Comme tout bilan, celui des gouvernements présidés par Nicolas Sarkozy comporte des points forts et des points faibles, le résultat final dépendant beaucoup de l’importance attribuée aux divers sujets. Une conversation récente m’amène à analyser ce bilan au regard des priorités que se donnaient Christian Blanc et ses amis, dont j’étais, avant 2007.
J’ai revu il y a peu un de mes amis, rencontré à l’époque de l’Ami Public et d’Energies Démocrates, qui a gardé des liens avec Christian Blanc et ceux qui travaillent dans la mouvance des actions impulsés par lui dans le cadre du Grand Paris. Forcément, la conversation a fini par arriver sur les futures élections. Mais nous sommes aussi revenu sur 2007 et nos choix d’alors.
Je lui expliquait avoir compris en lisant un point de vue de Pierre Rosanvallon ce qui m’avait conduit à rejeter le vote Bayrou et la vote Royal : en fait, j’étais incapable de savoir ce qu’ils auraient fait une fois arrivés au pouvoir. Pour mon ami, la raison en était simple : Sarkozy était prêt et avait un programme défini, ce qui n’était pas le cas des deux autres. C’est possible : si l’ami Frédéric LN prétendra le contraire dans le cas de Bayrou, Royal l’a reconnu implicitement en affirmant récemment être beaucoup plus prête qu’en 2007.
Je pense malgré tout qu’il y a une question de caractère qui fait de Royal et Bayrou des personnages imprévisibles. Toujours est il que les reproches que je peux faire à Nicolas Sarkozy ne sont pas vraiment des surprises, et qu’on pouvait et devait parfaitement s’attendre à ce qu’on a malheureusement constaté.
Nicolas Sarkozy me semble éminemment critiquable sur deux points : son attitude sécuritaire et le discours qui va avec d’abord, son attitude avec et pour les riches ensuite. A moment où Pierre Rosanvallon et la République des idées diffusent l’idée que pour faire société il faut abandonner des politiques inégalitaires, on ne peut qu’ajouter qu’on ne peut faire durablement société dans le rejet de l’autre qu’incarne un certain discours sécuritaire.
Mon ami était très remonté contre la priorité donnée aux riches, qu’il considère comme une faute majeure. Cette priorité, qui s’est traduite dans de nombreux comportements d’un président que certains ont montré complètement obnubilé par les signes extérieurs de richesse, n’était pas qu’une question d’impôts.
Une de mes collègues s’offusquait aussi de la priorité donnée aux copains et aux réseaux alliés dans les choix de mise en œuvre de la politique, et de l’importance accordée par le Président à ces questions. Je ne peux que l’approuver et souhaiter une République réellement neutre et promouvant ses serviteurs sur les seuls critères de compétence. Mais je dois constater à quel point les comportements reprochés sont d’usage dans tous les partis et comment ceux qui sont promus, même quand ils sont fondamentalement droits et peu enclins à une logique de favoritisme, peuvent s’aveugler sur les comportements de leurs propres amis au pouvoir. Ceci dit, il semble que Nicolas Sarkozy ait poussé la logique assez loin…
Comme je lui disais qu’une des raisons de mon vote de 2007 était la position prise alors par Christian Blanc, mon ami m’a affirmé que ce dernier reste toujours un fan acharné du Président en exercice. Et pourtant, l’ancien ministre pourrait être sensible aux reproches que je fais ci dessus. Je notais en effet que dans le livre qu’il a fait publié sous son nom à propos du Grand Paris, Christian Blanc montrait une attention réelle à tous les milieux sociaux, attention qui s’est notamment traduite dans le passage de la future ligne de métro à grande vitesses dans des quartiers que la région ile de France, pourtant gouvernée par la gauche préférait ignorer. Comme me l’a affirmé alors mon ami, on peut faire confiance à Christian Blanc sur le plan des valeurs.
Pour comprendre le point de vue de l’ancien dirigeant d’Air France et de la RATP, il faut revenir sur les raisons de son engagement politique de 2001 et sur les solutions qu’il a préconisées ensuite.
Christian Blanc, grand admirateur de Charles de Gaulle et de Pierre Mendés France, était persuadé que notre pays était en train de s’enfoncer lentement dans le déclin, notamment économique. On peut illustrer ce point de vue en constatant que dans les années 70, la France avait rattrapé les USA et que depuis, elle a repris du retard, notamment dans les domaines économiques et technologiques, sur ce pays. Le rapport Pébereau de 2005, auquel il a participé avec vigueur, a aussi été l’occasion de souligner le risque de politiques à courte vue et irresponsables, préparant doucement la situation explosive d’endettement que nous connaissons aujourd’hui.
Christian Blanc, très méfiant sur les politiques conjoncturelles considère que l’essentiel est de prendre les moyens d’une croissance à long terme élevée, seule capable de garantir le maintien de notre système social, en mettant en place une économie de la connaissance. Ce n’est pas original : c’est la politique préconisée par l’Europe depuis dix ans, sous le titre de stratégie de Lisbonne. Le problème était que notre pays ne l’appliquait pas.
C’est dans cette esprit qu’il propose à Jean Pierre Raffarin un rapport sur le sujet, qui donnera l’écosystème de la croissance, un rapport dont Dominique de Villepin se désintéressera complétement au contraire de Nicolas Sarkozy, qui lance les pôles de compétitivité. Christian Blanc insiste sur les rapports entre la recherche, notamment universitaire, et les entreprises. Il note que des rapports privilégiés existent historiquement entre ces deux types d’acteurs à Grenoble, mais qu’il n’en est rien dans la plus grande concentration de chercheurs de France, le plateau de Saclay.
Devenu secrétaire d’Etat au Grand Paris, il promeut la mise en œuvre de ses idées, avec l’établissement public de Paris Saclay, présidé par Pierre Weltz, et la ligne de métro périphérique à grande vitesse. Entre temps, Valérie Pécresse met en œuvre les mesures qui poussent à la coopération entre la recherche et sa mise en œuvre par l’entreprise.
D’après mon ami, la dynamique est lancée. On peut d’ailleurs penser qu’un futur gouvernement de gauche ne la remettra pas en cause : après tout, Christian Blanc avait été attentif à associer des élus de gauche au mouvement, avec par exemple la présence des présidents des régions Aquitaine et Bretagne, Rousset et Le Drian au colloque sur le sujet organisé en 2006 à l’institut Pasteur.
En pratique, ce sera des élus écologistes que viendront les plus grands freins, ces derniers étant systématiquement hostiles à tout ce qui pourrait favoriser la croissance. A titre d’exemple, l’arrivée d’un centre de recherche d’EDF à Palaiseau, pour un investissement de 300 millions, a suscité la méfiance des élus municipaux Verts, qui se sont d’abord demandé si les recherches porteraient sur le nucléaire. S’ils ont pu constater qu’il n’en était rien (la recherche portera sur les réseaux intelligents), ils n’en ont pas moins voté contre, sous l’argument qu’EDF était une société qui fait du nucléaire (ce qui pour un Vert, est l’équivalent du diable). Le maire PS a heureusement fait passer le projet !
Le gouvernement fait également tout pour faire avancer le projet de métro à grande vitesse, malgré là aussi l’opposition des Verts de la Région, qui estiment qu’il faut réduire les déplacements en Ile de France, en incitant les franciliens à travailler près de chez eux (ou à habiter près de leur travail).
Le STIF avait depuis plus de 10 ans un projet de métro périphérique dans ses cartons, mais il n’avançait absolument pas. Le projet promu par l’ancien patron de la RATP comporte plusieurs différences majeures par rapport au projet du STIF : il relie les grands centres de développement économique et les centres de communication (Orly, Roissy, Massy, Carrefour Pleyel), il passe dans Paris, et il est conçu pour des durées de déplacements rapides. La très importante mobilisation qu’a suscité l’enquête publique auprès de collectivités territoriales, d’institutions (les CCI par exemple) et d’associations participe à rendre le projet inéluctable : des promesses ont été faites, et de nombreux élus de l’Essonne, de Seine saint Denis ou du Val d’Oise y voient une chance de désenclavement pour leurs électeurs.
Sur Saclay, une dynamique se met en place, lentement certes, mais assez sûrement, grâce à l’engagement de quelques acteurs motivés, comme l’école Normale de Cachan.
Tout cela avance plus difficilement qu’on ne le souhaiterait, mais avance. Les résultats devraient venir petit à petit. Christian Blanc avait vendu à Nicolas Sarkozy l’idée qu’il pourrait y avoir des résultats visibles sur la croissance en moins de 5 ans, ce qui m’avait paru optimiste. Il est difficile de dire ce que donnent les pôles de compétitivité, le ministère de l’industrie s’étant ingénié à y introduire le maximum de bureaucratie.
L’exemple sur Grenoble de la société SOITEC, directement issue de la recherche du CEA, est là pour montrer ce que peut donner un lien réussi entre recherche et entreprise, mais aussi le temps nécessaire pour que les emplois créés se comptent en centaines voire en milliers.
Le grand emprunt a été une nouvelle occasion pour financer ces projets et booster la recherche. La structure de gestion adoptée doit permettre de limiter, au moins dans une première étape, la bureaucratie.
Du coté de l’écosystème de la croissance, il y a donc eu une volonté permanente du président de la République, volonté qu’aucun autre à droite (ni même au centre) n’avait manifesté. Il y a des raisons objectives de penser que, si l’analyse du député des Yvelines est bonne (et j’ai toute les raisons de penser qu’elle l’est), dans 10 ou 15 ans, on datera la redynamisation de l’économie française des choix faits dans ce domaine par Nicolas Sarkozy depuis 2005.
Le deuxième sujet pour lequel s’est battu Christian Blanc comme député, à travers notamment le rapport Pébereau, c’est celui de la dette. Pour lui, il fallait réduire le train de vie de l’Etat, le moyen privilégié pour y parvenir étant la réduction du nombre de niveaux administratifs, avec la suppression des départements, le regroupement des communes et la fin des recouvrements de responsabilité entre niveaux administratifs. La poursuite des réformes des retraites faisait évidemment également partie des actions nécessaires.
Les différents gouvernements Fillon ont lancé la révision générale des politiques publiques de manière à réaliser les changements d’organisation facilitant le non remplacement d’un départ en retraite d’un fonctionnaire sur deux. Je ne sais pas ce qu’en pense Christian Blanc, mais je considère que si l’objectif était louable, la mise en œuvre laisse beaucoup à désirer.
D’abord parce que la remise en cause des organisations dans une logique « bbz » n’a guère était effective. Ensuite parce que le gouvernement a cru bon d’utiliser les gains économiques réalisés pour des augmentations des rémunérations des agents concernés. Il aurait à mon avis mieux valu les utiliser pour augmenter les crédits de fonctionnement afin de donner aux agents les moyens de travailler et d’augmenter leur productivité.
Mais la RGPP ne concerne que l’Etat. Le gouvernement a tenté d’améliorer l’efficacité du « mille-feuille » administratif, avec une réforme dont la mesure la plus connue est celle consistant à fusionner les mandats de conseiller général et de conseiller régional. Cette réforme a probablement coûté à la droite quelques sièges qui se sont traduits par la perte du Sénat, confortant Christian Blanc dans l’idée qu’une demi réforme suscite autant de réactions négatives qu’une réforme complète, et qu’il vaut donc mieux choisir cette dernière !
L’opinion de mon ami sur les élus locaux est d’ailleurs très négative : il les juge incompétents, note qu’ils créent trois emplois de fonctionnaires quand le gouvernement en supprime un, et ajoute que les comportements condamnés sous le titre des emplois fictifs de la mairie de Paris sont devenus très répandus : mon ami a trouvé l’ouvrage de Zoé Shépard, « absolument débordée », malheureusement à peine exagéré.
On comprendra après toutes ces explications que Christian Blanc ne soit pas satisfait des résultats atteints, mais qu’il reste un fan du président en exercice, à l’aune de ce que celui ci a fait, et à l’aune de ce qu’on pouvait et pourrait attendre d’autres candidats, dans les domaines jugés comme prioritaires !
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