Dans un article « d’analyse » de l’intervention du Président de la République, Patrick Roger, journaliste du Monde, estime que la politique économique de François Hollande se fait dans le sens d’une politique d’offre, en faveur des entreprises et au détriment des ménages . Il conclut que ce choix pourrait être « dangereusement contre-productif ».
L’auteur de l’article considère que le gouvernement « a tout misé sur le rétablissement des marges des entreprises » mais estime que ce choix présidentiel « mérite d’être questionné ». Il se lance ensuite dans une analyse destinée à prouver qu’il ne faut pas s’appuyer sur le « seul levier de la politique de l’offre »
Pour la suite de l’article, convenons d’une simplification et d’appeler politique de la demande une politique consistant à augmenter les dépenses sur le marché, soit par une redistribution aux ménages, soit par de nouvelles dépenses de l’Etat, et politique de l’offre une politique consistant à améliorer la situation des entreprises (notamment par une baisse de la pression fiscale qui pèse sur elles) de manière à ce qu’elles investissent et/ ou produisent plus.
Le journaliste commence donc par expliquer qu’effectivement, depuis 2007, le taux de marge des entreprises(en fait la part des entreprises dans la valeur ajoutée) a reculé de 31.7% à 28.4%. Mais il s’empresse d’ajouter que depuis le début des années 1980, où il avait atteint son point le plus bas à 23.1%, il est reparti à la hausse pour s’établir durablement autour de 30%. Il poursuit pour noter que le taux d’investissement n’a pas suivi cette tendance haussière, non pas à cause du coût du travail, qui a augmenté moins vite que la productivité sur la période, mais à cause du coût du capital, la part des revenus nets distribués étant passée de 5.6% de la valeur ajoutée en 199 à 9% aujourd’hui.
Il faut bien sûr à notre tour questionner cette interprétation des chiffres, d’une part en sortant du mélange des périodes qu’il utilise et ensuite en le resituant dans le contexte économique qui est le nôtre , celui de la zone euro.
Le journaliste remonte d’abord au début des années 80. Il aurait pu préciser que le taux de partage de la valeur ajoutée constaté à cette époque s’est traduit par des faillites en cascade (Simca a disparu à cette époque, PSA a failli en faire autant et Renault a perdu 10 milliards de francs en 1984), par une diminution de l’emploi et une explosion du chômage : celui-ci a augmenté de 1.5 millions en quelques années. Il a fallu le plan Mauroy Delors pour redresser les marges des entreprises (et effectivement faire progresser les salaires moins vite que l’inflation) avec le résultat qu’à partir de 1985 le pays se mette de nouveau à créer plus d’emplois qu’il en détruisait. Je ne pense pas qu’il soit utile de recommencer l’expérience.
Depuis cette époque, comme l’a montré le rapport Cotis sur le sujet, la part des entreprises dans la valeur ajoutée s’est située un peu au-dessus de 30%, du côté des 31.7% observés en 2007. On peut bien sûr en discuter, mais ce taux parait à peu près raisonnable pour permettre aux entreprises d’investir. Etre durablement et nettement en dessous fait prendre un grand risque à notre pays de retrouver la situation du début des années 80. Or, avec les taux actuels (autour de 28.5%), on est clairement dans la zone de risques, d’autant plus que cela fait maintenant plus de 3 ans que cela dure. C’est d’ailleurs un des éléments essentiels du rapport Gallois, il faut prendre les moyens de revenir aux niveaux antérieurs. Reprocher au gouvernement actuel de chercher à le faire est une véritable erreur, la question devrait plutôt être de savoir s’il le fait suffisamment vite.
Maintenant que nous avons vu que le gouvernement ne fait pas à proprement parler une politique visant à privilégier l’offre mais simplement à revenir sur ce sujet à une situation moyenne (ou normale au choix) regardons ce qu’il en est de la demande. Et parlons un peu Europe et zone euro.
En effet, dans un monde économique ouvert, l’augmentation ou la diminution de la demande ne rencontre pas la seule offre nationale, mais aussi l’offre étrangère, et d’abord européenne, et d’abord celle de notre premier partenaire, l’Allemagne.
En 1981, le gouvernement socialiste a voulu faire une politique de relance par la demande des ménages et de la puissance publique. La situation des entreprises françaises, l’inflation à plus de 15% par an que connaissait notre pays, ont fait que cette demande a d’abord profité à nos voisins. Trois dévaluations plus tard, il a bien fallu venir à ce qui est devenu la politique de désinflation qui a débouché sur la reprise de la fin des années 80.
Avec la hausse des prix du pétrole, la balance commerciale française s’est fortement déséquilibré jusqu’à la crise de 2008. Elle s’améliore progressivement depuis, les moindres pertes de compétitivité « hors-prix », le tassement de la demande intérieure et l’amélioration de la compétitivité-prix ont chacun permis de compenser le ralentissement des débouchés extérieurs
Depuis 15 ans (et notamment depuis la fameuse phrase de Jacques Chirac sur la – prétendue - cagnotte), les gouvernements successifs ont favorisés la demande, celle des ménages et de l’Etat. Il se trouve que dans le même temps, notre voisin allemand mettait en place une politique d’offre presque agressive (eux ont vraiment augmenté la part des entreprises), avec au contraire une demande qui ne progressait presque pas. La croissance de l’Allemagne, ses succès commerciaux, se sont faits en partie au détriment de ses voisins de la zone euro, dont la France.
Les allemands ont bien compris que s’ils ne voulaient pas la mort de la zone euro, il leur fallait augmenter leur demande intérieure. Ils ont pour cela deux difficultés :
d’une part ils ne veulent pas renoncer au rétablissement de leurs comptes publics, qui a été suffisamment difficile à obtenir
d’autre part, ils doivent agir avec doigté pour ne entrainer un effet boule de neige
La solution à la première contrainte est connue : il s’agit d’augmenter les salaires, ce qu’ils peuvent faire sans mettre en risque les entreprises, vu les bons résultats de celles-ci. Il ne s’agit cependant pas non plus d’aller trop loin.
La solution à la deuxième contrainte est plus complexe. Il faut dire ici que le problème est fréquent et ne se pose pas que pour les salaires, mais aussi quand on augmente la dépense publique pour relancer la demande : comment faire pour que cette augmentation ne soit que provisoire ?
Pour la dépense publique, on sait qu’il vaut mieux financer des investissements (que l’on pourra réduire) qu’augmenter le nombre de fonctionnaires (qui sont là pour 40 ans), la difficulté étant alors de réaliser suffisamment vite les investissements pour que les dépenses ne soient pas reportées à un moment où la reprise sera déjà là !
Pour ce qui est des salaires, la question est celle de la boule de neige entre salaires et inflation : si les allemands augmentaient les salaires de 10% par exemple, ils risqueraient de provoquer une poussée d’inflation. Même si celle-ci était limitée à 6 ou 7 % elle pousserait les salariés à réclamer une nouvelle hausse d’au moins le même niveau l’année suivante, avec donc un effet boule de neige. Pour ces raisons, les allemands, qui ont horreur de l’inflation pour des raisons historiques, ont le sentiment de faire déjà un gros effort vis-à-vis de leurs partenaires européens en acceptant des augmentations supérieures à 3% l’an.
Comme on le voit, le gouvernement fait une politique économique tout juste raisonnable. Il tente d’aider les entreprises à redresser leurs marges pour éviter une augmentation des faillites et des importations. Il diminue le déficit public pour éviter que les taux d’intérêts dérapent. Il taxe les ménages les plus favorisés en espérant que ceux-ci diminuent leur épargne plutôt que leur consommation. Il pourrait aller plus vite sur les compte des entreprises ou pour diminuer la dépense publique.
En moyenne, il vaut probablement mieux avoir une politique équilibrée entre l’offre et la demande. En pratique, le choix dépend du contexte. Aujourd’hui, il est important de sauver l’offre et il serait déraisonnable de vouloir relancer la demande. Notre journaliste devrait à cet égard plus regarder la situation et moins ses convictions préalables propres.
Les commentaires récents