Devant la crise économique qui secoue une nouvelle fois notre pays, on peut se demander si notre système politique est capable de relever les défis économiques ou s’il est devenu inefficace de ce point de vue, seulement capable de dépenser toujours plus pour faire plaisir à l’électeur mais sans véritable stratégie.
J’aborderais dans un premier article la question de la croissance , élément majeur de celle des recettes, et dans un article suivant celle des dépenses
J’entendais ces jours ci Laurent Davezies, un économiste qui s’intéresse aux territoires, expliquer que notre taux de croissance diminuait d’un point par décennie. Il notait que les métropoles s’en sortaient plutôt bien quand des territoires moins concentrés étaient à la dérive et risquaient de l’être plus encore avec la lutte contre la dette, l’argent public étant devenu leur principale source de revenu. Il pensait qu’il fallait probablement aider en priorité les métropoles à réussir car sans croissance, de toutes manières, on ne pouvait pas grand-chose pour les autres territoires.
La question qu’il évoquait ainsi était une véritable et importante question politique. Et pourtant, ce type de question n’est jamais évoquée dans les débats, sauf pour faire croire que les départements du Massif Central, de Champagne / Ardennes ou de Franche Conté peuvent compter sur la solidarité nationale pour qu’on n’y supprime pas les services publics.
Plus généralement, le monde politique semble se désintéresser des questions de croissance. Oh, il est toujours prêt à justifier une augmentation de la dépense publique « parce qu’elle est bonne pour la croissance ». Mais réfléchir et agir pour la véritable croissance, la croissance structurelle à long terme, cela ne semble pas être un sujet digne d’intérêt.
Le gouvernement actuel a reproché aux actionnaires de Peugeot de ne pas avoir su positionner l’entreprise sur le haut de gamme et d’être resté sur un moyen de gamme menacé de partout. On nous dit aussi qu’on manque de grosses PME exportatrices, comme si on avait découvert le Pérou. Un rapport paru en 1975 pointait déjà (et cela a été répété régulièrement depuis) ces deux défauts français : l’absence de points forts (on est dans trop de secteurs sans y être forts, on n’occupe guère le haut de gamme) et la manque de grosses PME. Qu’ont fait les gouvernements successifs, de droite ou de gauche, sur ces points ? Ils ont tous voulu soutenir la consommation des ménages et ont négligé investissements (sauf Giscard avec le nucléaire) et exportations.
Quand il a été élu député, Christian Blanc est allé voir le premier ministre de l’époque, Jean Pierre Raffarin, pour lui parler de ses idées sur la croissance, ce qui lui a permis de se faire confier la rédaction d’un rapport qui est devenu celui sur l’éco système de la croissance. Il l’a présenté au premier ministre, qui se sachant en partance, lui a conseillé de le présenter à celui qui risquait de lui succéder et au ministre des finances
Si Dominique de Villepin n’a accordé qu’un regard poli au rapport, Nicolas Sarkozy en a compris toute l’importance : cela a débouché sur les pôles de compétitivité, puis sur la loi sur la recherche et enfin sur le développement de Saclay et du Grand Paris. Je ne pense pas que ce soit un hasard si celui qui n’a rien compris ne connaissait que le monde de la fonction publique et si celui qui a réagi positivement a commencé sa carrière dans le privé.
Pour faire passer ses idées, Christian Blanc a avancé la prédiction que la politique proposée pourrait faire gagner un point de croissance par an dans un délai de 5 ans. Je ne sais pas s’il croyait lui-même à un délai aussi court, mais aurait il été écouté sans cela ?
Sous le gouvernement Villepin, Christian Blanc s’est efforcé de populariser ses propositions et il l’a notamment fait lors d’une réunion publique à l’Institut Pasteur où les responsables de la conférence des présidents d’université sont venus dire leur accord mais aussi où deux présidents de région (Alsace et Aquitaine ou Bretagne si j’ai bonne mémoire), l’un de droite et l’autre de gauche, sont venus dire ensemble que cette question dépassait les clivages droite gauche !
Le lancement des pôles de compétitivité par Nicolas Sarkozy avait suscité l’indifférence des hauts fonctionnaires de son ministère mais suscité un grand enthousiasme sur le terrain, enthousiasme que les hauts fonctionnaires ont su calmer avec le temps et les embûches administratives qu’ils ont semées un peu partout.
Devenu secrétaire d’Etat au Grand Paris, Christian Blanc n’a eu de cesse de pousser le ^pôle de Saclay et sa proposition de transports structurants. Il a rencontré l’opposition politique du président socialiste de la région Ile de France, et des élus écologistes, toujours opposés à ses idées sur la croissance.
A ma grande surprise, la concertation sur le Grand Paris a suscité une participation considérable et un grand nombre de contributions. Et pourtant, ces thèmes, qui engagent lourdement l’avenir du pays et de la région, n’ont jamais recueillis qu’une attention polie des médias généralistes qui y voyaient probablement un débat trop technique pour plaire aux citoyens et faire de l’audience.
L’actuel premier ministre a récemment confirmé son adhésion à ces projets, comme le font les élus de tous bords qui participent au conseil de surveillance de la société du Grand Paris. On voit bien que les hommes politiques sont prêts à suivre une solution utile, mais ce n’est pas de cela qu’ils parlent dans leurs discours électoraux.
Je crois que dans 15 ans, on reconnaîtra le génie précurseur de l’ancien patron d’Air France sur tous ces sujets, mais ce n’est guère le cas pour l’instant !
Il y a près de 20 ans, je venais présenter une de mes interventions à un groupe de sociologues réunis sur le thème du changement. Ils ont eu la bonté de trouver que la démarche menée avait conduit à un vrai changement. Dans la discussion, était venu l’exemple, alors récent, de la RATP. L’un des sociologues, un jeune homme brillant, avait regretté que pour aboutir à un véritable changement (donner le pouvoir aux responsables de lignes sur le terrain), Christian Blanc avait du donner un os à ronger aux polytechniciens du siège et que celui-ci, la future ligne 14 et son automatisation, avait coûté cher (des milliards de francs). Aujourd’hui, on prolonge cette ligne 14 qui devient un élément majeur du projet de métro automatique du Grand Paris, et on s’apprête à passer progressivement toutes les autres lignes en automatique (c’est très bientôt le tour de la ligne 1).
Cet exemple illustre la grande difficulté à penser réellement à long terme à un niveau stratégique. En réalité, peu d’hommes politiques sont capables de la faire. A cet égard, l’homme des accords de Matignon pour la Nouvelle Calédonie, de la réforme de la RATP et du redressement d’Air France et enfin du projet de Saclay et du Grand Paris s’est révélé un homme exceptionnel. Peut-on attendre de notre démocratie qu’elle trouve ce type d’hommes exceptionnels et qu’elle leur confie les manettes ?
L’ami qui m’a lancé sur toutes ces réflexions m’avait expliqué dans un mail pourquoi il éprouvait un besoin de changement : Les élections coûtent cher en cash et en temps passé à écouter des fadaises (voir le débat de 2007, deux grandes idées annoncées: une aide aux handicapés qui existait déjà et dont on à plus jamais entendu parler (Sarkozy), et le raccompagnent des femmes flic à la maison la nuit (on a jamais su qui devait raccompagner celui qui raccompagnait celui qui raccompagnait celui qui.....) par Royal.)
Aussi coûtent très cher des actions débiles pour être réélu (guerre, baisse d'impôt intempestive...) ou des promesses qui doivent être un minimum réalisées (les retraites, le prix de l'essence, etc.). Coût aussi pour satisfaire les différents lobbies. Coût principal: l'inaction.
C’est peut être la dernière phrase la plus importante pour mon ami : l’inaction. Les hommes politiques ne s’attaquent pas aux bons problèmes et n’agissent pas. Le projet d’un métro automatique autour de Paris était dans les cartons de la région Ile de France depuis plus de 20 ans, sans que le projet n’avance !
Pour tenter d’expliquer ce phénomène, je voudrais prendre un exemple, à partir d’une réflexion très récente avec plusieurs de mes collègues.
Nous discutions des projets du gouvernement concernant l’emploi et plus précisément les règles concernant les contrats de travail (CDI et CDD) et les licenciements collectifs. Une fois de plus, et à partir de quelques dossiers médiatiques, l’attention se concentre sur ce qu’on appelle les plans de sauvegarde de l’emploi, en fait les plans sociaux. Pourtant, quand on regarde les statistiques, on constate que les licenciements économiques sont parmi toutes les causes de sorties de l’entreprise, celles qui conduisent au plus faible nombre de départs.
En 2011, pour une sortie en licenciement économique dans les entreprises du secteur concurrentiel, on compte en effet dans ces entreprises 1.6 départs en retraite, 4 fins de période d’essai, 2.6 ruptures conventionnelles, 3.8 autres licenciements, 13 démissions et 70 fins de CDD ! Il est à peu près sûr que la difficulté de réaliser des licenciements économiques augmente la précarité, l’appel aux CDD et à l’intérim.
Pourquoi alors une telle insistance sur ces licenciements collectifs ? Pour deux raisons ; la première évidente, est l’impact médiatique plus important d’une seule opération qui concerne des centaines de salariés au regard des centaines de milliers d’autres sorties chaque mois, qui sont la somme de sorties individuelles et dont aucun média ne parle.
La seconde raison est que les salariés des grandes entreprises pèsent plus lourds que les travailleurs saisonniers de tel ou tel restaurant. C’est dans ces entreprises que les syndicats recrutent leurs adhérents et leurs permanents, ils sont donc forcément plus attentifs à leur situation.
Changer la société, c’est en fait très compliqué : on se heurte forcément aux freins dressés non seulement par ceux qui vont réellement perdre dans ce changement mais aussi à ceux qui craignent (parfois à tort) de perdre, sans avoir l’adhésion de ceux qui ne savent pas vraiment s’ils vont gagner (on se reportera utilement sur la série que j’ai publiée il y a cinq ans sur la conduite du changement).
Alors, il est plus simple de voter des lois, même si on a des doutes sur l’impact réel de ces lois !
Je reviendrais dans un prochain article sur la question de la maîtrise des dépenses publiques.
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