La manière dont les médias ont repris une « enquête » réalisée par une organisation militant contre les pesticides et les perturbateurs endocriniens n’est pas à l’honneur du Monde, qui est, dans mon faible échantillon, celui qui prend le moins de recul et informe le plus mal ses lecteurs sur le sujet.
D’après le Monde, l’association « Générations futures » a publié le 29 avril une étude alarmante sur la présence dans les cheveux d’enfants de nombreux résidus de pesticides et de perturbateurs endocriniens, chez 30 enfants vivants dans des zones agricoles à vocation variable mais aussi en ville.
Le titre de l’article (Des enfants exposés à des centaines de résidus pesticides) est particulièrement stupide : on a trouvé au total 624 résidus de pesticides, ce qui conduit le journal à parler de centaines. Si l’étude avait porté sur 10 fois plus d’enfants, on aurait eu 10 fois plus de résidus : le titre serait devenu « des enfants exposés à des milliers de résidus de pesticides !!
Le quotidien précise que 63% des enfants vivent à moins de 50 mètres d’une zone agricole connaissant des pulvérisations, les autres étant à moins de 200 mètres d’une telle zone. Les précisions sur le lieu de leur école ne servent qu’à accentuer l’impression (il n’est pas très étonnant qu’un jeune enfant vivant en milieu agricole aille dans une école située au moins en milieu semi rural !).
Le Monde cite ensuite les résultats suivants, avant de passer à des considérations plus générales sur le problème : « L'analyse des 29 échantillons a fait apparaitre 624 résidus de pesticides suspectés d'être des perturbateurs endocriniens, soit, indique l'association, une moyenne de 21,52 résidus par échantillons. Au total, treize substances interdites dans l'agriculture ont été retrouvées dans les cheveux de ces enfants. En moyenne, un taux de 640 picogrammes de matières actives par milligramme de cheveux a été retrouvé. »
Ce qui m’avait fait réagir à la lecture de cet article (avant que j’en cherche d’autres), c’est cette mention de picogrammes : je suis sûr que presque personne, et moi le premier, ne sait à quoi correspond un picogramme (d’ailleurs, mon correcteur Word ne connait même pas le mot !) et donc si la valeur trouvée est ou non importante. Le Monde aurait dû faire un peu de pédagogie comme le fait « dossierfamilial.com » qui écrit « : La teneur en pesticide s'élève en moyenne à 639 picogrammes (ou 0,000639 microgramme) par milligramme de cheveux ». Et tant qu’à faire de la pédagogie, expliquer comment les molécules de toutes sortes se retrouvent dans les cheveux (et dans quelle mesure elles se concentrent, mais là c’est sans doute trop demander !)
Autre point curieux, le grand nombre (plus de 21 en moyenne) de pesticides différents trouvés par enfant : à première vue, on imagine qu’il n’y a pas plus de 2 ou 3 agriculteurs différents dans l’environnement proche des enfants concernés.
Le Monde n’ayant donc pas été très disert, j’ai donc cherché d’autres articles, et arrêté ma recherche après en avoir trouvé trois autres. J’ai ainsi appris que :
· Une étude menée il y a près de 10 ans par l’endocrinologue questionné par le Nouvel Observateur avait déjà mis le doigt sur le problème des produits organiques persistants. L’étude portait sur 6000 nouveaux nés, pas sur 30 enfants !
· Le premier conseil donné par ce même spécialiste consiste à « éviter le tabac pendant la grossesse (présence de nombreux perturbateurs en dehors de la nicotine) » !
· Il y a bien d’autres sources que l’agriculture aux produits trouvés nous dit France Info : Le Fipronil par exemple est interdit pour les cultures mais il est encore largement utilisé dans les colliers ou les lotions anti-puce des chiens et des chats. Les insecticides domestiques : les diffuseurs anti-moustiques, les produits contre les pucerons des rosiers sont aussi une source de contamination.
· L'usage domestique de bombes insecticides (anti moustiques) et de produits anti-parasitaires (antipuces pour chien et chat) est également pointé du doigt. (dossierfamilial.com)
La présentation du Monde pointe clairement vers le seul monde agricole, par l’insistance sur la provenance des enfants et par une photo de tracteur en train d’épandre en tête d’article. Or la lecture de l’étude montre que les origines des produits sont beaucoup plus variées, comme nous l’ont déjà dit les autres articles. Les résidus de pyréthrinoïdes liés à une bombe insecticide chez un seul enfant représentent à eux seuls plus de 28% de la masse totale mesurée sur l’ensemble des enfants.
L’association a mis en fin de présentation une « mise en garde sur les limites de l’enquête », en raison d’une « population restreinte et volontaire » qui conduit à ce que « les résultats contenus dans ce dossier n’ont pas de valeur statistique significative au regard du faible nombre d’échantillons analysés ».
Effectivement, la moyenne de 639 picogramme par milligramme recouvre d’énormes différences, puisque les résultats par échantillon vont de 99.6 à 5657.31 picogramme/mg cheveu. Les 639 annoncés n’ont donc pratiquement aucun sens.
Le journaliste du Monde n’a vraiment pas fait son travail. Il a simplement repris quelques informations dans le dossier fourni, sans aucun apport, comme aurait pu le faire un journal gratuit. Mais les promoteurs de l’étude ont fait un travail militant dont ils tentent de faire croire qu’il est scientifique.
D’un point de vue méthodologique, on peut en effet faire trois reproches importants à l’étude
1. 1) L’étude met en avant le fait que les enfants concernés habitent en bordure de zone agricole mais il n’y a pas de comparaison avec une population témoin, donc on ne peut strictement rien conclure sur l’impact de l’agriculture, d’autant plus comme on l’a vu que les résidus trouvés sont loin d’être tous d’origine agricole
2. 2)Alors que les auteurs reconnaissent que les résultats n’ont pas de valeur statistique significative, ils donnent les résultats avec des chiffres après la virgule ! Le .31 du résultat de 5667.31 cité plus haut ne provient très probablement pas de la précision des machines utilisées mais très probablement du fait qu’on a fait une division par un poids de cheveu qui n’était pas entier. C’est du grand n’importe quoi.
3. 3)L’étude porte sur 30 enfants, mais il y a 29 échantillons ! On peut imaginer que les cheveux de deux enfants d’une même fratrie ont été mélangés lors de l’envoi. Les avoir utilisés malgré tout montre un manque total de sérieux.
J’aurais aimé que mon journal favori fasse ce type de remarques !
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