Le programme de François Hollande prévoyait une loi sanctionnant les entreprises ne respectant pas «l’égalité des carrières professionnelles et des rémunérations entre les femmes et les hommes». Une loi de plus pour une situation inégalitaire qui ne se réduit que très lentement et qui a de multiples causes.
D’après les documents émis par l’INSEE en mars 2012 sous le titre « Femmes et Hommes, regards sur la parité », le revenu salarial moyen des femmes était inférieur de 25% à celui des hommes en 2009. On pourra observer que la situation s’améliore, puisque l’écart était de 29% en 1991, mais le progrès est bien lent !
En pratique, cet écart important de 25% est le résultat cumulé de quatre phénomènes distincts :
- Les femmes sont nettement plus souvent à temps partiel que les hommes
- Les filles choisissent (ou sont orientées vers) des filières professionnelles souvent mal payées car encombrées
- Il y a une discrimination dans les entreprises, qui ne pratiquent pas le « à travail égal salaire égal »
- Les carrières des femmes sont moins favorables : elles sont moins souvent cadres que les hommes alors qu’elles réussissent mieux dans les études et arrivent difficilement aux postes les plus élevés (le fameux »plafond de verre »)
Avant de reprendre chacun de ces sujets un à un, il est utile de noter comment l’inégalité salariale se répartit dans la pyramide des salaires selon les sexes. Dans le tableau ci-dessous, le décile 1 (D1) représente la valeur en dessous de laquelle on trouve 10% des individus, le décile 9, la valeur en dessous de laquelle on trouve 90% des individus.
L’importance du temps partiel chez les femmes va bien sûr expliquer l’importance de l’écart sur D1, 2 et 3. Mais cela signifie aussi que le temps partiel est plus important chez les bas salaires. De l’autre côté de la pyramide, on imagine que l’augmentation de l’écart pour D9 est le résultat du plafond de verre, et que l’écart pour D99 est sans doute encore plus important.
Le temps partiel
En 2010, plus de quatre millions de salariés travaillent à temps partiel et 82% sont des femmes. Dit autrement, 31% des femmes salariées travaillent à temps partiel alors que ce n’est le cas que de 7% des hommes. En 2010 et en milliers, on se situe à 3 478 pour les femmes et 764 pour les hommes.
Comme le suggérait la remarque sur l’écart par décile, la proportion de femmes à temps partiel varie avec la qualification : c’est le cas de 17% des femmes cadres, de 30% des ouvrières, de 37% des employées et de 46% des employées non qualifiées. Si la proportion de femmes parmi les salariés à temps partiel ne semble pas varier avec le temps, l’écart de proportion de temps partiel selon les catégories croît avec le temps : de 2003 à 2010, la proportion de temps partiel chez les femmes a baissé de 10% chez les cadres et augmenté de plus de 20% chez les ouvrières, tout en restant stable chez les employées.
On peut supposer que les femmes cadres à temps partiels le sont, sauf exception, à leur demande, alors que ce n’est certainement pas le cas de toutes les femmes à temps partiel employées ou ouvrières.
L’INSEE nous donne aussi le nombre de salariés à temps partiel qui déclarent vouloir travailler plus d’heures (l’INSEE parle de sous-emploi).
Comme on peut le constater sur le tableau ci-dessus, le taux de sous-emploi dépend fortement de la qualification
L’INSEE distingue aussi ce qu’il appelle des salariés « non à temps complet », comprenant, outre les salariés à temps partiel, ceux qui sont à domicile, intérimaires ou intermittents, ce qui ferait environ 20% du total pour les hommes et 40% pour les femmes.
L’impact du temps partiel sur l’écart des rémunérations n’est pas négligeable, puisqu’il est de 29% tout compris mais seulement de 20% à durée de travail équivalente dans le privé, les valeurs étant respectivement de 19% et 15% dans le public.
Les heures supplémentaires
Le numéro 16 de DARES Analyses, paru en même temps que la note de l’INSEE (et qui s’appuie manifestement sur la même étude), montre qu’il y a également une différence sur les heures supplémentaires ou complémentaires, nettement plus pratiquées par les hommes que par les femmes.
En 2009, 53 % des hommes ont perçu une rémunération pour heures supplémentaires (ou complémentaires) contre 37 % des femmes. Du coup, les hommes bénéficient plus souvent que les femmes de la majoration de 25 % des heures supplémentaires. Au final, la différence de rémunération est de 12 % sur le salaire horaire de base et de 14 % sur le salaire horaire brut (donc comprenant les majorations).
L’orientation
Aujourd’hui, les filles réussissent mieux leurs études que les garçons, puisqu’elles représentent 57 % des bacheliers et 56 % des étudiants. Mais elles choisissent des filières moins favorables. Par exemple, au niveau DUT, les garçons vont pour moitié dans une activité de production et pour moitié dans une activité de services, alors que les filles vont à 90 % dans les activités de services. Or, sur la période 2005/2009, les titulaires d’un DUT services ont un taux de chômage supérieur de 2 % à celui des titulaires d’un DUT de production, et un salaire inférieur de 10 %.
Ce phénomène est particulièrement marqué dans les emplois de niveaux CAP/ BEP ou bac, pour lesquels on trouve des métiers féminins à 98 ou 99 %, alors que c’est moins vrai pour les métiers demandant un bac + 4 ou 5. Les métiers qui se féminisent sont censés voir leur valeur baisser sur le marché.
Mais la vérité est qu’il y a un lien direct entre les tensions sur le marché du travail et les salaires : la loi de l’offre et de la demande joue à plein. L’examen des salaires de début de carrière montre certes que la plupart des métiers très féminins sont moins bien payés que les métiers très masculins. Mais d’une part cette différence est corrélée à une différence de taux de chômage, d’autre part, les deux métiers à la fois les mieux payés et avec les plus faibles taux de chômage pour les niveaux IV et III de l’Education Nationale sont des métiers très féminins : aides-soignantes et infirmières.
On peut cependant imaginer que l’effet offre/ demande ne s’exprime que dans la durée et que certains métiers bénéficient longtemps de leur situation privilégiée antérieure. C’est ainsi que les salaires sont encore aujourd’hui plus élevés dans les activités issues des Charbonnages de France que dans leurs équivalents ailleurs.
J’ai déjà souligné, à partir de l’étude sur les métiers à l’horizon 2015, que le caractère très sexué des métiers de niveau VI, V et IV allait se traduire par une montée du chômage des garçons non qualifiés et une déqualification des filles qualifiées, les emplois non qualifiés à dominante masculine étant en forte baisse alors que c’est le contraire pour les emplois non qualifiés à dominante féminine. Pour éviter que cela produise massivement du chômage des hommes et des bas salaires des femmes, il faudrait que les hommes non qualifiés se tournent vers les métiers d’aide à la personne et que les filles qualifiées choisissent en plus grand nombre les métiers de production.
Depuis des décennies, les emplois tertiaires, dans lesquels les femmes sont dominantes, n’ont cessé d’augmenter, alors que les emplois étaient plutôt en diminution dans les deux secteurs de l’industrie et de la construction. Cette situation aurait dû profiter aux salaires des femmes. Cela n’a pas été le cas pour l’instant pour trois raisons conjuguées :
- Alors que l’emploi qu’elles visaient augmentait, le nombre des femmes actives augmentait fortement aussi. La croissance du tertiaire s’est d’abord traduite dans le taux d’activité féminin, mais aussi dans la baisse du taux de chômage. Il est possible qu’elle se traduise demain par une hausse des salaires féminins, notamment parce qu’il n’y a plus guère de réserve pour augmenter le taux d’activité des femmes. Ce qu’on voit aujourd’hui dans le secteur de la santé pourrait s’étendre à d’autres secteurs.
- Les hommes aussi se sont détournés de certains métiers, ce qui fait que ceux-ci restent en tension. Il est par exemple toujours difficile de trouver un ajusteur
- Le Smic limite la baisse possible des salaires pour les hommes les moins qualifiés alors qu’il n’y a guère de limite pour les salaires des métiers fortement qualifiés et en tension. Si les hommes y sont souvent majoritaires, c’est plus pour une question d’orientation que de potentiel des femmes.
Les choix d’orientation des filles (qu’ils viennent d’elles-mêmes, de leurs parents ou de leurs enseignants) les conduisent d’une part à privilégier certains métiers par lesquels elles sont attirées, d’autre part (plus tard dans la vie) à privilégier des emplois qu’elles jugent compatibles avec leur situation de mère de famille : les femmes sont largement majoritaires dans la fonction publique, alors que les salaires de celle-ci sont plus faibles que dans le privé pour les plus qualifiés (voir par exemple la rémunération des enseignants) et que la tendance est à une évolution moins favorable que dans le privé.
Au sein de la population des agents de catégorie C (soit plus de 800 000 personnes, dont environ ¾ de femmes), pour un concours théoriquement de niveau V (CAP, BEP ou BEPC), on trouve de plus en plus de bacheliers. Chez les moins de 30 ans, il y a 24% de titulaires d’un bac +2, auxquels il faut ajouter 13% de titulaires d’un niveau supérieur !
Au regard du rapprochement progressif entre les taux de chômage masculin et féminin, on peut imaginer que les écarts de rémunération liés à l’orientation devraient diminuer dans l’avenir. Mais le mouvement sera lent.
Les discriminations salariales
J’ai eu l’occasion de faire quelques études de rémunérations pour des entreprises : on y trouve pour un emploi donné des différences de salaires entre hommes et femmes qui ne s’expliquent pas statistiquement par des raisons objectives (par exemple l’âge ou l’ancienneté). J’ai également discuté avec un consultant qui travaille dans une société spécialisée dans les rémunérations : d’après les études menées par cette entreprise, les salaires observés à travail égal se traduisent en moyenne par une différence de rémunération d’environ 4,5 %. La même entreprise observe que pour un emploi donné, plus de 80 % des effectifs se trouvent dans une fourchette de +/- 20 % par rapport à la médiane. L’écart de 4,5 % n’est donc pas négligeable.
Pourquoi la persistance d’un tel écart ? On peut pointer deux raisons, sans savoir identifier la part de chacune :
- Les revendications différentes selon les sexes. Les hommes vont être plus demandeurs sur le salaire que les femmes et on peut constater partout qu’il y a un lien entre le fait de demander un plus haut salaire (à l’embauche) ou des augmentations et le niveau de la rémunération.
- Les préjugés des décideurs, managers hiérarchiques ou au sein des directions de ressources humaines.
Les écarts évoqués ici sont identifiables et mesurables. Il est donc possible de les remettre en cause et de les corriger. Normalement, les directions doivent présenter aux élus du personnel ce qu’on appelle un « rapport de situation comparée » qui devrait permettre de corriger les situations. Aux équipes RH et aux syndicalistes de faire leur travail !
Les évolutions de carrières
Alors qu’elles sont largement majoritaires chez les bacheliers et les étudiants, les femmes sont toujours minoritaires chez les cadres, et encore plus chez les cadres supérieurs. Le bien connu « plafond de verre » qui les empêche d’accéder aux fonctions de dirigeants explique en partie pourquoi l’écart femmes/ hommes augmente fortement à la limite du dernier décile des salaires.
On peut identifier deux raisons complémentaires à cette situation :
- Les femmes mères de famille font un arbitrage pour consacrer une partie de leur temps à leurs enfants, arbitrage que ne font pas les hommes (le partage des tâches ménagères dans le couple reste très déséquilibré, malgré une lente évolution). Or, le fonctionnement des entreprises françaises autour d’une conception extensive du temps de travail, favorise pour les promotions ceux qui sont encore là pour une réunion à 20 heures ou 21 heures.
- La plupart des femmes n’imaginent pas de se porter candidates pour une place pour laquelle elles ne seraient pas vraiment qualifiées. La plupart des hommes ont un ego suffisamment développé pour s’imaginer accéder à des postes pour lesquels ils ne sont guère compétents. Comme l’a dit Françoise Giroud, « la femme sera vraiment l’égale de l’homme le jour où, à un poste important, on désignera une femme incompétente ». En politique, les exemples de Rachida Dati et de Ségolène Royal montrent qu’on commence à rencontrer des femmes qui raisonnent comme les hommes !
Dans une de ses chroniques politiquement incorrectes dans Libération, Alexandre Delaigue, à la suite de l’économiste britannique Paul Seabright, enseignant à Toulouse et auteur de « la guerre des sexes », explique « que les femmes paient un prix disproportionné pour des choix de vie qu’elles font plus souvent que les hommes » et que l’écart, pratiquement nul au départ, augmente et se cumule à partir de la trentaine, avec l’arrivée des enfants et des partages de tâches inégalitaires au sein des foyers. L’auteur préconise un congé de paternité obligatoire, de la même durée que le congé de maternité, qui modifierait en profondeur pratiques et représentations.
Dans certaines entreprises, il y a une limite d’âge pour faire partie de ce qu’on appelle les « hauts potentiels ». Cette pratique conduit de fait à défavoriser les femmes qui ont eu des grossesses, ce qui a conduit certains services RH à différencier la limite d’âge pour les hommes et pour les femmes.
En guise de conclusion
Les forces du marché devraient réduire dans les prochaines années les écarts salariaux entre hommes et femmes, du fait de l’augmentation de l’emploi dans les métiers les plus féminins et de la diminution de l’écart de chômage entre les deux sexes (on peut même à terme imaginer une inversion). Mais le mouvement sera très lent, à l’image des 5 % de réduction constatés en vingt ans.
Si on veut aller plus vite, les axes d’action sont assez divers :
- Il y a un enjeu majeur à orienter une partie des hommes peu qualifiés vers les métiers d’aide à la personne (actuellement ultra dominés par les femmes) et une partie des femmes qualifiées (niveaux V et IV de l’EN) vers des métiers industriels ou de maintenance (actuellement ultra dominés par les hommes). Faute de quoi, plusieurs centaines de milliers d’hommes peu qualifiés vont se retrouver au chômage et plusieurs centaines de femmes qualifiées vont devoir se tourner vers des emplois peu qualifiés d’aide à la personne. Je ne vois pas pour l’instant d’actions en ce sens, alors que le problème était évident en 2007 à la lecture de l’étude sur l’avenir des métiers et que la tendance négative est déjà largement en œuvre. La question se pose en priorité au niveau de l’orientation dans les collèges et lycées. Mais Pôle Emploi peut aussi jouer un rôle dans les reconversions.
- L’augmentation du nombre de personnes en temps de travail contraint au début des années 90 est le résultat de la politique de réduction de charges. Celle-ci a aussi eu comme résultat positif de baisser le taux de chômage des moins qualifiés. Les bons choix ne sont pas simples à définir dans ce domaine et demandent des études précises, mais l’Etat a depuis utilisé les baisses de charges à toutes les sauces avec l’effet logique qu’une multiplicité de priorités débouche sur l’absence de priorité réelle.
- Les équipes syndicales et RH doivent se mobiliser pour supprimer à terme les écarts de rémunération à emploi égal. Le meilleur outil pour cela est le rapport de situation comparée, à condition bien sûr de s’en servir correctement !
- La question des parcours de carrière interpelle à la fois les mécanismes de répartition des tâches au sein des couples, les modes de sélection dans les entreprises, la gestion du temps de travail, les représentations que se fait chacun des rôles de la femme et de l’homme, de ce que chacun veut faire de sa vie…Vaste domaine !
Petit rappel pour aller plus loin…
Les enquêtes de discrimination à l’embauche ont montré que si les femmes sont désavantagées par rapport aux hommes, elles sont beaucoup moins discriminées que les handicapés, les minorités visibles et les seniors.
On peut imaginer que c’est la même chose en matière de rémunération (ou de progression de salaires pour les seniors). Malheureusement, dans ce domaine, les études sont plus complexes que pour les inégalités femmes hommes, et parfois même impossibles (interdiction des statistiques ethniques).
Dans son portrait social 2010, l’INSEE publiait une étude sur le taux d’emploi selon l’origine des parents. L’étude montrait un écart énorme (21 points) entre l’emploi des Français descendants directs d’immigrés du Maghreb et les autres. Les différences de diplôme n’expliquaient qu’un tiers de l’écart. Celui-ci était plus faible en cas de tension dans l’emploi, ce qu’on peut traduire par « les employeurs prennent des salariés d’origine maghrébine quand ils n’ont pas le choix, dans le contraire, ils évitent souvent de le faire ».
L’étude n’abordait pas les rémunérations…
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