Quelques élus du Sénats résistent encore à la demande citoyenne, pourtant très pressante, d’aller vers une limitation du cumul des mandats. Il en va pourtant de la légitimité d’une classe politique de plus en plus décrédibilisée. Il en va surtout d’une logique de responsabilité indispensable en démocratie représentative.
Derrière une volonté citoyenne de limiter le cumul des mandats, on peut distinguer trois raisons majeures, que l’on déroulera ici en commençant par la plus visible, qui n’est pas forcément pour autant la plus profonde
Première raison, les Français ont l’intuition que leurs élus, à force d’être partout, ne sont nulle part. Alors que les élus nationaux prétendent que le cumul des mandats est un gage de proximité avec les électeurs, ceux-ci attendent une plus grande disponibilité à leur égard, comme l’exprime d’ailleurs une pétition sur le cumul des mandats : « Pour des élus plus disponibles, je signe la pétition ». Un récent article a montré que la dispersion des élus entre plusieurs mandats cachait une dispersion encore plus grande entre multiples fonctions, le record étant détenu par l’ancien ministre Michel Delebarre, avec 23 fonctions !
La deuxième raison est l’idée qu’en faisant de la fonction d’élu, non seulement un métier à plein temps mais surtout l’objet d’une carrière complète, les politiques se sont coupés des citoyens. Dans leur ouvrage « sociologie des syndicats », Dominique Andolfatto et Dominique Labbé ont fait le constat que les syndicalistes en arrivent à défendre d’abord les intérêts de leur profession, y compris parfois au détriment de leurs mandats.
La question de la retraite des parlementaires illustre un comportement du même ordre au sein du Parlement, un comportement à juste titre vécu comme insupportable par les citoyens. On voit aussi des élus territoriaux offrir à d’autres élus (et réciproquement) des fonctions de cabinet créées apparemment uniquement dans le but de leur assurer un revenu suffisant. Delphine Batho qui a commencé ainsi sa carrière politique, au point d’abandonner ses études avec seulement le bac, en est une belle illustration.
La troisième raison me parait de loin la plus importante, même si elle n’est pas souvent évoquée de cette manière. Le cumul des mandats, étroitement associé à la capacité de chaque niveau administratif d’intervenir dans les domaines qu’on imaginerait attribué à un autre, ne permet plus aux élus d’assumer leurs responsabilités vis-à-vis des citoyens électeurs.
Prenons un exemple : aujourd’hui, pour construire un gymnase, un maire va faire appel à différentes sources de financement, au niveau de l’intercommunalité, du département, voire de la région. L’électeur persuadé que cette construction était un très bien (ou un très mauvais) choix ne saura pas s’il devra en tenir compte dans son vote aux municipales, aux élections de conseils généraux ou aux régionales.
On pourrait imaginer que ce système est efficace, par exemple en aboutissant à une carte d’implantation des gymnases à peu près cohérente. Ce n’est même pas le cas. Un de mes amis avait ainsi observé que le schéma général de transport de l’Ile de France n’avait aucune cohérence globale, parce qu’il n’était que l’addition des petits projets locaux défendus par chaque membre de l’assemblée, des projets à peine interconnectés entre eux.
La semaine dernière, le Monde titrait ainsi le compte rendu de l’intervention télévisée de François Hollande : « les thèmes de campagne des municipales au cœur de propos présidentiel ». Si le contenu de l’article ne reflétait pas vraiment ce titre, on ne peut que s’étonner de ce mélange des genres chez les secrétaires de rédaction du Monde, un mélange qui n’étonne même plus personne.
Devant le constat que les élus ne font pas vraiment ce que les électeurs attendent d’eux, certains critiquent le système de démocratie représentative qui est le nôtre, soit en proposant une démocratie directe, soit le mandat impératif. Il s’agit de fausses alternatives, comme l’a montré récemment l’impuissance du mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo en Italie à utiliser les 23% de voix recueillies aux dernières élections générales.
Mais la démocratie représentative ne peut fonctionner si les élus organisent de fait leur irresponsabilité. Pour que celle-ci fonctionne chez nous, il va bien falloir remettre en cause non seulement le cumul des mandats mais aussi l’entrecroisement des couches administratives. Ce dernier point est un minimum, j’ajouterai volontiers à cette simplification une diminution du nombre de niveaux.
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