Ce 27 décembre, le premier ministre est à Liévin pour célébrer la catastrophe de Liévin, qui fit 42 morts au petit matin, dus à l’explosion du grisou puis à un coup de poussier qui a tué tous les mineurs présents dans le quartier d’exploitation. Une catastrophe qui a donné lieu à la condamnation de l’exploitant au civil en 1981.
Pour qu’il y ait une explosion de grisou, il faut du grisou à une concentration explosive (de mémoire entre 6 et 45% mais je n’ai pas vérifié) et une étincelle (ou une source de chaleur). Il est rare que cette explosion fasse toute seule de gros dégâts, faute de volume suffisant de grisou. Mais elle est généralement suffisante pour soulever la poussière sur son passage et à l’enflammer sui cette poussière est essentiellement composé de charbon : le coup de grisou se transforme en coup de poussier, lequel se propage de proche en proche, tant qu’il y a des poussières de charbon à soulever et rien pour l’arrêter.
Le grisou (pour l’essentiel du méthane, CH4) est enfermé dans le charbon, d’autant plus que la pression est forte. Quand on commence une exploitation, comme c’est le cas ce mois-là dans la veine Six Sillons (appelée Denise à Courrières), la pression diminue dans la veine exploitée mais aussi dans toutes celles situées au-dessus et en dessous. Le grisou migre alors jusqu’à atteindre les galeries d’exploitation. Comme il est plus léger que l’air, il a tendance à se concentrer dans les zones les plus élevées : ici, l’explosion est, si ma mémoire est bonne, partie d’un début de creusement proche de la taille (le chantier d’abattage du charbon).
Qu’il y ait eu du grisou en concentration suffisante n’est pas surprenant : Liévin est alors l’endroit le plus profond du bassin, celui où la pression est la plus forte et donc celui où le charbon contient le plus de grisou. L’aérage permet de le diluer à des concentrations non explosives, mais par définition, là où il sort, il est à de beaucoup plus fortes concentrations. Mais ce n’est pas un problème si c’est avec des volumes très faibles et loin de toute source d’étincelle. C’est pourquoi on mesure les teneurs de grisou là où il y a potentiellement une étincelle : partout où il y a de l’électricité ou quand on utilise l’explosif.
A Liévin, les enquêteurs n’ont pas compris d’où pouvaient venir l’étincelle, ou comment il y a pu y avoir une forte concentration de grisou là où il y avait de l’électricité et où la teneur en grisou était mesuré en permanence. Ce qui fait dire à certains journaux aujourd’hui qu’on ne connait toujours pas la cause de la catastrophe.
En fait, la cause la plus probable a été comprise par les spécialistes environ 4 ans après. En effet, en 1978, un coup de grisou a lieu dans la taille Marcel 22 au siège 3 de Courrières, vers 9 heures du matin. Il met le feu à la zone de foudroyage derrière la taille (ce qui contraindra la direction à faire fermer le quartier, faute de pouvoir éteindre le feu), mais il n’y a que deux blessés. Au même moment, des ouvriers en train de réfectionner une galerie donnent par erreur un coup de marteau piqueur dans un câble de 5000 volts, faisant sauter toute l’alimentation électrique de la zone. Les deux événements sont enregistrés au point de concentration de l’information au jour (le télé vigile) ce qui conduit à faire le rapprochement. Quelques mois et expériences plus tard, la preuve est faite : le défaut électrique a créé des courants vagabonds qui se propageant sur plusieurs kilomètres par le soutènement en acier des galeries a pu créer l’étincelle qui a allumé le feu à Marcel 22 !
D’autres expériences montrent alors que le démarrage des trolleys (qui circulent dans des voies d’entrées d’air où il n’y a pas de grisou) donne lieu également à des courants vagabonds capables d’allumer le grisou à des kilomètres de là. Et on remarque alors que les dernières catastrophes inexpliquées, à Liévin ou à Fouquières (6 morts en 1966) ont eu lieu au début de poste, au moment du démarrage massif des trolleys…Dans les années qui suivent, toutes les masses métalliques sont reliées entre elles et à la terre pour supprimer le phénomène.
Pour éviter que le coup de grisou se transforme en coup de poussier, on mettait en suspension en haut de la galerie des planches couvertes de poussières de craie (des taffanels, du nom de leur inventeur) : en cas d’explosion, elles se mélangent à la poussière de charbon, empêchant la propagation du feu. Ce sont ces planches qui ont empêché à Liévin que le coup se transfère dans toute la mine, comme cela avait été le cas à Courrières (1906, 1099 morts). Mais elles n’ont pas suffi à arrêter la catastrophe dans la zone la plus proche. Par la suite, les taffanels sont remplacés par des bacs à eau (qui explosent sous le choc du coup de grisou), inventés par les allemands à la suite d’une catastrophe qu’ils ont connue quelques années auparavant. Et on couvre le sol et les parois de couches épaisses de craie qu’on envoie par tonnes mais qu’il faut renouveler régulièrement (parce que la poussière de charbon est produite en permanence et que l’eau évacue uène partie de la craie).
Entretemps, il y avait eu 42 morts. Comme on peut l’entendre dans une des vidéos de l’INA, la condamnation civile de la direction était indispensable pour donner aux veuves et leurs enfants des indemnités plus importantes. Le secrétaire général de la CFDT des HBNPC me dira en aparté que ces enjeux financiers ne facilitaient pas la recherche de la vérité.
P.S.1 Plusieurs journaux parlent de la « fosse Six Sillons », alors qu’il s’agit du nom de la veine de charbon exploitée. La fosse est un ensemble accessible par un puits (ou plutôt 2 pour des raisons d’aérage) qui donne son nom à la fosse (c’est le principal des deux puits jumeaux, celui qui descend le plus bas et sert d’entrée d’air qui donne son nom, en fait un numéro généralement, du moins dans cette partie du Bassin du Nord)l
P.S.2 Quelques semaines après la catastrophe, trois jeunes ingénieurs syndiqués à la CFDT des mineurs des HBNPC (Houillères du Bassin du Nord Pas de Calais) sont venus un vendredi soir dans mon école pour parler de la catastrophe et expliquer les reproches que leur syndicat faisait à la direction sur le sujet. Le lendemain matin, je les ai revus dans le train qui me ramenait comme eux dans mon Nord natal. Dans mon souvenir, je les avais trouvés assez partiaux.
La direction avait manifestement le même avis : une dizaine de mois plus tard, jeune embauché des HBNPC au 3 de Courrières, je retrouvais l’un d’eux, leader du syndicat ingénieur, en « quarantaine » un mois avant son licenciement sous prétexte de non observation des règles de sécurité. Ironie de l’histoire : c’est le même, connu à l’époque pour avoir mis en place les premiers équipes autonomes chez Peugeot puis chez Renault, qui m’embauchera 13 ans plus tard dans la toute jeune société de conseil en organisation qu’il venait de fonder, avant de m’apprendre toute les ficelles de mon nouveau métier !
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