A l’occasion du Forum mondial de l’eau, le Monde a publié dans son numéro daté du 13 mars une page sur la situation française, véritable bijou de désinformation journalistique. Si le lecteur en tire une vision très biaisée des opinions des français, il n’apprendra pas grand chose de la situation de l’eau dans notre pays, sauf que les associations environnementalistes la trouvent mauvaise !
La page comprend deux parties : la première présente quelques résultats d’un sondage réalisé à la demande du syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne(SIAAP), la seconde est un article sur « cinquante ans de pollution agricole dans la Beauce ».
Le SIAAP est en charge de l’assainissement des eaux usées pour 4 départements : 75, 92, 93 et 94. Il est présidé par Maurice Ouzoulias, conseiller général communiste du Val de Marne, le conseil d’administration étant dominé par la gauche, écologistes compris. Il a publié le 12 mars un sondage « sur les enjeux environnementaux et sociaux de l’eau et de l’assainissement », dont le Monde a publié des extraits et dont le SIAAP retient en premier lieu que « les Français plébiscitent le Droit à l’eau et à l’assainissement ».
Le sondage montre déjà comment on peut orienter les réponses en choisissant soigneusement la manière dont on pose la question. On le découvre sur quatre des questions reprises par le Monde (tout est dans la note détaillée sur le site du SIAAP).
La première question, celle qui me parait la moins biaisée, est la suivante : pour chacun des enjeux environnementaux suivants, pouvez-vous indiquer s’il est important de s’en occuper dans les années à venir. L’enjeu qui arrive en tête en ordre d’importance est la pollution de l’eau, devant celle de l’air et bien avant le réchauffement climatique. Je suis curieux de savoir ce qu’auraient répondus les sondés si on leur avait demandé d’abord si on s’en occupe déjà puis si on s’en occupe suffisamment, trop ou pas assez. Ce qui est sûr , c’est que la page du Monde ne leur apprend pas qu’on s’en occupe déjà mais leur fait clairement comprendre que si c’est le cas, ce n’est pas assez !
La deuxième question est en soi un chef d’œuvre, puisqu’elle propose de choisir entre deux opinions. La première est que l’eau est une ressource limitée, il pourrait un jour ne plus y avoir assez d’eau disponible sur la planète, la seconde au contraire que l’eau est une ressource illimitée, il y en aura toujours suffisamment de disponible sur la planète.
Il faut noter que chaque affirmation compte deux parties. Physiquement, l’eau est limitée (on peut mesurer le volume existant sur la Terre), même si elle existe en quantité énorme dans les mers : il y a sur la planète plus d'un km3 d'eau par être humain, sachant qu'un km3 représente un millard de m3 et que l'eau consommée est recyclée.
Après, la notion de disponibilité est assez floue, et il n’est pas précisé de quelle eau on parle. Si on parle de l’eau en général et de son existence en général, le risque est assez faible qu’on en manque. Si l’on parle de disponibilité d’eau potable pour chaque être humain là où il vit, il y a déjà aujourd’hui des millions d’êtres humains qui n’ont pas accès à l’eau potable. Que répondre alors ? Ne se prononce pas ?
On notera qu’il se trouve 1% d’individus pour affirmer que si les eaux usées n’étaient pas traitées, cela n’entrainerait certainement pas de risques de maladies graves chez les individus. Peut-être des sondés qui ont compris que le sondage était complétement biaisé ?
Le Monde ne se fait pas l’écho de questions qui montrent que plus de neuf français sur dix déclarent faire attention à la quantité d’eau qu’ils utilisent chez eux et que plus de huit Français sur dix estiment qu’il faudrait agir en priorité sur les usages industriels et agricoles de l’eau. C’est pourtant très révélateur de l’ignorance des actions déjà menées…
L’article sur la Beauce explique d’abord que, du fait de « l’agriculture productiviste » pratiquée avec force irrigation, pesticides et engrais, on observe des baisses inquiétantes de niveau et dans de nombreuses sources des teneurs en nitrates supérieures à la norme admise pour la consommation humaine, soit 50 mg/l.
L’article va ensuite aborder l’élaboration du SAGE (schéma d’aménagement et de gestion des eaux de la nappe), et donne la parole à trois représentants d’associations de protection de la nature, qui se plaignent eux aussi des rejets agricoles ou industriels, et …à personne d’autre !
Au total cette page du Monde relaie implicitement l’idée (évidemment jamais présentée comme telle) qu’il ne se fait rien pour traiter les problèmes environnementaux. Non seulement il n’en est rien, mais les lecteurs de cette page qui n’auraient aucune autre information sur le sujet seraient étonnés d’apprendre que la pollution diminue et que la qualité de l’eau s’améliore !
Pour en savoir plus, le plus simple est d’aller sur le site de ceux dont c'est le travail. Les ARS, qui succèdent sur ce point aux directions des affaires sanitaires et sociales, sont chargées de la surveillance de la qualité des eaux (et des plages !). Les agences de bassin ont été créées par la loi sur l’eau de décembre 1964 « relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre leur pollution ». Il y a donc maintenant 47 ans qu’elles existent !
Le site de l’ARS de l’ile de France m’a mené à celui du ministère de la santé pour pouvoir consulter les données sur l’état de l’eau dans ma commune. La teneur en nitrate est de 26.8 mg/l et la « limite de qualité » de 50 mg/ l est affichée. Si je cherche à Chartres, au cœur de la Beauce, je trouve une teneur de 33.1 mg/l. Par contre, pas d’indications de la teneur en nitrate à Orléans ! A Blois, elle n’est que de 8.7mg/l.
Du coup, j’ai été chercher à Lens, ville qui était réputée avoir une eau dépassant largement la teneur autorisée en nitrate quand je travaillais encore à la mine. Aujourd’hui, il y a 27mg/l. A noter que la liste des mesures est bien plus longue qu’ailleurs, suite peut être à des attentions liées aux industries locales.
Une recherche rapide sur le site de la documentation française ne m’a pas permis de trouver un rapport public récent sur la question de la pollution par les nitrates. Il existe un rapport de la Cour des comptes sur « la préservation de la ressource en eau face aux pollutions d'origine agricole : le cas de la Bretagne », qui « présente les différents programmes de reconquête de la qualité des eaux brutes développés à partir de 1993 » (la directive européenne sur le sujet date de 1991).
Je me souviens cependant qu’au moment de l’affaire des sangliers morts sur les plages, un article de mon journal préféré signalait que la teneur de nitrates dans l’eau était passée en 10 ans en Bretagne de 38mg/l à 32 mg/l. Lors d’un entretien avec lui, la personne chargée dans une ARS des mesures sanitaires m’avait expliqué que « il a fallu trente ans pour polluer les nappes phréatiques, il nous faudra trente ans pour les dépolluer ». La question n’est pas nouvelle : en 1992, j’ai travaillé pour une coopérative agricole bien implantée dans la Beauce et un de mes interlocuteurs m’avait expliqué que la consommation d’engrais avait été divisée par deux par l’utilisation d’analyse régulière du sol qui permettait de mieux cibler la quantité d’engrais nécessaire (la pollution correspondante pouvant être divisée par plus que 2, les quantités inutiles allant directement dans les nappes alors que celles utiles sont absorbées au moins partiellement par les plantes).
Le site de l’agence de l’eau Loire Bretagne donne des indications sur les actions en cours. A propos de l’agriculture, une carte (voir dernière page) montre que les zones d’état médiocre étaient plus nombreuses que celles qualifiées d’en bon état. Le tableau de bord montre que le système continue à se mettre en place : tout ne fait pas encore l’objet de mesures partout, certaines zones n’ont pas encore leur schéma défini. Par ailleurs, un rapport de février 2011 analyse les aides de l’agence de l’eau Loire-Bretagne en faveur de la réduction des nitrates d’origine agricole.
Mais le mieux est de lire le rapport sur les résultats des actions financées par l’agence de l’eau Loire-Bretagne entre 2007 et 2010, où l’on trouve de nombreuses informations, des cartes et des schémas d’évolution dans le temps. Pour résumer très fort, le verre est à moitié plein et il évolue dans le bon sens.
Par exemple, 30% des cours d’eau sont dans un bon état écologique et l’objectif est d’atteindre 61% en 2015. Le phosphore étant un des principaux polluants, on regardera page 6 l’évolution des résultats des mesures dans les eaux de surface depuis 1980. L’évolution est lente, mais on est passé d’environ 30% de mesures bonnes ou très bonnes dans les années 80 à plus de 80% aujourd’hui.
Conclusions :
- La collectivité nationale s’occupe depuis très longtemps d’améliorer la qualité de l’eau et de diminuer les pollutions
- Les progrès sont réels
- Le Monde a encore fait de la désinformation sur ce sujet
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