Les récents événements en Turquie, Iran et Egypte peuvent être lus comme une défaite de l’Islam politique, mais celui-ci a-t-il perdu la guerre ou seulement une bataille ? Les contributions publiées par Le Monde sur le sujet dans son édition du 12 juillet sont les bienvenues pour mieux comprendre « l’Orient compliqué ».
Je critique suffisamment souvent le Monde (essentiellement pour son incompréhension des chiffres) pour signaler ce dossier qui me rappelle pourquoi le quotidien dit du soir reste mon préféré, quand il prend du recul sur les événements et m’en donne des clés de lecture. Et il aborde ici un sujet que je voulais traiter depuis un petit moment, peut être avec un prisme différent, sans être suffisamment clair pour me lancer. On trouve dans le quotidien 5 contributions dans les pages débats : celles de Philippe d’Iribarne, Samir Amghar, Ahmad Salamatian, Gengiz Aktar et Olivier Roy. Mais il faut aussi lire celle d’Alain Frachon dans la page suivante et celle de Gilles Kepel que j’ai trouvé sur le site. On peut aussi écouter sur France culture un dialogue entre Philippe d’Iribarne et Malek Chebel.
Je ne reviendrais ici que sur trois contributions, toutes écrites par des auteurs français, peut-être parce qu’elle me parle plus à ce titre, peut-être parce que les autres se centrent sur un pays particulier (l’Iran, la Turquie ou l’Egypte).
Commençons par d’Iribarne. Celui-ci explique que « L'imaginaire politique de l'islam est marqué par de grandes attentes envers un bon pouvoir, attentif au bien du peuple, épris de justice et d'honnêteté, à l'écoute de ceux sur qui il veille, attente qui s'accompagne de la conviction, appuyée sur la vie du Prophète, qu'un tel pouvoir peut exister » La question n’est pas qui exerce ce pouvoir (un parti, l(armée, un roi…) « du moment qu'il gouverne pour le bien du peuple ».
Les partis islamistes sont favorisés aujourd’hui dans les pays arabes par l’action caritative qu’ils ont menée, parfois depuis des décennies. Mais si, arrivés au pouvoir, ils se comportent « mal », le peuple est prêt à accepter leur renvoi, légitimité démocratique ou pas.
Le sociologue ajoute ensuite : Le monde de l'islam a la passion de l'un : un Dieu, dont il est sacrilège d'imaginer qu'il puisse être en trois personnes ; un texte, le Coran, unique, dicté par Dieu même ; une communauté : l'oumma. Que l'on se tourne vers le droit islamique ou la philosophie islamique, toujours revient cette passion de l'un avec le sentiment de certitude qui lui est lié.
Je n’ai pu m’empêcher de faire le rapprochement entre ce paragraphe et les articles que j’ai écrit il y a quelques années sur Jean Jacques Rousseau. Lui aussi voulait le peuple « un », et j’ai essayé de démontrer qu’il a été l’ancêtre de toutes les dictatures de gauche, de la Terreur et du stalinisme. Je pense que d’Iribarne partage ma conception de la démocratie, celle qui, au-delà du pouvoir donné à la majorité, protège les minorités et accepte les différences, à la suite de Voltaire.
Passons à Alain Frachon. Celui-ci analyse les événements récents mais surtout le drame syrien, et prédit une longue période de violences, à l’instar de ce qui s’est passé au Liban entre 1975 et 1990. Il met aussi l’accent sur la lutte entre sunnites et chiites, sur le rôle des pétro monarchies, et conclut : très largement, les Arabes sont, pour la première fois, presque maîtres de leur destin. Je retiens qu’il pense que les frontières pourraient bouger demain, selon des critères nationaux (les kurdes) ou religieux (les chiites).
Gilles Kepel, pour finir revient sur l’évolution observée depuis le 11 septembre 2001, il y a moins de 12 ans. A l’époque, les Etats Unis, comme l’ensemble de l’OTAN, sont pris de cours par une attaque contre laquelle ils ne sont pas préparés, leur défense étant construite contre la défunte URSS. Ils vont d’abord riposter avec leurs moyens classiques, ce qui les mène dans les pièges afghans et irakiens. Mais progressivement, leur organisation s’améliore : depuis l'Irak, la guerre contre cette nébuleuse a fait des progrès gigantesques, avec la réorganisation du renseignement et le développement d'une technologie, celle des drones, qui pose un énorme problème juridique mais qui constitue la réplique militaire la plus efficace à Al-Qaida.
Cette dernière de son côté ne maîtrise plus ce qu’elle a lancé. D’une part le djihad que Kepel considère comme « un concept fondamental des sociétés musulmanes », s’individualise et du coup perd en préparation et en efficacité. D’autre part, en Syrie, « les pétromonarchies du Golfe, qui n'aiment pas trop ces slogans de "justice sociale" et de "liberté", ont tout fait pour prendre en otage la rébellion, notamment à travers Al-Jazira et les réseaux salafistes, et donc pour canaliser l'énergie des révolutions arabes contre l'ennemi chiite ».
La victoire vient maintenant aux occidentaux face à des djihadistes dont « le logiciel est cassé. On sait désormais comment s'effectuent leurs transmissions et comment ils se battent. Les légionnaires qui sont allés au Mali étaient préparés à ce genre de combat. Voilà comment, en l'espace d'un mois, l'armée française, que l'on disait exsangue, a réussi à écrabouiller les djihadistes au Mali ».
Comme on le voit, d’un côté (Turquie ou Egypte), on est dans une recherche du pouvoir politique qui pose en cas de succès la question de la capacité à gouverner efficacement, et de l’autre coté (djihadistes) dans une logique de guerre. Sur cette dernière, on peut que constater qu’elle se solde par le fait que ceux que tuent les « guerriers » de l’Islam, ce sont massivement des musulmans !
Au final, des lectures qui donnent à penser !
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