François Rebsamen a annoncé mardi la volonté de sanctionner par la radiation les chômeurs qui ne cherchent pas de travail, déclenchant l’ire des syndicats mais aussi de nombres de ses amis politiques et ce titre du Monde de ce soir « lutter contre le chômage, pas contre les chômeurs.
Si le ministre ne semble pas avoir utilisé le terme de « fraudeur », le gratuit Direct matin n’hésite pas à titrer sur « la fraude dans le viseur » et à citer la Cour des comptes qui chiffrait les infractions détectées à 9 millions d'euros en 2009 et 58 millions en 2013, très loin des 33 milliards d'euros distribués annuellement
J’ai pu repérer deux types de fraudes, mais il y en a sans doute d’autres : la première consiste pour celui qui a retrouvé un travail à tarder à le déclarer à Pôle Emploi pour cumuler indemnités et salaire. C’est pour lutter contre cette fraude que Pôle Emploi fait des radiations avec les effets pervers que cela induit.
J’ai observé le deuxième type de fraude dans le bâtiment il y a une dizaine d’années. A l’époque les employeurs avaient des difficultés de recrutement et certains de leurs ouvriers maçons en CDD refusaient les CDI qu’on leur proposait. En fait, ils faisaient 6 ou 9 mois en CDD puis s‘inscrivaient quelques mois à Pôle emploi pour partir en vacances pendant ce temps ou plus souvent travailler au noir. Ce petit jeu n’était possible que parce qu’ils étaient pratiquement sûrs de trouver du travail(ce qui ne serait plus vrai aujourd’hui) et que le travail au noir se fait beaucoup dans le secteur.
Toujours est-il qu’il me parait normal de lutter contre ce type de fraude qui se fait aux dépens des comptes de l’assurance chômage, donc des chômeurs
Ce que le ministre du travail a évoqué est un tout autre sujet, celui de gens qui ne chercheraient pas vraiment de travail, profitant du système. Le problème est que c’est extrêmement difficile à évaluer !
Il y a manifestement des personnes qui considèrent que les indemnités sont un droit qu’ils ont acquis en cotisant (ce qui est tout à fait exact !) et qui en tirent la conclusion qu’ils n’ont pas à se presser pour chercher du travail : par exemple s’ils ont droit à 12 mois indemnisés à 100% dans le cadre du Contrat de sécurité professionnelle (CSP), à la suite d’un licenciement économique, ils pensent que l’idéal est pour eux de ne retrouver du travail qu’au bout de 10 ou 12 mois.
Il y a deux bonnes raisons de lutter contre ce genre de comportement :
D’abord, parce que, contrairement à ce qu’on peut penser intuitivement, le fait que la rencontre entre une offre d’emploi et une demande se fait vite contribue à la baisse du chômage
Ensuite, parce que plus le temps passe pour un chômeur, plus il est difficile de retrouver un travail : un chômeur perd progressivement son employabilité. Le chômage longue durée est donc un problème majeur pour les personnes elles-mêmes et pour la société.
Deux petites histoires pour illustrer mon propos
La première se déroule il y a 35 ans environ. Un jeune directeur d’usine se voit demander par sa direction de mettre en œuvre un plan social. Ne voulant pas participer à une opération qui lui semble contraire à ses valeurs, il démissionne. Très peu de temps après, il a une offre d’emploi, mais celle-ci ne lui convient pas pour des raisons que j’ignore. Ayant trouvé cette offre très vite, il pense que le marché lui est favorable et la refuse : il a ensuite été deux ans au chômage, a accepté ensuite un travail purement alimentaire avant de rebondir dans un autre secteur.
Je ne peux que conseiller de ne pas faire ce genre d’erreur, et plutôt d’imiter cette ancienne collègue qui, consultante en informatique dans une boite qui ferme, accepte immédiatement un poste équivalent dans une autre entreprise alors qu’elle souhaite changer de métier : deux mois après, elle trouve un poste correspondant à ses désirs. Elle avait le bon âge (un peu plus de trente ans) pour être très employable, mais elle n’a pas pris de risque. Il faut malheureusement dire qu’il est plus facile de trouver du travail quand on en a déjà un, parce que les employeurs sont frileux et parce qu’on est mieux dans sa peau et que cela change l’impression qu’on donne.
Ma deuxième histoire est toute récente et concerne une personne que je connais très bien. Animatrice à ¾ temps dans un centre social, elle est licenciée il y a un an en raison de la fermeture de ce centre. Sur le papier, son dossier n’est pas terrible : elle a largement plus de 50 ans et elle n’a pas le diplôme de son métier (elle n’a que le BAFA et un BAFD non renouvelé). Le conseiller Pôle emploi qui la reçoit la première fois découvre que la réalité est plus rose : elle a démarré une VAE depuis déjà quelque mois, elle a trouvé un travail à temps très partiel dans le cadre de la réforme des rythmes scolaires, et elle a un projet de proposer des activités avec un statut d’auto entrepreneur.
Mais le temps passe et son prochain rendez-vous, un an après son licenciement, risque de mal se passer : manifestement, elle ne cherche pas de travail et n’a donné aucune suite aux propositions de travail comme animateur BAFA qui lui ont été envoyées automatiquement par Pôle Emploi.
De son coté, elle est en train de terminer sa VAE (c’est en fait une démarche très lourde), elle a gardé son temps très partiel, a déposé son statut d’auto entrepreneur et propose quelques heures par semaine des activités dans le cadre d’une association qui l’héberge. Elle trouve que Pôle Emploi n’a pas vraiment cherché à comprendre son projet mais a voulu à toute force la rentrer dans des cases.
L’histoire se termine bien : l’association qui l’héberge vient de lui proposer un emploi à ¾ temps sur un contenu qui est exactement ce qu’elle veut faire et elle a démissionné de son autre temps partiel.
Cette deuxième histoire montre toute la difficulté à évaluer le comportement d’un chômeur. Dans ce cas précis, la personne a toujours gardé son employabilité (toujours en dynamique et pas de trou dans son CV). Si elle a eu une proposition, sans la chercher et malgré son âge, c’est qu’elle a des qualités professionnelles qui en font aux yeux des personnes qui la connaissent une très bonne dans son domaine. Il valait bien mieux la laisser construire son projet à sa manière. Mais évidemment, tous les chômeurs ne sont pas dans cette situation, et certains ont besoin d’être plus accompagnés et plus « activés », comme on dit dans le jargon des conseillers emploi !
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