrait que le SMIC soit plus bas d’au moins 20% (peut-être même 25%) pour que son ratio avec le salaire médian soit celui qu’on observe dans d’autres pays développés. Et qu’il y ait un SMIC jeunes (en fait débutant, ce n’est pas vraiment une question d’âge) encore 15 ou 20% plus bas.
Politiquement infaisable
On va donc continuer à envoyer nos gosses à l’abattoir sur le marché du travail
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