Les journalistes ne sont pas les seuls à propager une idée fausse du marché du travail et des entrées et sorties dans l’emploi. Dans un entretien au Monde daté de ce vendredi, François Bayrou veut jouer au malin sur le sujet en parlant des contrats de sécurité professionnelle mais montre surtout qu’il ne le maîtrise pas.
Je n’ai jamais pris François Bayrou pour quelqu’un de particulièrement compétent : il est plus à l’aise dans les envolées lyriques que sur les dossiers de fond. Là, il a voulu jouer au malin et se poser en expert sur le sujet du chômage, en parlant d’un dispositif que beaucoup de Français ne connaissent pas, puisqu’il existe depuis moins d’un an sous cette forme. En fin de l’entretien accordé au journal du soir, on peut lire les phrases suivantes :
« En deux mois, on a enregistré 100 000 chômeurs de plus, ce qui fait en moyenne 1 000 chômeurs de plus par département. Et ce n’est qu’un début, car les salariés qui subissent les plans sociaux et signent un contrat de sécurisation professionnelle n’entrent qu’au bout d’un an dans les statistiques. »
Ces lignes renvoient à toute une série de présupposés, il est vrai partagés par beaucoup de Français tant l’information sur le sujet est trompeuse. Le premier est que le volume du chômage dépend pour l’essentiel des plans sociaux. Le deuxième que ceux qui entrent en CSP ne trouveront (pour la plupart) pas de travail d’ici un an. Le troisième est que le nombre d’entrées en CSP est élevé
Evidemment, ces trois présupposés sont faux !
Le nombre de licenciés économiques sur 12 mois glissants a varié depuis le début des années 2000 entre un minimum de 162 165 sur l’année 2000 et un maximum de 302 317 sur l’année 2009. En juillet 2012, il se situait à 179 471, soit proche de son plus bas niveau depuis 12 ans. Et nettement inférieur au nombre d’entrées à Pôle emploi sur un seul mois (620 300 nouvelles inscriptions en octobre 2012 !). Comme je l’ai déjà écrit et répété sur ce blog, le licenciement économique est de toutes les causes de sorties de l’emploi celle qui donne les plus faibles effectifs, très très loin des fins de CDD, loin des démissions, mais aussi bien après les fins de périodes d’essai, les ruptures conventionnelles ou les autres type se licenciements !
Deuxième idée heureusement fausse, les chômeurs ne restent pas tous à Pôle emploi dans les douze mois qui suivent leur entrée, y compris en période de hausse du chômage. En octobre 2012 il y a eu en données brutes 513 600 sorties de Pôle emploi en métropole. Sur 4 949 900 inscrits à Pôle emploi en catégories A, B ou C, 1936 900 soit 39% y sont depuis au moins un an. Pour les catégories A, la durée d’inscription moyenne des sortants de Pôle emploi est de 249 jours en octobre 2012. Elle est d’ailleurs en baisse de 10 jours sur un mois et de 5 jours sur un an.
En 2001, Mark et Spencer avait fermé ses 18 magasins en France. Une chaine de télévision avait fait un reportage sur la question, comprenant notamment un entretien avec un vendeur d’une quarantaine d’années. Tout dans le dialogue suggérait que, pour le journaliste, ce vendeur licencié ne retrouverait jamais de travail. Et pourtant, quand les Galeries Lafayette ont racheté le magasin parisien et proposé de garder les équipes, 95% des salariés ont préféré empocher la prime de licenciement et aller chercher du travail ailleurs.
Les salariés victimes d’un licenciement économique, peuvent avoir plus de mal que les autres à retrouver du travail, au moins ceux qui étaient dans une grande entreprise depuis longtemps : leurs salaires sont souvent au-dessus du marché et ils n’ont pas l’habitude de se confronter au marché du travail comme ceux qui enchaînent les CDD. De plus, ceux qui ont signé le Contrat de Sécurisation Professionnelle qui bénéficient de 80% de leur ancien salaire brut peuvent être tentés de profiter de cet avantage. En contrepartie, ils bénéficient d’un accompagnement renforcé. Il est donc probable que plus de la moitié d’entre eux ne soient plus au chômage au bout de 12 mois. Ou qu’ils en sortent vite dans les mois qui suivent.
Dernier point, le nombre de salariés entrant dans le statut de « stagiaire de la formation professionnelle » du fait de la CSP est de 9 000 environ par mois. Dont plus de la moitié vont trouver du travail dans les douze mois. On est assez loin des 100 000 chômeurs en deux mois dont parle Bayrou tout d’abord. De plus, comme le dispositif succède à deux autres assez semblables, le rythme de sortie ne va pas d’un seul coup augmenter dans douze mois : on a déjà quelques milliers d’entrées au chômage pour cette raison, et il en sera toujours de même dans 12 mois.
Ce qui fera le niveau du chômage dans 12 mois, ce ne sera donc pas le volume de ceux qui sont actuellement stagiaires du fait du CSP. Ce sera surtout le niveau de la croissance et donc de la création ou de la destruction nette d’emplois d’ici là. Il est dommage que celui qui se pense la vocation à devenir Président de la République ne l’ait pas compris !
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