Le ministère de l’intérieur vient de publier un rapport sur le permis à point et un autre sur « le comportement des usagers de la route ». En réalité, ce dernier rend d’abord compte de l’activité des forces de l’ordre. Une activité qui contribue à diminuer le nombre de morts sur la route mais qui mécontente une partie des citoyens.
Laurent Mucchielli répète à qui veut l’entendre que les statistiques gouvernementales sur la délinquance ne mesurent pas celles-ci mais l’action de la police. La question de la vitesse au volant en est une illustration frappante. Il est en effet écrit dans l’introduction du rapport sur le permis à point (entré en vigueur en 1992)que celui-ci a fait baisser la vitesse moyenne d’environ 10 km/h. Dans l’autre rapport, on peut voir page 11 l’évolution du nombre d’infractions aux limitations de vitesse relevées par les forces de l’ordre : 1 611 240 en 2003, 10 741 848 en 2011, soit une multiplication par 6,6 !
Il en est de même des infractions aux règles de priorité qui ont augmenté de 70% en un an, en raison, dit le rapport «du déploiement croissant des radars feux rouge ».
Le nombre de points retirés se monte à 12 096 911, en hausse de 19.3% sur un an. Toutes les infractions génératrices de retrait de points sont en hausse, mais celles concernant l’inobservation des arrêts imposés aux feux rouges ont plus que doublé. Les 263 302 infractions supplémentaires de ce type, qui entrainent un retrait de 4 points à chaque fois, expliquent 54% des points supprimés supplémentaires.
Toutes ces mesures ont un but clairement affiché : réduire l’insécurité routière et en particulier le nombre de morts sur la route. L’objectif est louable : le nombre de tués sur la route est encore très largement supérieur au nombre d’homicides qui fait pourtant largement plus la « une » des journaux.
Bien sûr, la vitesse n’est pas la seule cause des accidents de la route, l’alcool au volant non plus (à noter que des enquêtes récentes montrent que parler au téléphone au volant ne change pas grand-chose à l’attention du conducteur alors que pianoter sur son téléphone pour composer un numéro ou écrire un SMS multiplierait par 24 le risque d’accident !). Mais des efforts importants pour améliorer la sécurité passive des voitures ou améliorer le réseau routier ont été faits et continuent à être faits.
A lire le bilan, on pourrait croire que la répression (ici des dépassements de vitesse) est une mesure efficace, et même efficace à elle seule. Pour tous ceux qui ont travaillé sur les questions de sécurité au travail, cette affirmation laisse sceptique
Mais justement les deux rapports affichent fièrement des courbes pour montrer le lien entre répression et baisse de la mortalité. Le rapport sur les comportements le fait page 4 avec un tableau montrant le croisement des courbes d’infractions (en hausse) et de la mortalité (en baisse). Le rapport sur le permis à points veut tellement en convaincre ses lecteurs qu’il met deux fois , en page 3 et en page 8, le même graphique , portant sur les infractions ayant entraîné un retrait de points. On notera que le croisement entre les deux courbes est le même que dans le rapport précédent, mais pas le nombre d’infractions.
Regardons la courbe publiée dans le rapport sur le comportement des usagers de la route, qui a l’avantage de donner les chiffres exacts (mais le raisonnement est applicable dans les deux cas). On voit clairement (‘est aussi net sur l’autre schéma), qu’il y a eu une rupture dans la courbe de mortalité, et que celle-ci se manifeste en 2003, avec une baisse de 1616 tués par rapport à l’année 2002, a comparer par exemple aux 746 morts gagnés entre 2006 et 2011.
Si cette baisse est liée à un changement de comportement sur les routes, celui-ci doit avoir eu lieu au tout début de l’année 2003 ou à la fin de l’année précédente. Or le nombre d’infractions traités ne fait que commencer à augmenter en 2003 : cela ne peut expliquer cette rupture.
Les données de situation de la sécurité routière en 2011 nous proposent un récapitulatif des grandes dates sur le sujet. Depuis 1972, de nouvelles mesures sont prises chaque année (l’année 1981 fait seule exception, le législateur a sans doute eu d’autres chats à fouetter cette année-là…). En 2003, il y a de nombreuses mesures mais aucune dont on peut penser qu’elle puisse expliquer une rupture dans la courbe des tués. Par contre, en 2002, il y a des événements et des décisions sur lesquelles il va falloir revenir, en les confrontant à ses souvenirs.
Mais d’abord, il faut regarder une autre courbe, présente dans le bilan 2008 de la sécurité routière. Cette courbe affiche non pas les résultats annuels, mais les résultats sur 12 mois glissants, ce qui nous permet d’observer que si rupture il y a, elle se situe à l’été 2002, alors que la courbe est remontée au printemps 2002. Et le schéma fait apparaître un événement au point haut de la courbe: l’intervention du Président de la République le 14 juillet 2002.
Si on revient aux grandes dates de la sécurité routière, on lit pendant le deuxième semestre 2002 les dates suivantes :
- 14 juillet : le président de la République décide de faire de la sécurité routière un des trois chantiers de son quinquennat.
• 6 août : la loi portant amnistie présidentielle limitant son champ d’application au regard des infractions.
• 17 septembre : premiers États généraux de la sécurité routière.
• Le Comité interministériel du 18 décembre décide notamment :
– la mise en place d’un système de contrôle sanction automatisé ;
– l’aggravation des sanctions pour des faits d’homicide et blessures involontaires, certains comportements dangereux (conduite avec un taux d’alcoolémie, non-port de la ceinture de sécurité et du casque, usage du téléphone portable) ainsi que pour les récidivistes et les multi-infractionnistes
– l’instauration du permis probatoire pour les conducteurs novices.
Et là, les spécialistes de la sécurité au travail s’y retrouvent : pour changer les comportements dans ce domaine, la première chose à faire est d’en parler, et d’en parler beaucoup. Chez Du Pont de Nemours, l’entreprise qui a toujours été très en pointe sur le sujet, toute réunion, quel que soit son sujet, doit commencer par 5 minutes sur la sécurité.
Si je fais appel maintenant à mes souvenirs, le début de l’année 2002 est marqué par de très graves accidents liés à la vitesse et qui font l’objet d’une attention des médias plus fortes que d’habitude. Une question est mise en avant : l’amnistie présidentielle d’après élections qui est traditionnellement l’occasion de faire un trait sur les infractions commises dans les douze mois auparavant n’incite pas les automobilistes à braver les interdits ? Quel que soit la réponse, le fait que cette question soit martelée dans les médias conduit Jacques Chirac à prononcer une amnistie plus restrictive que d’habitude sur ce sujet.
Et sur les routes, à l’été 2002, les comportements changent d’un seul coup. Sur les autoroutes en particulier pratiquement plus personne ne dépasse le 130 km/h !
Les Etats Généraux de septembre et les décisions de décembre, l’installation ensuite des radars ne vont pas provoquer la rupture dans les comportements sur la vitesse au volant : ils vont permettre de conserver les nouvelles habitudes, et empêcher qu’après un premier choc, une dérive s’installe progressivement, ce qui a cependant lieu : je ne retrouve plus sur les autoroutes ce respect absolu que j’ai observé l’espace d’un été, même si les limites sont beaucoup mieux respectées qu’avant 2002.
En réalité, c’est parce qu’il y a eu une prise de conscience partagée que le gouvernement a pu successivement ne pas faire d’amnistie, installer les radars et faire sauter de plus en plus de permis. On pourra lire dans un article déjà ancien comment un diagnostic partagée a pu conduire à l’acceptation du port du casque dans un atelier
Le rapport sur le permis à point conforte cette analyse par le graphique page 12 qui montre l’évolution du nombre de permis retirés. Ce nombre se situe vers 10 000 par an en 2002 et augmente ensuite progressivement, autour de 20 000 en 2003, 40 000 en 2004 et plus de 80 000 par an depuis 4 ans ! Ce ne sont pas les permis supprimés qui ont réduit les accidents, c’est la conscience du caractère insupportable de la mortalité sur la route qui rend acceptable cette mesure !
Mais bon, j’ai déjà évoqué tout cela (un peu autrement) l’an dernier, voilà que je me répète !
Quelques mots sur la répartition de la mortalité en fonction du mode de locomotion. Quand on pense tués sur la route, on pense spontanément voiture de tourisme. Or, leurs usagers ne représentent plus que 52% des tués sur la route (contre 65% en 2000). Viennent ensuite les conducteurs de « motocyclette » (qui comprennent en fait aussi les motos), 19% des tués en 2011 contre moins de 12% en 2000, ce qui justifie les mesures qui font hurler Denys et s’explique probablement par une multiplication du nombre de pratiquants…mais n’en reste pas moins un problème. Après on trouve les piétons (519 tués), les cyclomoteurs et les vélos, tous utilisateurs qui ne bénéficient pas d’une tonne d’acier pour les protéger des dangers de la route. Ce n’est pas seulement pour soi qu’il faut conduire avec prudence, c’est aussi pour eux !
Quelques mots pour finir sur le lien avec le vote de citoyens. Une partie des électeurs de droite et du FN se plaignent que l’on ne châtie pas assez les « vrais » délinquants et beaucoup trop les braves conducteurs. Le fait que le vote FN augmente quand on s’éloigne des villes centres signifie aussi qu’on se trouve face à des personnes qui ont plus besoin de leur voiture que les autres, qui ont peut-être plus l’occasion de se faire pincer, et qui sont particulièrement gênés par la suppression éventuelle du permis
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