Le ministère de la famille envisagerait de baisser à 16 ans l’âge du droit de vote aux élections locales. L’objectif serait de « responsabiliser les adolescents pour en faire des citoyens éclairés». L’objectif est louable mais on peut sérieusement se demander si la méthode proposée est la plus adaptée, parmi celles à la disposition de la puissance publique.
Le Larousse donne comme définition au mot responsabilité : « position qui donne des pouvoirs de décision, mais implique que l'on en rende compte ». Pour faire simple, à la fois des droits et des devoirs, les deux étant liés (ce sont les droits qui impliquent des devoirs correspondants)
En l’occurrence, on voit plutôt cet élément du projet gouvernemental comme un droit nouveau que comme une responsabilité (quel est le devoir correspondant ?) et surtout, on ne voit guère en quoi cela va en faire des citoyens éclairés !
Et pourtant, il y a dans cette idée de pré majorité une intuition qui mérite d’être creusée : l’idée qu’on ne peut passer d’un statut de mineur, pendant lequel on ne serait pas responsable à un statut où on le serait, sans période d’apprentissage.
L’apprentissage de la responsabilité me parait effectivement un élément essentiel de la préparation à l’âge adulte ! Le lieu de cet apprentissage est d’abord celui de la famille, puis tous les lieux où va vivre un enfant puis un jeune.
Il se trouve que l’Etat est l’organisateur d’un des lieux où l’adulte en devenir passe une partie importante de son temps : l’école, qu’elle soit maternelle, élémentaire, collège, lycée et même enseignement supérieur.
Après mai 68 et la remise en cause de pratiques autoritaires qui l’ont accompagné, l’Education Nationale a pris le concept d’auto discipline comme justificatif de la suppression des surveillants ou pions : il s’agissait déjà de prendre le problème à l’envers en pensant que cette suppression suffisait automatiquement à rendre les jeunes responsables, au lieu de s’organiser pour vraiment leur apprendre à l’être, tache autrement plus difficile que de voter une loi ou de réduire les effectifs mis à la disposition des responsables d’établissements.
Si l’Etat veut vraiment responsabiliser les jeunes, qu’il change la manière dont ces jeunes sont gérés au sein de l’Education Nationale. Et avant même de leur donner le droit de refuser un redoublement ou de choisir son orientation, revoyons la manière dont ils peuvent prendre leur place dans la classe.
J’avais écrit il y a quelques années un article à propos d’un collège allemand où on demandait aux élèves de balayer leur classe en fin de journée. Au-delà de cet exemple particulier, je trouvais positif de donner aux enfants la possibilité, à leur niveau bien sûr, de participer à la vie collective et de leur donner ainsi le sens des responsabilités. Je n’ai pas changé d’avis depuis !
J’ai appris depuis, que dans un département de la région parisienne, le conseil général incite les établissements à demander aux jeunes qui mangent à la cantine de poser leur chaise retournée sur la table quand ils ont fini de manger. L’objectif est de réduire la charge physique du personnel chargé de nettoyer ensuite les lieux : lever et retourner plusieurs centaines de chaises contribue à des problèmes de dos ou des TMS (troubles musculo squelettiques) : les conseils généraux qui ont hérités de l’Etat la gestion du personnel technique des lycées ont découvert que l’Etat ne gérait pas les problèmes d’incapacité physique. Mais on sait que l’Etat ne s’astreint pas aux contraintes qu’il impose…).
Je semble m’éloigner. Pas tant que cela pourtant : je trouve normal qu’un jeune aille déposer son plateau à la fin de son repas, parce que c’est un moyen de participer à la vie collective, directement compréhensible par les jeunes. L’exemple ci-dessus est plus un moyen de faciliter le travail d’un autre acteur de la vie collective. Il a un intérêt pédagogique (comprendre qu’on est interdépendant et donc qu’on se doit d’être solidaire) mais à condition qu’il soit bien expliqué.
On peut cependant aller plus loin dans la responsabilisation des jeunes, en leur donnant le droit à la parole sur leur vie collective dans la classe. Cela s’appelle un conseil, et de nombreuses méthodes pédagogiques incluent ce qu’on appelle une pédagogie institutionnelle. Quel meilleur moyen de comprendre les principes de la démocratie que de la vivre au quotidien ?
C’est clairement un système qui marche : tous ceux qui ont bénéficié de la méthode Freinet ou du scoutisme peuvent en témoigner. C’est évidemment en contradiction flagrante avec la méthode verticale qui caractérise 99 % de l’enseignement français, quand la plupart de nos voisins pratiquent une pédagogie plus horizontale, et ne s’en plaignent pas !
Malheureusement, il ne suffit pas de décréter un tel mode d’animation d’une classe : il faudrait former tous les enseignants ! Et je crains qu’une telle pédagogie soit non seulement plus complexe à mettre en œuvre, mais qu’elle fasse plus de dégâts si elle est mal faite.
La ministre de la famille semble préférer lancer une opération poudre aux yeux, facile à mettre en place. Qu’elle importance alors si son impact est nul ?
PS : Justement, un rapport sur la démocratie lycéenne, destiné au premier ministre vient de sortir. Il porte sur l'implication des lyécenes élus dans l'établissement. Quand comprendra t-on qu'il faut commencer par le commencement, c'est à dire le dialogue dans la classe?
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