La commission d’enquête parlementaire sur les produits toxiques souscrits pas les collectivités locales, les hôpitaux publics ou les offices publics de l’habitat a publié son rapport le 6 décembre. Les emprunts à fort risque, souvent souscrits pour une très longue durée, représentent un en cours supérieur à 15 milliards d’euros, soit la moitié du volume de l’encours total !
Cette semaine justement, comme pour illustrer ce rapport, le président du Conseil Général de l’Ain déclare refuser de payer les intérêts d’un emprunt souscrit en 2006 par son prédécesseur. Les taux indexés sur l’Euribor, ont explosés « passant de 2.5% à 17.5% ». Pour un emprunt de 15 millions, le département a payé en 2012 plus de 500 000 € d’intérêts, ce qui représente un taux supérieur à 3% (l’article ne dit pas quel part du capital est déjà remboursée). Il est prévu des intrêts annuels de 1.2 M€ en 2013 et peut être 2.1 M€ en 2014, ce qui donne des taux supérieurs à 10% !
Le rapport identifie trois grands types d’emprunts : les emprunts à taux fixes, bien sûr les plus simples, les emprunts à taux variable, basés sur un ou plusieurs indices, et les emprunts structurés . Les emprunts à taux variables peuvent se révéler très couteux pour l’emprunteur (exemple ci dessus), les emprunts dits structurés aussi bien sûr, mais ils sont de plus généralement complexes voir incompréhensibles . Ces derniers combinent généralement un taux initial fixe et une ou plusieurs opérations sur produits dérivés.
Pourquoi ces emprunts ?
En résumant très fort ce qu’il y a dans le rapport, il me semble que le développement de ces emprunts s’explique par la combinaison de trois raisons :
- Un accroissement de la dette publique locale : le rapport explique que « Sous l’effet des premières lois de décentralisation, le marché de la dette publique locale a connu une longue phase d’expansion, l’encours total des seules collectivités territoriales étant passé de 387 milliards de francs (59 milliards d’euros) fin 1985 à 682 milliards de francs (près de 104 milliards d’euros) à la fin de l’année 1995 ». Après une accalmie entre 1995 et 2002 (probablement due à la forte croissance), la demande est repartie à la hausse à partir de 2002. A partir de 2006, la hausse des taux d’intérêts fixes a poussé aussi les collectivités locales à chercher ou à accepter des systèmes leur permettant, au moins au début, d'échapper à ses taux plus élevés
- La concurrence entre les établissements de crédit est devenue plus vive et ceux-ci ont été contraints, au tournant des années 2000, de baisser leurs marges afin de préserver leur activité. Sur le marché de la dette publique locale, ces produits plus sophistiqués ont constitué un moyen pour les établissements de crédit de se démarquer de leurs concurrents et de restaurer une partie de leurs marges.
- Une bonne partie des emprunts structurés permettaient de très longues durées (35 ans par exemple) et un coût très faible (par exemple pas d’amortissement et/ou un taux très faible) les premières années. C’était une solution attrayante pour les communes les plus endettées (comme St Etienne, qui du fait de sa désindustrialisation a vu passer sa population de 220 000 à 170 000 habitants en 50 ans).
En pratique, les acteurs publics locaux ont échangé des conditions favorables dans les premières années (parfois 5 ou 10 ans) contre des conditions risquées dans les années suivantes.
Le risque pouvait d'ailleurs être particulièrement élevé, non seulement parce que l'indice utilisé comme base pouvait s'envoler, mais parce qu'on lui appliquait un coefficient multiplicateur, parfois supérieur à 5
Le rapport explique aussi comment les décisions ont été prises en jouant sur la contrainte de rapidité posée par la banque et sur le fait que la plupart des membres de conseil municipaux ou d'adminsitration n'y comprenaient rien.
Pourtant deux anomalies auraient du faire tiquer les personnes de bon sens : le fait que le produit soit appremment très favorable mais comprenne des clauses incompréhensibles, le fait qu'il inclue des données qui n'avaient rien à voir avec le besoin de la banque, comme par exemple le cours du Franc Suisse
On peut présenter les choses autrement : comme pour les subprimes, il s’agissait de faire des prêts déraisonnables (c.a.d. ici à des emprunteurs qui s’endettaient trop) en utilisant des outils peu transparents (du fait de leur complexité) et risqués, mais qui ont l’avantage de donner du travail et des commissions confortables aux spécialistes de la finance.
Mon ami financier à qui j'ai envoyé le rapport le trouve peu pédagogique (par exemple, il n'explique pas ce qu'est un swap, qui le sait?). Il ajoute que dans cette histoire, le but de la banque n'est pas de rendre service au client mais de faire de la marge et d'assurer un bonus au trader, à son chef, au chef de son chef, sachant que le bonus est touché à court terme et que le risque n'apparait que bien plus tard. La failite de Dexia n'empêche pas Pierre Richard, son ancien PDG, de toucher une retraite certainement très confortable !
Il ajoute que la méthode de vente est classique : vous allez payer moins cher sauf dans ce cas hautement improbable...
Deux remarques pour une première conclusion :
- Les financiers justifient l’invention de produits dérivés et autres pour mieux servir l’économie et maîtriser les risques. On peut affirmer que sur le deuxième point, ce n’est vraiment pas convainquant
- Les politiques français prétendent augmenter la régulation de l’économie (c’est vrai à gauche mais aussi chez une partie de la droite). On ne peut pas dire qu’ils se montrent très vertueux quand ils sont directement concernés...
PS du 16 au matin
Les ministres des finances européens viennent de se mettre d'accord sur un mécanisme de supervision européenne, qui exclut les banques ayant moins de 30 milliards d'actifs, sauf si elles sont importantes à l'échelle de leur pays.Sur son blog, Jean Quatremer explique que l'Allemagne voulait absolument exclure ses caisses d'épargnes dans lesquelles sont impliqués de nombreux élus...
Tout cela aurait du rappeler quelque chose aux vieux routiers de la politique que sont la plupart de nos élus : l'emprunt Giscard,émis en 1973 pour un montant de 7.5 milliards de francs, avec un taux faible au regard de l'inflation de l'époque, mais avec une garantie sur l'or. A 7% sur 15 ans, il aurait dû coûter environ 6 milliards en intérêts. En réalité, il en a coûté 82 !
Dans ce cas, si les contribuables avaient payés, les bénéficiaires de l'époque étaient soit les banques, soit les particuliers. Dans les cas des emprunts des acteurs publics locaux, les perdants sont les contribuables et les gagnants sont pour partie les banques, pour partie le personnel des salles de marché qui enciasse les bonus
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