Jacques Delors s’est indigné samedi des divisions au sein de l'Union européenne sur les mesures à prendre face à la crise financière, l’incapacité des responsables européens à tenir d’une seule voix des propos clairs contribuant largement à prolonger la crise financière qui menace la situation économique en Europe.
Les mouvements financiers sur les dettes européennes, qu’on les qualifie de spéculatifs ou pas, se nourrissent d’incertitudes : si les « marchés » étaient persuadés d’une volonté européenne de garantir le maintien de la Grèce dans la zone euro, les mouvements qui affectent la dette des pays d’Europe du sud et maintenant les banques européennes, notamment françaises, se seraient déjà éteints depuis longtemps.
Malheureusement, les processus de construction de consensus (ou de compromis comme on voudra) propres à l’Union Européenne sont des processus complexes et par nature lents : ils sont donc complétement inadaptés aux positions à prendre face aux marchés. On constate d’ailleurs que seule la BCE, parce que son indépendance des pouvoirs politiques lui permet un processus de décision plus rapide et tranché, arrive à garder des interventions claires et une crédibilité intacte.
La question du montant des sommes à mobiliser est réelle mais ne pose pas en soi de problèmes insurmontable : quand il a fallu sauver le système financier (et avec lui l’économie) en 2008, les Etats n’ont pas hésité à donner une garantie illimitée à leurs banques, garantie qui a permis de débloquer le système … et n’a finalement pas eu besoin d’être mobilisée !
Aujourd’hui, les décideurs européens, par exemple les ministres de finances réunis samedi en Pologne sont confrontés à trois difficultés, qui toutes demandent du temps pour être surmontées
La première est le fonctionnement collectif de l’Union, qui amène à devoir prendre des décisions collectives, généralement à l’unanimité. On peut regretter l’absence de capacité de décision économique de l’Europe, mais il n’est pas sûr que tous ceux qui la réclament soient prêts aux conséquences que cela implique si on la veut vraiment : un gouvernement fédéral fort, à qui seraient transférés un grand nombre de décisions actuellement traitées au niveau des Etats, notamment du point de vue budgétaire. Si on compare à ce qui existe en France, un pouvoir économique au niveau de l’UE, c’est le passage de l’Etat aux règles des collectivités territoriales, c’est-à-dire l’équilibre budgétaire obligatoire. Rien ne dit que nos partenaires seraient d’accord pour prendre en charge les sommes supplémentaires que l’Etat dépense aujourd’hui.
La deuxième difficulté se situe en Grèce : l’Union Européenne ne peut évidemment pas accepter de garantir les emprunts grecs à fonds perdus. Ce pays doit donc rétablir son équilibre budgétaire, ce qui est loin d’être évident quand on pense que son déficit était de 15% du PIB en 2009 (il est passé en dessous de 10% depuis, ce qui a nécessité de très gros efforts) ! Cela suppose des diminutions drastiques des dépenses publiques, une augmentation des recettes et un meilleur recouvrement des impôts (dans un pays où la fraude fiscale semble un sport national). En raison de la manière dont la compétitivité du pays s’est dégradée, une déflation est sans doute nécessaire (de manière à obtenir le résultat que donnerait sur ce point une dévaluation). En parlant clair, il faut baisser les salaires et autres revenus, ce qui a commencé d’être fait mais apparemment pas de manière suffisante. On imagine assez bien que ces mesures ne passent pas facilement dans un pays démocratique, et qu’il faut là aussi du temps et la prise de conscience par tous qu’il n’y a pas le choix !
La troisième difficulté se trouve dans les autres pays de l’Union, dont les populations n’ont pas forcément envie de payer pour la Grèce. Un sondage vient ainsi de montrer qu’une très grande majorité des Français pense qu’il faut sauver la Grèce et sa présence dans la zone euro, mais qu’une majorité également écrasante ne veut pas payer le coût que cela représente pour notre pays. Les réactions des responsables allemands ou finlandais sont extrêmement contreproductives pour une saine réaction face aux marchés, mais elles reflètent aussi l’opinion majoritaire dans ces pays.
Ce sont les menaces de catastrophes économiques qui vont faire bouger tous les acteurs et les forcer à accepter de faire évoluer leurs positions les uns vers les autres pour bâtir des compromis enfin efficaces : il est probable que ces décisions ne seront donc prises qu’au bord du gouffre…en espérant que les opinions publiques accepteront de voir le gouffre à leurs pieds !
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