Cette remarque du Pape au retour de son voyage à Rio concernait les gays, mais ce qu’elle porte pour l’Eglise catholique va beaucoup plus loin que la seule question des homosexuels ou même de la morale sexuelle. C’est un retour bienvenu à un principe évangélique, retour déjà largement ouvert par Vatican II.
Lors du Concile Vatican II, la principale ligne de fracture, entre d’un côté ceux qui constituent l’immense majorité des prélats et de l’autre côté les quelques dizaines de conservateurs (sur près de 3000 évêques), porte sur la question du jugement. Fort de l’affirmation du Christ dans les Evangiles (je suis la Vérité), une tradition catholique a consisté à prétendre que l’Eglise était détentrice de cette vérité et donc pouvait s’autoriser, non seulement à dire le Bien, mais à juger les personnes en fonction de sa traduction de l’héritage du Christ. C’est de cette affirmation que découle la lutte contre toutes les hérésies, non seulement de manière théorique, avec des arguments intellectuels, mais aussi de manière physique dès que Constantin fait de l’Eglise une force officielle. Ce sera plus tard l’Inquisition, mais aussi l’attitude de rejet des juifs que Saint Louis obligera à porter la rouelle ( l’étoile jaune) en conformité avec une décision du Concile de Latran en 1215. C’est pour lutter contre ce qu’il considère comme du relativisme que l’ancien évêque de Dakar Marcel Lefebvre finira par faire sécession.
En refusant de se faire juge des personnes alors même qu’il est pape, François se place clairement dans la suite de Vatican II et dans la ligne de la miséricorde plutôt que dans celle de la condamnation. Cette importance de la miséricorde, il ne cesse de l’affirmer depuis son élection. Il est vrai que pour affirmer cette ligne, il a tous les textes d’Evangile qu’il veut, depuis celui sur la femme adultère à celui sur le fils prodigue en passant par ce « ne jugez pas et vous ne serez pas jugés » au début du chapitre 7 de Matthieu. Il est beaucoup plus facile de trouver une parole de pardon qu’une parole de jugement (du moins contre les personnes) chez le Christ !
Le Christ est arrivé dans un pays qui avait érigé un grand nombre de principes de morale et de pratiques. Il n’a pas remis en cause ces principes de morale mais la manière dont on s’en servait pour exclure l’autre. Quand il pardonne à la femme adultère, il ne dit pas que ce qu’elle fait est bien (il lui dit même « ne pèche plus »), mais il dénie à ceux qui la poursuivent le droit de la lapider, au regard de leur propre péché.
François est dans cette ligne quand il parle d’abord de miséricorde et de témoignage de foi. Mais il l’est aussi quand il se garde de mettre en avant la morale sexuelle. Non pas qu’il soit pour le désordre en la matière ! Mais il a certainement compris que les médias étaient prêts à ne retenir, de tout ce qu’il pouvait dire, les seuls points concernant la morale sexuelle, s’il en parlait ne serait-ce qu’une seule fois. Interrogé sur l’homosexualité et l’avortement, il s’est contenté de dire que la position de l’Eglise sur ces points étaient connus.
Dans l’Evangile, on ne voit pas Jésus passant son temps à rappeler les règles de morale : au contraire, il passe son temps à braver ce qui dans les interdits empêche d’accueillir son prochain. Il est prêt à pardonner à tous ceux qui prennent conscience que ce qu’ils font les empêche de vivre complétement la rencontre avec l’autre et avec Dieu. Il n’est pas là pour rappeler une morale et des interdits, il est là pour appeler ceux qui le souhaitent à se libérer !
Les papes précédents n’étaient évidemment pas contre cette ligne-là. Mais leurs manières de rappeler l’appel du Christ a été entendu différemment. François n’est théologiquement pas sur des lignes différentes de celles de ses prédécesseurs, mais sa manière d’annoncer la Bonne Nouvelle rappelle plutôt ce Jean XXIII qui a convoqué le concile et qu’on avait surnommé le bon pape
Tant mieux !
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