Les sénateurs ont rejeté mercredi en commission des lois la proposition de loi visant à confier aux militaires le soin de remettre les jeunes délinquants dans le droit chemin. Pour autant, il est peu probable que la sagesse et le rappel des échecs antérieurs l’emporte face à une idée qui fait fi d’une analyse sérieuse du problème mais qui caresse l’opinion dans le sens du poil.
La proposition de loi du député Eric Ciotti vise à « transmettre à ces jeunes en rupture, des notions quelque peu oubliées telles que la citoyenneté, le respect de la règle collective et de l’autorité, le sens de l’effort et la récompense du mérite. », et pour cela à inscrire parmi les mesures pénales possibles celles d’un service citoyen au sein de l’EPIDE, établissement public d’insertion de la défense.
Le député UMP assume complètement le caractère populiste de sa proposition en précisant « Cette mesure est plébiscitée par nos concitoyens, par-delà les clivages politiques. Ainsi, selon un sondage IFOP effectué le 10 juin 2011 pour La lettre de l’opinion, 93 % (90 % pour les sympathisants de gauche contre 97% à droite) sont favorables à l’instauration d’un service civique pour les mineurs délinquants »
Et pourtant, il en est qui ne sont guère convaincus : ce sont les militaires eux-mêmes ! Pour comprendre leur position, il faut noter un point qui n’est pratiquement jamais explicité dans le débat, lequel se focalise sur le fait que l’Epide accueille jusqu’ici des majeurs, à savoir que les participants sont volontaires, ce qui est un élément majeur des bons résultats obtenus. J’imagine assez bien qu’aucun de ceux qui sont favorables à ce service civique ne s’est demandé ce que devrait faire l’encadrement (militaire ou non) si un jeune refuse d’obéir à un ordre !
Pour approfondir le sujet, peut-être faut-il aller regarder ce qui se passe dans les EPM, établissements pénitentiaires pour mineurs. Ceux-ci ont été créés par la loi du 9 septembre 2002 et les premiers ont ouvert en 2007. Il y en a 6 en France, chacun étant construit pour un maximum de 60 places.
L’une des premières raisons de la création de ces établissements était la volonté de séparer les mineurs des adultes, selon l’idée que la contagion pouvait y être néfaste. Mais on a aussi profité de la création d’établissements spécifiques pour y organiser la vie sur des bases très différentes de celles observées dans une prison classique.
Les organisateurs ont pris au sérieux la volonté de réinsertion, ce qui a amené d’une part à prévoir pour les jeunes un temps de formation, d’autre part à chercher à les occuper, l’un des problèmes de la prison étant qu’on s’y ennuie à longueur de journée. Au point qu’il a fallu revenir en arrière par rapport au premier projet, qui entre les cours, le sport, les temps socio culturels et les temps collectifs de repas, ne laissait quasiment plus un seul temps inoccupé dans la vie de mineurs.
L’encadrement a conjugué des éducateurs de la PJJ et les surveillants de l’administration pénitentiaire (mais la direction ressort de l’administration pénitentiaire) sans compter les enseignants, le personnel de santé ou de gestion de la vie courante (hôtellerie/ restauration), au total deux fois ét demi plus d’adultes que de jeunes !
Malgré les moyens importants accordés, la gestion des établissements se révèle difficile.
Régulièrement, des articles indignés nous signalent des incidents dans un de ces EPM, le plus grave ayant été un suicide dans celui de Meyzieu. Sans aller jusque-là, il faut bien constater que les incidents sont très fréquents, et que ceux signalés se comptent en centaines par an dans chaque établissement (avec au plus 60 jeunes rappelons-le !). Il est vrai que ces incidents peuvent être de toutes sortes, depuis l’insulte au personnel jusqu’à l’agression contre un adulte, en passant par les bagarres entre jeunes et les tentatives d’auto mutilation.
Il faut dire que les surveillants n’ont guère de moyens d’obliger un jeune à lui obéir. Les moyens de sanction sont des plus limités : d’une part les sanctions que donnerait un père de famille (priver de repas ou de télévision) sont de fait inaccessibles. Certes, on peut envoyer les jeunes au mitard, les priver de cours, de sport ou de temps collectif, mais comme on considère à juste titre que ces derniers temps sont des temps éducatifs, il n’est guère efficace de s’en priver (aller menacer un jeune complétement dégoûté de l’école de le priver de cours, vous verrez comme il s’agit d’une menace efficace !).
La sanction majeure contre un jeune en cas d’incident, est un prolongement de sa peine, prolongement décidé par la justice, donc avec un certain délai. Pour un jeune délinquant de 15 ou 17 ans, qui est dans l’instantané et réagit de manière incontrôlée, une sanction qui est prise trois semaines après l’événement et qui a des conséquences trois mois plus tard, c’est en dehors de ses schémas ! C’est d’ailleurs une des choses qu’il faut lui apprendre : que ses actes ont des conséquences dans le temps, apprentissage qui ne se fait pas du jour au lendemain
Le résultat : le personnel fuit ces établissements. Du côté de la PJJ, les éducateurs ont généralement refusé d’aller dans les EPM, pour des questions de principe (on ne doit pas mettre les jeunes en prison, bla bla bla…). Du coup, à part quelques éducateurs chevronnés venus des quartiers mineurs, les EPM ont fonctionné avec beaucoup de débutants, ce qui s’est traduit par un turn-over très important. L’administration pénitentiaire a essayé de contourner le problème en obligeant ses surveillants à rester au moins deux ans, mais a bien dû se poser des questions avant la fin des deux ans fatidiques, le risque étant une fuite généralisée et une quasi absence de volontaires pour remplacer les partants, ce qui dans le système de gestion des effectifs à la française bien connu de tous les services publics en région parisienne, se traduit par le recours aux seuls qui ne peuvent choisir : les débutants !
Ceux qui ont donc été envoyés pour comprendre ce qui se passait ont fait le constat de la confrontation incessante des surveillants à la violence des jeunes (beaucoup plus que dans un établissement normal) et la difficulté pour eux d’y faire face. Ils ont constaté que les incidents (mais aussi le sentiment de souffrance du personnel) étaient les plus nombreux là où la direction avait le plus la volonté de faire respecter les règles coûte que coûte. Ils ont fait des recommandations organisationnelles pour réduire les causes de tension inutiles (c’est-à-dire ne participant pas au projet éducatif : tenter d’obliger un jeune à aller en cours participe du projet éducatif). Mais aussi recommandé de former les adultes à faire face aux tensions, certains surveillants ayant perdu toute autorité.
Cela a débouché pour les surveillants (les éducateurs étaient sensés en être capables) à une formation à la gestion des tensions (aussi appelé communication non violente) pour être capable de conserver son autorité et son calme, et surtout pour éviter toute escalade de la violence. La méthode a permis de réduire de 70% les incidents (comme on l’a compris, cela ne les supprime pas tous). Pour donner un exemple illustratif, un surveillant récemment formé s’est trouvé confronté à un jeune qui avait récupéré une lame de rasoir (le risque ici est l’auto mutilation, voire le suicide). A ses collègues qui s’apprêtaient à faire usage de la force pour immobiliser le jeune, il a proposé d’essayer son nouveau savoir-faire…et obtenu du jeune qu’il accepte de rendre la lame.
Dans une société qui, heureusement, n’est pas prête à appliquer aux jeunes les méthodes coercitives brutales qu’ils utilisent entre eux, penser que l’on transmettra « aux jeunes en rupture des notions quelque peu oubliées telles que la citoyenneté, le respect de la règle collective et de l’autorité, le sens de l’effort et la récompense du mérite » par un encadrement militaire, c’est en fait ne pas avoir réfléchi aux méthodes à utiliser, à moins de rêver de revenir à Guantanamo. A des jeunes qui ont appris avec les bandes que seule la force compte, on n’apprendra pas le contraire par la force !
Mais évidemment, il faudrait que les auteurs de la proposition de loi veuillent ici trouver vraiment une solution au problème posé au lieu de viser un objectif purement électoral.
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