Pour justifier l’instauration d’un jour de carence pour les fonctionnaires et d’un quatrième jour pour le privé, dans le but de réduire le coût des absences maladies pour la Sécurité Sociale, le gouvernement avance l’idée que certaines maladies sont frauduleuses, la mesure frappant cependant tous les arrêts maladie sans distinction.
La montée de l’absentéisme dans la fonction publique est réelle sans qu’il y ait accord sur les causes de cette évolution, entre deux camps idéologiquement opposés : pour les uns, la principale cause est la perte de la valeur travail qui conduit à des arrêts pas ou peu motivés, signés par des médecins complaisants. Pour les autres, tout vient d’une dégradation des conditions de travail, et notamment de la montée des risques psychosociaux.
Peut être faut il au préalable définir de quoi on parle. Généralement, on distingue quatre grandes catégories d’absentéisme : celui lié aux accidents du travail, les congés maternité, les maladies ordinaires et les longues maladies. Mais j’ai pu voir des calculs qui intégraient également les congés syndicaux ou les formations, voire les congés et les jours de RTT. Dans ce dernier cas, il s’agit de donner un outil de travail et de prévision au planificateur, pour qui la question essentielle est de savoir sur qui il peut compter !
La logique des quatre catégories est d’abord comptable : elle permet de cerner les coûts directs des absences, ceux-ci étant pris en charge par la Sécurité Sociale dans le privé (mais celle ci se finance à partir des cotisations employeurs et salariés) et directement par les établissements dans le public.
Au delà d’un aspect purement comptable, toutes les absences n’ont pas le même impact sur la vie des services, notamment selon qu’elles sont programmées ou aléatoires. Dans ce sens, une absence pour longue maladie ou un congé maternité se gère beaucoup plus facilement que la maladie de deux ou trois jours que l’organisateur apprend une demi-heure avant la venue prévue de celui ou celle qui va se révéler absent. Or il se trouve que l’augmentation de l’absentéisme provient en général d’une augmentation de l’absentéisme court, le plus gênant pour l’organisation. C’est ce qui explique que la Fonction Hospitalière, par exemple, commence à s’inquiéter sérieusement du phénomène et à rechercher des parades.
L’IGAS s’était inquiété il y a dix ans de l’augmentation du volume des indemnités maladies. Jusqu’au début des années 90, celles ci croissaient parallèlement à l’emploi et au salaire journalier moyen, puis elles ont commencé à augmenter plus vite. Le rapport de la commission présidée par Gissler, paru en 2003, donne une vision intéressante de l’absentéisme maladie. Il faut préciser ici qu’il part des indemnités versées, donc il ne tient pas compte des fameux jours de carence, qui ne sont pas versées : il est probable que la plupart des arrêts de 1 à 3 jours lui échappent. Cette situation explique le manque de cohérence entre certains chiffres cités.
Il donne donc quelques repères : environ 40% des assurés sont malades au moins une fois dans l’année. En moyenne, le nombre de jours d’arrêts annuel est de 9,9 (cette moyenne est calculée sur l’ensemble des salariés, ce qui signifie que les 40% qui ont été malades l’ont été en moyenne 25 jours). Le taux d’absentéisme maladie, calculé en référence au nombre de jours travaillés (soit 227 jours avant le passage aux 35 heures), se situe donc autour de 4.4%. Le rapport compare le taux d’absences pour raison de santé (probablement la somme des quatre catégories évoquées plus haut), qui se situait à 7.2% en 1988, avec ceux observé à l’étranger sans que le lecteur ait la certitude que tous mesurent la même chose.
Les taux sont donc respectivement de 2.0 aux USA, 3.3 en Belgique, 3.7 au Royaume Uni,4.2 en Allemagne et 5.8 aux Pays Bas. Cette comparaison suggère que le système français est plus favorable aux salariés, ou que certains de ceux-ci en abusent.
L’IGAS a également étudié le nombre de jours indemnisés en moyenne selon les départements, et il publie les meilleurs scores et les moins bons. Une partie des différences de résultats s’expliquent par les différences de population, au regard de deux éléments qui affectent l’absentéisme maladie, à savoir l’âge et la catégorie professionnelle. Ces différences expliquent par exemple que les taux les plus bas se trouvent dans l’Ouest parisien (6.3 jours à Paris, 6.8 dans le 92, 7.5 dans le 78…), où les cadres sont en grand nombre. Par contre elles n’expliquent pas, souligne le rapport, l’absentéisme élevé constaté dans le quart Sud est de la France. On pourra noter que les trois départements au plus fort absentéisme (la Corse du Sud avec 15.1, les Bouches du Rhône avec 15.4 et la Haute Corse avec 18, se situent respectivement 52, 55 et 81% au-dessus de la moyenne
Ces anomalies géographiques prouvent qu’il existe des abus et des absences injustifiées, en nombre suffisamment important pour que cela se remarque sans discussion possible au niveau des statistiques.
Le rapport reprend son objet, c’est à dire la recherche de compréhension des hausses récentes du volume d’indemnités, en regardant le lien entre ce volume et l’âge des ayants droits.
Si l’on examine la proportion des salariés qui ont touché des indemnités au moins une fois dans l’année, on note un impact faible de l’âge : la proportion est de 37.5% pour les moins de 40 ans, de 38% pour ceux âgés de 40 à 49 ans, et de 41.5% pour les 50 à 59 ans.
Par contre, les différences sont fortes quant au nombre de jours moyens d’indemnisés chez ceux qui ont été indemnisés : 28 jours pour les moins de 40 ans, 45 jours pour la population intermédiaire et 67 jours pour les 50/ 59 ans. Le rapport explique cette incidence par les cancers et les maladies cardio-vasculaires, nettement plus importantes après 50 ans.
La différence entre catégories socio professionnelles montre bien l’impact des conditions de travail, que l’on illustrera par un exemple. Dans plusieurs hôpitaux où je suis intervenu sur le sujet, l’absentéisme ordinaire était nettement plus faible dans les services administratifs que dans les unités de soin. Il faut dire que dans ces unités, le personnel travaille presque toujours debout, qu’il peut être amené à porter des charges importantes et qu’il travaille généralement selon des horaires postés, rien de tout cela n’existant dans les services administratifs.
Le rapport Gissler concluait que l’évolution de la pyramide des âges des salariés (et l’arrivée des classes nombreuses du baby-boom à la cinquantaine) expliquait pour 60 % l’augmentation constatée les années précédentes, …et que 40% environ restaient inexpliqués.
Depuis, on aurait constaté une nouvelle mais légère augmentation dans le secteur privé, avec une moyenne de 11 jours par salarié, qui là aussi peut s’expliquer en partie par le vieillissement moyen de la population active.
Mais c’est surtout la fonction publique qui est confrontée à une augmentation régulière et assez importante de l’absentéisme. La banque Dexia, quand elle ne fournit pas des emprunts aussi toxiques qu’exotiques, publie des statistiques sur le sujet, en particulier concernant les collectivités locales. La note « analyse et conjonctures" d’octobre 2011 est consacrée aux questions d’absences au travail dans les collectivités locales.
Elle pointait une augmentation de 15% du nombre d’absences et de 11% de leur durée moyenne entre 2007 et 2010 dans les collectivités territoriales (ou du moins sur l’échantillon étudié). Elle raisonnait sur l’ensemble des catégories d’absentéisme : l’analyse de détail montre que l’augmentation est la plus forte pour les accidents du travail (+23%), l’augmentation étant de 10% pour les maladies, ordinaires ou longues.
Mais surtout, la note met en avant un lien fort entre le taux d’absentéisme et la taille des collectivités, taille exprimée en nombre d’agents. Avec un impact important : si on écarte l’absentéisme maternité, qui varie évidemment assez peu en fonction de la taille des collectivités, on passe de 5.7% pour les collectivités de moins de 10 agents à 9.6% pour les 350 agents et plus, soit 68% de plus ! Pour les seules maladies ordinaires, l’écart est de 78%.
Si on fait l’hypothèse que les métiers exercés ne changent pas fondamentalement en fonction de la taille, on comprend donc que les absences ont à voir avec la manière dont se passe le travail et/ ou à la manière dont les agents le considèrent.
Pour expliquer le phénomène, on peut faire trois hypothèses ;
La première, celle qui est sous-jacente aux initiatives gouvernementales sur les jours de carence, c’est qu’il y a plus de fraudeurs dans les grosses collectivités locales, par exemple parce que c’est plus facile quand on est anonyme dans une grande ville que quand on habite dans un village où tout le monde se connait.
La deuxième, c’est que le travail peut rendre littéralement malade, si ses conditions, physiques ou psychologiques, sont insupportables. C’est ce qu’affirment notamment ceux qui alertent sur la montée des risques psycho sociaux, dont des chercheurs.
La troisième, c’est que dans une même situation de santé, des salariés vont aller travailler et d’autres non, et que ce choix dépend de la manière dont se passe le travail, par exemple s’il leur donne généralement envie d’aller travailler ou le contraire. Mais il peut y avoir d’autres raisons pour ce choix : le sens des responsabilités par rapport à un travail à faire, ou l’idée qu’une absence va gêner un collègue.
Il est évident que les situations sont multiples, et que chacune des explications ci-dessus est vraie pour un certain nombre de cas. Ma conviction est que la plus fréquente est la troisième. Et qu’il est donc possible de réduire l’absentéisme en agissant sur l’organisation du travail et les modes de management. Le fait que le secteur public connaisse plus d’absentéisme que le secteur privé est en partie lié au fait qu’il s’agit fondamentalement d’un lieu de non management.
J’aurais encore beaucoup à dire sur le sujet, mais cet article est déjà bien trop long ! Rien n’empêche de revenir sur le sujet plus tard.
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