La tuerie de mercredi dans les bureaux de Charlie Hebdo a déclenché chez beaucoup de français (mais aussi à l’international) une très forte émotion et un réflexe d’affirmation de l’attachement à des valeurs de base de la démocratie exprimées dans l’affirmation « Je suis Charlie » qui me rappelle dans un contexte moins dramatique celle de « nous sommes tous des juifs allemands »
Il ne s’agissait alors que de protester contre l’expulsion de Daniel Cohn-Bendit (le 21 mai 1968) mais il y avait la même revendication de démocratie à travers la solidarité avec une personne attaquée pour ses idées
Il s’agit cette fois ci d’une tuerie, d’un massacre en partie aveugle (les dessinateurs de Charlie Hebdo étaient bien sûr visés mais deux policiers et deux visiteurs qui se trouvaient là ont également été assassinés). Ces meurtres ont suscité une forte émotion autour de moi.
Mercredi soir, quand j’ai retrouvé mon épouse, elle s’est étonnée que je ne sois pas place de la République. Elle-même n’avait pas appris assez tôt ce rassemblement pour s’y rendre mais l’aurait fait volontiers, comme sans doute beaucoup d’autres.
Alors qu’elle avait une urgence de travail (elle en sera quitte pour travailler ce week-end), une de mes jeunes collègues a passé son mercredi après-midi jusque tard dans la nuit collée à Internet, tant elle était choquée. Une autre me disait hier sa tristesse, tant elle avait le sentiment que Charlie était sa famille, l’environnement dans lequel elle a été élevée.
Au-delà de cette forte émotion, j’ai été frappé par la bêtise des assassins. Ceux-là ont été présentés comme des petits voyous radicalisés. Ils avaient manifestement préparé leur action, puisqu’ils connaissaient le nom de tous les dessinateurs qu’ils visaient, mais ils ont réussi à se tromper d’immeuble au départ, et beaucoup plus fort, à laisser une carte d’identité dans la voiture utilisée puis abandonnée : plus amateur, on peut difficilement faire. Dans un contexte beaucoup moins dramatique, cette bêtise me renvoie à celle de ces 4 jeunes qui, il y a quelques jours, ont dévasté un local contenant des produits de dons pour une cause humanitaire et qui ont publié une vidéo de leurs « exploits » sur Internet !
Mercredi soir, le journal de Canal plus affichait « 12 tués, 5 millions de musulmans blessés », phrase que je trouve assez juste.
Je connais assez mal l’Islam, à peu près comme tout le monde, et il y a quelques points qui ne me plaisent guère comme la place de la femme (ah, ces rues arabes où il n’y a que des hommes !) ou le concept de guerre sainte. Mais les musulmans pour moi, ce sont d’abord mes collègues A…, K…, ou R…, qui toutes les trois, ont accepté de figurer sur les listes CFDT que j’ai menées lors des dernières élections professionnelles dans mon entreprise.
A… est sénégalaise et je ne sais qu’elle est musulmane que parce qu’une de ses collègues me l’a dit. Elle est retournée dans son pays il y a quelques mois avec ses deux petites filles, son mari reprenant là-bas la direction d’une usine.
Je connais K… depuis environ 20 ans, elle n’a pratiquement travaillé que dans notre entreprise. Elle est d’origine kabyle mais née en France. Elle fait le ramadan mais ne doit pas être plus pratiquante que cela. Elle me racontait hier que sa fille de 10 ans et en CM2 est revenu de l’école en disant « qu’on allait tuer tous les musulmans ». Ce n’est pas venu des enseignants bien sûr, mais des enfants dans la cour de récréation. Elle voulait lui expliquer les choses et avait préparé des documents pour cela.
R… est née en France dans une famille d’origine marocaine et elle a fait un BTS de secrétariat. Elle est en train de faire une carrière extraordinaire chez nous, elle est passée cadre, puis chef de projet, manager d’équipe à moins de 35 ans et je ne sais pas où elle va s’arrêter. Elle est très organisée, efficace, attentive aux membres de son équipe, un sans-faute et je pense que tout le monde l’apprécie. Elle est pratiquante et suit des cours à la mosquée toutes les semaines. Je n’ai pas eu l’occasion d’échanger avec elle depuis mercredi mais je suppose qu’elle est très choquée, comme tout le monde.
Il y a quatre ans, à l’occasion d’une formation syndicale, je me suis retrouvé à table avec elle et deux autres élus, dont un juif. Elle et lui ont commencé à échanger sur l’importance donnée par leurs religions aux rites, dans un grand respect mutuel. Qui a dit que ce n’est pas possible ?
Musulmans ou pas, les français d’origine maghrébine ou africaine sont aujourd’hui malheureusement trop souvent victimes de discriminations, en premier lieu dans le monde professionnel. C’est une très grave faute collective de notre part. Si nous voulons réellement vivre les valeurs qui, parait-il, nous sont communes, il va falloir qu’ l’on progresse fortement dans ce domaine.
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