Pour les catholiques, la famille est une communauté privilégiée. L’amour entre époux reflète celui de Dieu et la famille est cellule de base de la vie en société, celle où se pratique au quotidien le partage entre membres de plusieurs générations, où peut aussi se transmettre la Bonne Nouvelle de l’Evangile.
L’Eglise donne du mariage la définition suivante : L'alliance matrimoniale, par laquelle un homme et une femme constituent entre eux une communauté de toute la vie, ordonnée par son caractère naturel au bien des conjoints ainsi qu'à la génération et à l'éducation des enfants, a été élevée entre baptisés par le Christ Seigneur à la dignité de sacrement.
Dans la mythologie grecque, Philémon et Baucis, célébrés par le poète Ovide, représentent tout ce que l’amour réciproque et éternel dans un couple peut apporter à celui-ci. C’est dire si l’idée que pouvoir constituer un couple durable est une occasion (voire une condition) de bonheur n’est pas spécifique aux chrétiens. Ce qui l’est, c’est plutôt que l’amour que l’on peut ressentir pour son conjoint ou recevoir de lui peut donner une (petite) idée de l’amour de Dieu.
Un jour, un article de mon journal favori parlait d’un jeune, confronté à une situation difficile (je ne me souviens plus du tout de laquelle) et soulignait le fait que s’il avait réussi à s’en sortir, c’était en partie grâce à l’amour inconditionnel de ses parents. J’avais beaucoup aimé cette expression d’amour inconditionnel. C’est celui du père dans la parabole du fils prodigue. Tous les parents savent que ce n’est pas si facile que cela, mais il est vrai que de nombreuses personnes ont pu se construire positivement parce qu’ils ont ressenti de la part de leurs parents un amour qui leur a donné confiance en eux et les a préparé à être capable à leur tour d’aimer les autres.
Tout cela pour dire que je me sens tout à fait à l’aide avec le regard positif posé par mon Eglise sur la famille lieu privilégié d’amour.
Mais l’Eglise catholique ne fait pas que célébrer l’amour conjugal et filial. A vouloir valoriser un idéal, il me semble qu’elle a construit des règles qui pourraient aider à vivre mais qui trop souvent servent au mieux à donner mauvaise conscience à ses fidèles, au pire sert à les rejeter loin de la communauté chrétienne.
Faisons le compte : virginité avant le mariage, contraception limitée aux méthodes dites naturelles car il faut « accueillir la vie », mariage indissoluble et impossibilité d’accéder à la communion pour les divorcés remariés parce que le mariage est un sacrement. La hiérarchie catholique n’a-t-elle pas fait autour des questions de couples ce que Mathieu l’évangéliste reprochait aux « scribes et aux pharisiens », c’est-à-dire les enfermer dans un système rigide de règles qui ne leur permet plus d’accéder à l’essentiel ?
L’étude des évangiles montre une importance de plus en plus grande donnée avec le temps à Marie (et à Pierre), entre le premier écrit (celui de Marc) les deux suivants (ceux de Luc et Mathieu) et le dernier (celui de Jean). Ces évolutions reflètent certainement l’approfondissement de la pensée des communautés mais aussi la nécessité d’arbitrer entre diverses influences : faire de Marie une vierge, donner la primauté à Pierre, c’était à la fois privilégier les disciples par rapport à la famille de Jésus (dont Jacques, appelé Frère du Seigneur dans les actes des Apôtres, et qui dirigeait la communauté de Jérusalem) et privilégier les « gentils » convertis par rapport aux judéo-chrétiens.
En donnant à Marie une importance parfois démesurée, en célébrant les femmes sous les seuls aspects de Vierge et martyre ou de mère de famille n’existant que pour son conjoint et ses enfants, l’Eglise finit par occulter tout ce que les paroles et les actes du Christ vis-à-vis des femmes avaient de révolutionnaires : on pense à Marthe et Marie, à la femme hémorroïde, à la femme adultère ou à celle de mauvaise vie qui vient verser du parfum sur les pieds de Jésus. L’Eglise finit par revenir à l’enfermement classique (et machiste) de la femme qui ne peut être qu’une femme soumise ou une pécheresse que l’on rejette.
Peu après le concile Vatican 2, le pape Paul VI a publié l’encyclique « Humanité Vitae » dont beaucoup n’ont malheureusement retenu qu’une chose : l’interdiction des méthodes de contraception modernes qui étaient en train de se répandre dans le monde entier. Cette décision a conforté l’idée que certains avaient, et selon laquelle les célibataires qui dirigent l’Eglise ne peuvent vraiment accepter que les couples profitent pleinement de relations sexuelles dont ils sont privés. Sans aller jusqu’à ce jugement excessif, on peut se demander pourquoi certains clercs (pas tous en réalité, loin de là) sont à ce point obsédés par ce qui se passe dans le secret des alcôves d’un couple.
Il me semble surtout que l’Eglise n’a pas pris conscience de la révolution démographique que traverse l’humanité, et de l’importance de ses conséquences. On peut trouver que la condamnation des filles mères par la société d’hier était particulièrement dure (d’autant plus qu’elle mettait tout le poids de l’exigence de virginité sur la femme, l’homme pouvant faire ce qu’il voulait selon le principe : garder vos poules, je lâche mon coq).
Mais cette exigence était aussi de fait une protection des femmes pour leur permettre de ne pas se retrouver seule avec un enfant, dans une situation économiquement très difficile. Avec l’interdiction des relations sexuelles avant le mariage et la fidélité dans celui-ci, se jouait un échange tacite : en se mariant, l’homme acceptait de subvenir aux besoins des enfants et de les protéger, en n’ayant des relations sexuelles qu’avec son mari, la femme lui garantissait que les enfants à protéger étaient de lui.
La situation a aujourd’hui radicalement changé avec la révolution de l’hygiène et de la médecine. Hier, l’humanité se perpétuait en combinant forte natalité et forte mortalité. Aujourd’hui, la natalité nécessaire au renouvellement des générations est quasiment égale à deux enfants par femme. De plus les hommes et les femmes ont une espérance de vie fortement allongée : quand hier, les femmes passaient une grande partie de leur vie d’adulte enceintes ou en train d’allaiter, cela ne représente plus aujourd’hui qu’une faible partie de leur vie. De plus, le temps d’apprentissage est devenu tel que les femmes ont leur premier enfant vers 30 ans.
Dans une période où la contraception a permis de se protéger du risque de se retrouver avec un enfant sans avoir les moyens de s’en occuper correctement, parce que la femme se retrouve seule ou que les parents sont trop jeunes, la réalité de ce qu’on a appelé la cohabitation juvénile concerne l’immense majorité des couples. L’Eglise peut légitimement demander que ce temps d’apprentissage de l’autre ne se réduise pas à une simple consommation sexuelle de l’autre. Mais ne peut–elle pas entendre que cette vie à deux, cette confrontation aux gestes du quotidien fait partie de ce qui aide les jeunes à construire des couples solides ? Et que la séparation n’est vraiment grave que s’il y a des enfants ?
Le questionnaire pour le synode comporte une question que j’ai trouvé hallucinante, la question 7f : Comment promouvoir une mentalité plus ouverte envers la natalité? Comment favoriser la croissance des naissances ?. Autant on peut comprendre que l’Eglise demande à un couple de ne pas se contenter de vivre sur soi, mais de s’ouvrir aux autres, et en particulier (mais pas seulement) à l’arrivée d’enfants, autant je ne comprends pas qu’on puisse souhaiter une augmentation de la natalité globale !
On peut parler fidélité et projet de construire pour toujours à ceux qui veulent se marier : il est clair que cette proposition raisonne positivement avec leur propre projet. Pour autant, doit-on laisser la porte fermée à ceux qui ont échoué ? Dans de nombreux cas, la relation au sein du couple est tellement dégradée qu’une séparation vaut mieux pour tout le monde (y compris s’il y a des enfants). Et certains ont eu la chance de rencontrer ensuite une personne avec laquelle ils construisent une relation beaucoup plus vraie et réussie que la première qu’ils avaient tentée : tout le monde a ce genre de cas dans son entourage.
L’Eglise refuse le pardon qui rouvrirait la porte de la communion parce qu’elle a fait du mariage un sacrement (il peut n’être qu’une bénédiction, mais les prêtres en font rarement la publicité). Comme on l’a vu dans la définition du mariage, l’Eglise présente son sacrement comme institué par Jésus. En réalité, le mariage n’est devenu officiellement un sacrement qu’en 1215, au concile de Latran.
Un mot pour finir sur l’accueil des homosexuels. Une de mes collègues de travail est lesbienne, et a été rejetée par sa famille pour cette raison : on imagine comment elle peut le vivre ! Plusieurs de mes amis ont vu un de leurs enfants se découvrir homosexuel et s’efforcer de vivre avec. Ces amis ont manifesté, me semble-t-il, cet amour inconditionnel dont je parlais plus haut et accompagné leur enfant dans son cheminement, sans vouloir lui imposer leur norme. Je ne crois pas que cela ait été particulièrement facile pour eux, cela les a forcément remis en cause, et je préfère ne pas avoir vécu cette situation. Mais cette attitude basée sur un amour inconditionnel, n’est-ce pas ce que devrait proposer l’Eglise ?
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