L’accord signé entre le premier ministre et le patron du groupe Mittal est beaucoup plus réaliste que les solutions imaginées par son ministre du « redressement productif », mais il est logique que le salariés sur place se sentent floués. Le résultat montre toute l’ambiguïté du discours d’une gauche sans doute trop diverse pour être comprise.
L’affaire s’est produite au croisement de la fermeture d’une installation industrielle importante et d’une volonté affichée de redressement industriel passant s’il le faut par la recherche d’un repreneur. Elle a montrée toute l’ambigüité de cette volonté de recherche érigée en politique par Arnaud Montebourg, comme elle a montré que cette politique n’était pas forcément celle du Président de la République et de son premier ministre.
Première étape : devant le projet de fermeture des derniers hauts fourneaux lorrains, ceux de Florange, le ministre annonce la recherche d’un repreneur. Premier constat : contrairement à ce qu’imaginent certains (probablement peu au fait du fonctionnement des entreprises), ce n’est généralement pas pour le plaisir ni pour faire monter le cours de leurs actions que les chefs d’entreprise décident de fermer un site industriel. Ici, le problème n’est pas une question de coût mais de débouchés.
Il y a une situation de surcapacité structurelle dans la sidérurgie européenne, situation accentuée par la crise actuelle. Au passage, exactement la même situation que celle qui conduit au projet de fermeture de Pétroplus. L’éventuel repreneur ne saurait quoi faire de ses produits faute d’acheteurs.
D’où la deuxième étape : le ministre demande au groupe Arcelor Mittal de céder non seulement les hauts fourneaux, mais aussi la partie aval qui en sera le débouché. Une évolution qui n’est pas que de détail : le site compte 2800 salariés, dont « seulement » 630 pour les hauts fourneaux.
Evidemment, cette solution ne convient pas au patron d’Arcelor. Pas parce que c’est par nature un méchant patron, étranger et menteur de surcroit comme une partie de la presse essaie de nous le faire croire. Mais tout simplement parce qu’une telle solution serait un cadeau fait à un concurrent et surtout parce qu’elle fermerait une partie des débouchés de ses autres sites, en particulier celui de Dunkerque.
Vendre tout le site de Florange, c’est peut être remplacer 630 pertes d’emploi à Florange par quelques centaines à Dunkerque ! Jean-Luc Gaffard, Directeur du Département de recherche sur l'Innovation et la Concurrence à l’OFCE explique très bien sur le blog de l’institution pourquoi ce n’est pas à l’Etat de faire ce genre d’intervention. Et l’OFCE n’est pas un cercle d’économistes réactionnaires…
Troisième étape : Arnaud Montebourg étant allé jusqu’à évoquer une nationalisation partielle pour forcer la main du patron indien, le Premier Ministre est bien obligé de reprendre le dossier pour calmer le jeu. Mais il se retrouve alors dans une situation impossible : devoir montrer qu’il a obtenu quelque chose alors que les marges de manœuvre sont quasiment existantes.
La réalité est que les hauts fourneaux lorrains étaient condamnés dès que les sidérurgistes ont décidé de s’installer dans les ports, près des approvisionnements en matière première. Encore que s’ils ne l’avaient pas fait, d’autres auraient pris la place. On pourrait dire aussi que les hauts fourneaux lorrains étaient condamnés quand ils ont commencé à s’approvisionner en fer étranger (je ne suis pas sûr que les mines de Lorraine aient beaucoup produit de charbon cokéfiable, indispensable à la sidérurgie).
D’ailleurs Francis Mer déclarait déjà il y a longtemps que ces hauts fourneaux étaient condamnés à terme (voir Wikipédia : Le 24 janvier 2003, en pleine crise économique causant la chute du cours de l'acier, le plan de restructuration Apollo Chaud envisage la fermeture, à un horizon de sept à huit ans, des phases à chaud des sites continentaux de Liège et Florange et la fermeture d'un petit haut fourneau à Eisenhüttenstadt).
Le gouvernement s’est donc retrouvé dans un piège dans lequel il s’était lui-même mis à cause des rodomontades de Montebourg. Il fallait bien afficher des résultats à propos des investissements, des espoirs de projet ULCOS et du plan social. Mais l’affichage se fait dans le plus grand flou, au point que toutes les nouvelles qui vont suivre paraîtront comme des reculades.
Quatrième étape : très vite, on apprend que sur les 180 millions d’investissements sur 5 ans promis par Mittal, on compte des gros travaux d’entretiens, probablement déjà prévu. Il n’y a que 53 millions d’investissements réels.
Cinquième étape : on apprend de Bruxelles que Mittal a retiré sa proposition technique pour ULCOS, cette proposition étant insuffisante. Et on découvre qu’il y avait un additif à l’accord avec le gouvernement, qui affirmait que Mittal prendrait les moyens pour faire une nouvelle proposition. Ce qui repousse la relance éventuelle des hauts fourneaux de plusieurs années.
Y aura-t-il une sixième étape ? Cela parait peu probable. Pourtant l’annonce du premier ministre concernant le plan social évité est une déformation de la réalité. D’abord d’un simple point juridique : même si les salariés des hauts fourneaux sont tous reclassés, c’est dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi (cela fait plus de dix ans que les plans sociaux n’existent plus, le gouvernement Jospin les ayant remplacé par des plans de sauvegarde de l’emploi PSE).
Mais aussi dans la réalité. Dans son entretien au JDD, à la question « Mais il y a des suppressions de postes…. », Jean Marc Ayrault répond : « Oui, mais aucun salarié ne sera licencié, il n'y aura aucune mutation subie. Et au moment où, dans d'autres endroits en France, des salariés sont licenciés, c'est très important d'avoir évité le plan social qui était prévu. Il y aura des départs à la retraite, des reclassements sur place. Mais les 2.800 salariés du site, dont les 630 salariés des hauts-fourneaux, ne seront pas licenciés »
Pour valoriser son action, le premier ministre noircit ce qui était prévu. D’abord, seuls 630 salariés étaient concernés par des suppressions de poste. Ensuite, il n’était pas prévu de les licencier, mais de leur proposer des reclassements. Une partie sur place, au sein des autres activités du site. Il est probable que depuis quelques temps, la direction sur place remplace les partants par des intérimaires (elle le fait apparemment depuis plus d’un an sur d’autres sites pour accueillir les mutations venant de Florange). Celles-ci comprenant 2200 salariés, avec une pyramide d’âge sans doute vieillissante. On peut imaginer qu’elles pouvaient proposer une centaine de postes, peut-être plus si des retraites anticipées sont prévues(ou même si on se contente d’attendre une dizaine de mois).
Mais Mittal avait aussi prévu des mutations : avec 20 000 salariés en France, il est possible de proposer plusieurs centaines de postes. Mais on sait aussi que les ouvriers répugnent à déménager ( dans son dernier ouvrage dont je reparlerais, Laurent Davezies signale que dans les cinq années précédant le recensement de 2006, 11% des familles de cadres ont changé de département de résidence et seulement 4% des familles d’ouvriers).
Mittal aurait donc accepté de ne pas laisser aux salariés le seul choix entre la mutation et le licenciement. Acceptons-en l’augure…
Dans l’affaire, les salariés se sont à juste titre sentis floués : les syndicats ont bien compris qu’on leur avait raconté des histoires.
Le résultat final montre qu’entre les rêves de la gauche du PS et d’Arnaud Montebourg et le réalisme social-démocrate, le Président et son premier ministre ont su imposer le deuxième choix. Je ne peux que m’en réjouir, mais c’est un choix qui n’avait pas été clairement affiché pendant la campagne électoral, pour obtenir le vote d’une partie des socialistes, pour garantir le report des électeurs de J L Mélenchon. C’était peut-être indispensable pour gagner, mais le gouvernement en paye aujourd’hui le prix en terme de lisibilité de son action et en terme de popularité. Et le pays aussi.
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