Le passage du SMIC à 1700 euros par mois est une des principales propositions du candidat du Front de gauche. Elle est tout à fait représentative de l’aberration de son programme économique mais aussi de la manière dont il utilise des arguments biaisés pour prétendre que ses propositions sont réalistes.
J’avais eu l’occasion à propos des retraites d’analyser ce que j’avais appelé à l’époque la mauvaise foi de JL Mélenchon qui sur le sujet, faisait une comparaison apparemment sensée (mais qui ne l’était en fait pas du tout) entre la proportion de plus de 60 ans dans la population et la part des retraites dans le PIB. On verra ici que Mélenchon aime bien cette méthode consistant à utiliser des réalités très factuelles pour construire ses pièges à gogo.
On trouve donc sur le site du parti de gauche un article intitulé «Le SMIC à 1 700 euros c’est possible ». Le titre en lui-même est déjà un aveu, celui que la crédibilité de la proposition se pose. Il faut rappeler qu’en 2007 Laurent Fabius avait promis un SMIC à 1500 euros en fin de quinquennat, et qu’aucune mesure concernant le SMIC ne figure dans les 60 engagements de François Hollande : les socialistes ont compris que le SMIC est aujourd’hui trop élevé, et qu’il ne faut surtout pas aggraver la situation, au risque d’augmenter encore le chômage des non qualifiés.
Donc l’argumentaire du parti de Gauche commence ainsi : porter le SMIC à 1 700 euros bruts dès 2012 représenterait une hausse de 21%. Cela n’a rien d’irréaliste : le SMIC a déjà été augmenté de 25% en 1981 et même de 35% en 1968.
Reprenons donc ce graphe produit par la DARES (page 12) et que j’ai déjà cité plusieurs fois, qui compare le SMIC et le salaire médian. En 1968, au moment des accords de Grenelle, ce ratio se situait aux environs de 0.42, alors qu’il dépassait les 0.5 en 1960. Au regard de la situation de plein emploi qui prévalait à l’époque, on peut raisonnablement penser qu’il y avait un nombre très limité de salariés au SMIC, et que celui-ci fonctionnait à peine comme voiture-balai. La très forte augmentation de juin 1968 fait en réalité office de rattrapage, et permet à ce ratio de remonter provisoirement au niveau observé en 1960, avant de redescendre en dessous de 0.5 après 1970, en raison de l’augmentation rapide des salaires, et donc du dénominateur.
En 1981, la situation comporte trois différences. La première est que l’inflation, faible dans les années 60, est au contraire très importante (supérieure à 10% chaque année) au début des années 80. Cela diminue de fait l’effet de l’augmentation du SMIC, celle-ci n’ayant d’ailleurs pas été faite en une seule fois sur l’année 1981.
La deuxième différence est que l’on part cette fois ci d’un ratio SMIC/ Salaire médian déjà élevé, puisqu’il se situe à 0.57 environ. Du fait des différents coups de pouce donnés au SMIC dans les premières années des gouvernements Mauroy, ce ratio va dépasser 0.62, avant que le tournant de la rigueur de 1983 se traduise par une baisse progressive.
La troisième différence est que cette augmentation ne va pas sans conséquences sociales désastreuses, ce que se garde d’évoquer le candidat Mélenchon : alors que les taux de chômage ne sont pas très différents selon les qualifications au milieu des années 70, une différenciation se fait progressivement ensuite, nettement accélérée au début des années 80 (et la hausse du SMIC en est une des explications), au détriment du chômage des non qualifiés, que seule la politique d’allégements des cotisations dans la deuxième moitié des années 90, réussira à limiter. La page 13 du rapport de la DARES montre que la part de l’emploi des non qualifiés dans l’emploi total baisse de près d’un demi-point par an dans les années 80, puis qu’elle se stabilise autour de 23% dans les années 90.
JL Mélenchon propose de passer à un SMIC brut de 1700 euros en 2012 et à un SMIC net du même montant, pour la fin du quinquennat. C’est l’occasion de préciser que d’après l’INSEE, le salaire médian net se situait en 2008 à 19159 euros par an, soit 1596 euros net par mois. L’augmentation annuelle se situe autour de 2% depuis (2.2% en 2009, 1.8% en 2010 et plus de 2% en 2010), ce qui devrait amener actuellement le salaire médian mensuel 9% environ plus haut qu’en 2008, soit de l’ordre de 1740 euros. Soit à peine plus que le niveau auquel JL Mélenchon veut amener le SMIC en 2017. On aura compris qu’un telle politique s’accompagnerai de divers problèmes graves pour l’économie française et les actifs, dont une forte reprise de l’inflation et du chômage.
L’auteur de l’article note que « pour les3 millions de salariés payés au SMIC, cette hausse sera une bouffée d’oxygène » et la chiffre même à 239 euros met par mois pour un temps plein : il ne précise pas que cette bouffée d’oxygène serait très provisoire car mangée par l’inflation. Il en est pourtant conscient car il précise plus loin que « 75% des smicards se trouvent dans des secteurs de services qui ne peuvent être délocalisées » donc, sous-entendu, des secteurs où on peut augmenter les prix pour répercuter la hausse des salaires.
Mais l’argumentaire continue avec ces deux phrases magnifiques : « Le pays peut parfaitement payer cette hausse des bas salaires » et « La hausse du SMIC ne menace pas l’emploi, bien au contraire ». Pour démontrer le premier point, il cite l’augmentation de 23% des rémunérations des patrons du CAC 40 en 2010, sans préciser évidemment le montant de la baisse constatée l’année précédente.
Mais ce n’est là qu’argument politicien classique, la question de l’emploi étant beaucoup plus importante. Après avoir dit précisé que ce n’était pas un problème dans les services, l’article précise que ce n’en ait pas un un non plus dans les PME : ce sont les patrons qui vont être contents d’apprendre que les coûts salariaux ne sont pas une question. Non, pour Mélenchon, les difficultés des entreprises, ce sont la faiblesse de la demande (qui sera réglée par l’augmentation des salaires voyons !) et la trésorerie, problème qui sera solutionné à taux zéro par le futur pôle financier public.
Heureusement que le front de Gauche ne considère pas que les déficits publics sont un problème, car avec les mesures prévues (il n’y a bien sûr pas que le SMIC), l’application de son programme les feraient exploser, que cela soit celui de la sécurité sociale (caisses de retraites mais aussi branche santé) ou celui de l’Etat. L’avantage est qu’on irait bien sûr dans le mur, mais beaucoup plus vite !
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