Après avoir analysé l’évolution historique de la notion d’égalité depuis la révolution, Pierre Rosanvallon, dans la Société des égaux, tente de définir ce que cette notion pourrait prendre comme traduction dans notre 21ème siècle. Pour cela, il va détailler les notions de singularité, de réciprocité et de communalité
La cinquième partie du livre de Pierre Rosanvallon se veut une première ébauche de ce que peut être une société des égaux. Il commence par rappeler les limites de la logique d’égalité des chances (qui aboutit à légitimer les inégalités) et de la justice distributive (qui ignore la redistribution) pour aborder le concept de société sans classes
Comme le rappelle l’auteur, la société sans classes est un concept utilisé par Marx lui-même pour traduire l’idée révolutionnaire de société d’égaux. L’auteur cite la définition issue du Manifeste du parti communiste : « libre association où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous » (oui, oui, c’est Marx qui écrit cela, on se demande parfois si ses successeurs l’ont lu ou si c’était en contradiction totale avec le reste !)
Notre auteur rappelle que « les socialistes historiques ont toujours identifié l’idée d’égalité à des idéaux d’émancipation et d’autonomie » plutôt que dans « des termes d’une simple arithmétique des revenus et des patrimoines ». Cette idée de société sans classe renvoie à l’absence de système d’aliénation : « le travail n’est pas soumis à des puissances prédatrices » mais « la dignité de tous est garantie »
Pierre Rosanvallon ajoute que la Révolution Française avait traduit cette idée d’égalité à travers trois principes : similarité, indépendance et citoyenneté. Il estime qu’il faut approfondir les premier et troisième principes, ce qui le conduit à proposer les principes de réciprocité et de communalité mais que le deuxième n’est plus de mise dans une société où l’interdépendance entre les humains n’a jamais été aussi forte. Il propose donc de remplacer ce dernier par le principe de singularité. Il consacre ensuite un chapitre à chacune de ces notions.
Il est frappant de noter que l’auteur définit chacun de ses trois principes dans une logique de relation. Il sort ainsi de l’opposition potentiellement stérile entre individu et collectif. Il est vrai que nous savons depuis longtemps que l’homme est un être social, même si nous n’en tirons pas toutes les conséquences !
Parler de singularité plutôt que d’autonomie ou d’identité, c’est sortir d’un concept statique, de constitution, pour passer à un concept défini en relation. Ce qui donne pour l’auteur les lignes suivantes : « l’aspiration à la singularité ne peut prendre forme que dans la relation à autrui. Trouver le sens de son existence par rapport aux autres implique en effet de vivre avec eux »
Avec la singularité « chacun peut trouver sa voie et devenir le maître de son histoire, chacun est pareillement unique ». Encore faut-il que cette singularité ne soit pas niée par des mécanismes d’enfermement dans une caractéristique généralisée (les noirs, les gros, les riches, les paysans…). L’auteur introduit ici les processus à mettre en place ou renforcer pour lutter contre les discriminations.
Il aborde également la question de l’égalité des sexes qu’il juge révélatrice des questions d’égalité, car elle se trouve « au double carrefour des rapports entre singularité et similarité d’une part de singularité et de différence d’autre part ». Il rappelle qu’historiquement, le fait que la femme ne soit pas semblable à l’homme a été utilisé pour refuser l’égalité entre les sexes. Le débat sur la parité a selon lui « oscillé entre visions universalisantes et approches différencialistes ». L’auteur propose la réflexion de John Stuart Mill qui a invité à traiter la question « du point de vue de la nature du rapport entre les hommes et les femmes. L’enjeu est l’aptitude à vivre ensemble comme des égaux ». Il en conclu que « la question des droits des femmes est d’abord celle de leur relation avec les hommes ».
Pierre Rosanvallon va prendre la même entrée de la relation pour traiter des questions d’échange, de droits et de devoir. Après avoir observé que les sciences sociales s’interrogent sur la manière dont l’homme recherche en priorité son intérêt ou se comporte de manière altruiste, il note que les mêmes sciences sociales s’accordent pour dire que la réciprocité fait consensus, que ce soit la réciprocité d’échange (que Mauss développe avec le don et le contre don) ou la réciprocité d’implication(que l’auteur développe à travers la demande d’égalité d’engagement dans la cité).
L’auteur note qu’actuellement l’opinion reproche d’une part aux très riches et d’autres part aux plus pauvres/ plus assistés de ne pas être dans une logique de réciprocité. On peut aussi considérer (c’est moi qui parle) qu’il n’est pas sain qu’il y ait des gens qui payent l’impôt et d’autres qui ne le payent pas du tout (l’idéal serait que chacun puisse le payer dans la mesure de ses moyens).
L’auteur appelle son dernier principe la communalité : au-delà des droits liés à la citoyenneté (le droit de vote par exemple), faisons nous ou pas communauté ? Il observe que la tendance est au contraire au séparatisme et à la constitution de petites communautés bâties selon des critères d’homogénéité et donc de fait d’exclusion.
Que conclure, sinon que tout cela donne effectivement à penser, même si le résumé ci-dessus dénature et affadit forcément la pensée de l’auteur ? Cela devrait donc participer de futures réflexions sur ce blog !
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