Avec l’augmentation constante de la durée de cotisation se développe une inquiétude sur le devenir futur des jeunes générations et sur l’âge probable de leur départ en retraite, d’autant plus que, augmentation de la durée de formation initiale aidant, ces mêmes jeunes générations sont entrées plus tard que celles de leurs parents dans la vie active.
La réforme des retraites en cours de définition a été l’occasion de ressortir une étude de la DREES sur « les droits à la retraite des jeunes générations » qui date de 2009 et repose en partie sur l’enquête patrimoine de l’INSEE de 2004 et en partie sur un échantillon de cotisants datant de 2001 : comme quoi, le débat public peut porter sur des données relativement anciennes. Il est vrai que la question des retraites est par excellence une question du long terme.
Cependant, en raison des nombreuses réformes réalisées depuis 20 ans, les réalités évoluent selon les générations. Ainsi, une étude parue en mai 2009 a montré que plus de la moitié des salariés du privé nés en 1938 ont cessé leur activité avant de liquider leurs droits à la retraite. L’étude de l’INSEE parue en juin 2013 et dont j’ai parlé dans la foulée montre que la réalité a beaucoup changé pour les générations suivantes et est notamment profondément modifiée pour les générations nées après 1950 du fait de la disparition de la dispense de recherche d’emploi.
Avant de rentrer dans le contenu de cette étude et dans son interprétation, il est important de rappeler quelques modalités de calcul des droits à la retraite. On remarquera en effet que l’étude porte sur les durées d’emploi et non sur les droits pour la retraite, et qu’elle fait apparaitre une diminution des durées d’emploi avant 30 ans au fil des générations pour deux raisons complémentaires : une augmentation de la durée d’études et une augmentation des difficultés d’insertion dans l’emploi en début de carrière.
Le nombre de trimestres est calculé année par année, le nombre de trimestres attribués ne pouvant jamais être supérieur à 4. Pour une période d’activité, le nombre de trimestres est calculé en fonction de salaire sur lequel il y a eu cotisation, quelle que soit la période qui a permis ces gains (sauf si l’année n’est pas terminée au moment du calcul). Un salaire cumulé égal à 200 fois le SMIC horaire donne le droit à un trimestre, il faut 800 fois le SMIC horaire pour se voir attribuer 4 trimestres. La durée annuelle du travail à 35 heures étant de 1600 heures, un salarié à mi-temps au SMIC bénéficiera de 4 trimestres.
Il est prévu pour la réforme en cours de faire passer ces 200 heures à 150 heures pour faciliter le droit à la retraite des salariés à temps partiel, ce qui peut paraitre curieux juste au moment où, à la suite de l’ANI du 10 janvier 2013 la durée minime de travail est de 24 heures par semaine. Il est vrai que cette règle comprend des dérogations et que l’Etat n’y est pas astreint pour ses vacataires.
C’est cette règle qui me permet d’avoir 4 trimestres cotisés pour ma première année de travail, alors que je n’ai commencé qu’au premier octobre. Ce qui signifie que j’aurais 164 trimestres avant d’avoir travaillé pendant 41 ans ! On comprend cependant que les jeunes qui trouvent un emploi rapidement après leur fin d’études, donc à l’automne, n’ont généralement pas 4 trimestres cotisés la première année, mais plus souvent 2 ou 3. Par ailleurs, un jeune qui anime un centre aéré pendant un mois l’été n’a pas de trimestre cotisé si c’est son seul salaire de l’année.
Ceci concerne les périodes travaillés. Si celles-ci ne donnent pas 4 trimestres et qu’il y a eu des périodes de chômage, celui-ci donnera droit à des trimestres complémentaires, à raison d’un trimestre par période de 50 jours, pour toutes les périodes indemnisées (pour les périodes non indemnisées, la prise en compte existe aussi, mais elle est limitée à 4 trimestres dans le cas le plus courant. Par exception pour les chômeurs de plus de 55 ans ayant cotisé au moins pendant 20 ans, la période prise en compte va jusqu’à 20 trimestres). J’ai déjà consacré un article à ce sujet.
On comprendra que le fait de ne pas être en CDI en début de carrière n’est pas forcément un problème pour ce qui est du droit à la retraite, et c’est d’autant plus le cas que les salaires obtenus sont supérieurs au SMIC. Ceci dit, les jeunes sont à cet égard moins bien protégés que les seniors. Et surtout, la deuxième étude du dossier montre que l’écart entre l’année où une personne valide au moins un trimestre et l’année où elle en valide au moins quatre ne cesse d’augmenter depuis la génération née en 1950.
Ces précisions ayant été donné, revenons à l’étude. Le dossier de le DREES reprend en fait deux études faites au sein de l’organisme sur des sujets voisins. Les deux études mettent en évidence deux réalités :
· Depuis une période qui remonte avant le début de la 2ème guerre mondiale, la durée moyenne des études initiales augmente en France, d’environ un an par décennie, le mouvement ayant cessé à l’aube des années 2000. Cette augmentation résulte du fait que les jeunes vont plus loin dans leurs études que leurs parents (et sont donc plus nombreux à obtenir le bac ou un diplôme supérieur) mais aussi que pour un diplôme de fin d’études donné, l’âge moyen augmente un peu avec les générations (de manière différenciée selon les diplômes).
o En 35 ans (entre les générations nées en 1934/ 1938 et celles nées en 1968/1973), la proportion de ceux qui n’ont pas de diplômes ou le certificat d’études est passé de 57% à 14% quand ceux quoi ont au moins le bac sont passés de 18% à 54 % (graphique 4B page 9)
o Sur la même période, l’âge de fin d’études est resté autour de 24 ans pour les hommes ayant fait des études supérieures, alors qu’il augmentait de moins de 23 ans à 24 ans également pour les femmes. L’augmentation est d’environ 3 ans pour ceux qui sortent sans qualification (notamment en raison de de l’augmentation à 16 ans de la scolarité obligatoire). Elle est de plus d’un an pour l’accès au bac (je suppose parce que cela permet à plus de monde de l’avoir et que ceux qui l’ont plus tôt vont plus loin que ce niveau de formation, et enfin parce que certains bacheliers entament des études avant de renoncer sans diplôme supplémentaire)
· Depuis les années 70, avec l’arrivée du chômage de masse, une partie des jeunes connait des difficultés d’insertion en début de carrière. Ces difficultés affectent en particulier les moins qualifiés.
o La durée d’emploi médiane pendant les 36 mois après la fin de formation initiale est de 30 mois ou plus pour ceux qui ont étudié jusque 21 ans et/ ou ont eu au moins le bac, alors qu’elle n’est que de 12 mois pour ceux qui ont cessé leurs études avant 18 ans et de 20 mois pour ceux sortis sans diplôme (graphique 14 page 16)
o Le taux de chômage des 15/ 24 ans a augmenté depuis 1975 et est resté depuis à des niveaux élevés, au-delà de variations conjoncturelles plus importantes que pour les autres tranches d’âge (graphique 7 page 12). Les générations précédentes n’avaient pas connu cette difficulté (graphique 12 page 14), mais il affecte en priorité les moins diplômés (graphique 13 page 15) : cela fait bientôt 30 ans que le taux de chômage des non diplômés tourne autour de 40 % en début de carrière.
Il faudrait rajouter aux deux phénomènes ci-dessus l’évolution de l’activité des jeunes femmes : en 1936, le taux d’activité des femmes de 15/ 24 ans est de 60% alors que celui des 25/49 ans n’est que d’un peu plus de 40% En 2007, le taux d’activité des femmes de 15/ 24 ans n’est plus que d’un peu plus de 30% alors que celui des 25/ 49 ans dépasse les 80 %.
Une étude parue en juin de cette année montre que l’écart selon le genre de nombre de trimestres validés avant 30 ans est passé (en pourcentage) de 27.7% en faveur des hommes (soit un peu plus de 8 trimestres) pour la génération 1942 à seulement 2.9% (soit moins d’un trimestre) pour la génération née en 1978. Le nombre de trimestres validés par les femmes augmente de 8.4 de la génération 1942 à celle de 1958. Le graphique 3 montre que la proportion de ceux qui ont validé 80 trimestres (le maximum) entre 31 et 50 ans est passé entre les générations nées en 1942 et celles nées en 1958 de 59,2 % à 53 % pour les hommes et de 30,4 % à 36,9 % pour les femmes. On ne s’étonnera pas dans ces conditions de constater que les pensions des femmes retraitées sont très inférieures à celles des hommes aujourd’hui et que cette différence est en train de diminuer fortement pour les femmes qui arrivent aujourd’hui à l’âge de la retraite…
Pour conclure sur la question générationnelle, je propose de regarder deux populations opposés
· Pour ceux qui ont fait des études supérieures (et obtenu un bac + 4,5 ou 8), il n’y a pas, contrairement aux craintes de certains, de double peine : à l’augmentation de la durée de cotisation ne s’ajoute pas (ou seulement à la marge) une augmentation de l’âge d’accès à un emploi donnant droit à cotisation. Parce que l’augmentation de l’âge de fin d’études est faible (il est même nul pour les hommes, on l’a vu) et parce que les difficultés d’insertion sont assez faibles pour cette catégorie. L’étude de la DREES qui donne le taux d’emploi selon l’âge des étudiants (graphique 17) souligne même que l’âge de première attribution de trimestres pourrait diminuer du fait de l’accroissement de l’apprentissage parmi les étudiants.
· C’est plutôt à l’autre bout de l’éventail de réussite scolaire, chez les non qualifiés, qu’on risque d’avoir une double peine, avec à la fois une augmentation de la durée des études (en raison de l’augmentation de la scolarité obligatoire, mais pas seulement) mais aussi des fortes difficultés d’insertion. Pour cette catégorie la comparaison est cependant difficile, tant les conditions de départ ont évolués depuis 30 ans :
o Avant 1981, donc pour la génération née avant 1916, le départ à 65 ans se fait souvent avec une cinquantaine d’années de cotisation (pour les hommes au moins)
o Entre 1981 et 2003, le départ théorique est à 60 ans, au moins pour ceux qui ont eu une carrière normale (mes lectures de ce week-end m’ont confirmé que ceux qui ont démarrés tard sont généralement nés à l’étranger). En réalité, les départs se font souvent plus tôt (à moins de 59 ans en moyenne), soit en raison de règles propres au secteur public, soit en raison de l’usage massif des départs prématurés
o A partir de 2003, la loi Fillon sur les carrières longues profite à ceux qui ont démarré leur carrière très tôt, mais probablement surtout aux mieux intégrés, qui correspondent certainement plus à ceux qui accèdent aujourd’hui au CAP ou au bac pro qu’à ceux qui sortent sans diplôme, en particulier ceux qui ont eu la chance d’entrer dans une grande entreprise.
o De moins en moins de jeunes commencent durablement à cotiser avant 20 ans. La proportion des hommes qui ont cotisé plus de 40 trimestres à 30 ans (donc qui ont commencé avant 20 ans) passe de plus de 60 % pour la génération 1942 à environ 30 % pour celle de 1978 (les valeurs sont plus faibles pour les femmes), les taux étant respectivement de 40% et quasiment rien pour 51 trimestres de cotisation au moins à 30 ans (voir graphique 2).
o Par contre, le fait de commencer à travailler très tôt ayant historiquement eu un effet négatif sur l’espérance de vie, il est possible que ces débuts plus tardifs aient au contraire un effet positif pour la durée de vie
Pour finir, je signale pour ceux que cela intéresse une étude parue également en juin sur le sujet de l’espérance de vie à la retraite.
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