Les médias en ligne peuvent mesurer précisément la fréquentation de chaque article publié et peuvent donc être tentés de payer les journalistes sur ce critère, comme nous le montre Hugues à partir d’un exemple américain. Faut il s’en offusquer ? Le mode de rémunération sur une base individuelle est pourtant plus répandu qu’on ne l’imagine spontanément.
Un médecin libéral, un artisan en bâtiment, un comptable indépendant, un avocat, sont de fait rémunérés à la tache. Le revenu du médecin dépend du nombre d’actes pratiqués, en pratique de son nombre de consultations.
D’autres professions, toujours parmi les non salariés, voient leurs gains dépendrent non pas de leur quantité de travail comme les précédents mais des résultats de leur travail. C’est notamment le cas d’un écrivain, dont le gain dépendra du volume de vente de ses livres, c’est aussi le cas de beaucoup d’artistes.
L’invention du salariat a installé une alternative très forte au modèle en vigueur chez les indépendants. Le salaire va dépendre du temps passé et du type de poste tenu, aujourd’hui à travers les systèmes de classification, à charge pour l’employeur de mettre en place une organisation collective qui combinera au mieux les compétences rassemblées.
Dans un tel système, ce qui fait la performance , c’est au moins autant la qualité de l’organisation que les compétences individuelles, certes nécessaires. Dans une équipe de foot, il ne suffit pas d’avoir de bons joueurs, il faut qu’ils jouent bien ensemble, au point que la qualité de l’entraîneur est considérée comme un élément majeur de la réussite.
Dans une organisation industrielle, le système du salariat basé sur le classification des emplois fait l’hypothèses que les hommes sont finalement interchangeables, sous condition qu’ils aient la qualification donné pour l’emploi qu’ils tiennent. De la même manière qu’un entraîneur préfère se passer d’un Cantona soupçonné de ne pas assez admettre la logique collective qu’il veut imposer, une entreprise pourra préférer le respect de l’organisation au talent individuel.
En payant la fidélité puis en imposant une organisation taylorisé, l’usine fordienne donne la priorité au respect de l’organisation au détriment de la spécificité individuelle, quand l’entreprise post taylorienne, tout en conservant une organisation très structurante, reconnaît la place de l’individu ou au moins lui demande de s’impliquer et d’apporter au collectif sa créativité (par des propositions d’amélioration) et ses compétences particulières que l’on qualifiera de comportementales.
Si le statut de salarié ou d’indépendant est souvent structurant du système de rémunération, ce qui est produit est plus important que le métier pour orienter la méthode choisie. Ainsi, un hôpital qui paie ses médecins comme des salariés privilégie une organisation collective dans laquelle ces médecins viennent s’insérer, quand il peut aussi laisser un secteur « libre » dans lequel le médecin sera rémunéré en fonction de ses actes surfacturés pour l’occasion
Dans la restauration, une loi de 1930 permet de rémunérer le personnel de salle au prorata du chiffre d’affaire généré, ce qui se traduit par les fameux « 15% de service » que l’on trouve parfois sur des notes de restaurant. Dans un tel système, il faut noter systématiquement (généralement par l’affectation des tables) ce qui a été fait par tel ou tel. Il y a aussi quelques contraintes, un serveur devant finir le service qu’il a commencé, et parfois des effets pervers, dans la répartition des clients entre serveurs par le maître d’hôtel. Le système a des avantages et des inconvénients puisque tous ne l’adoptent pas et qu’il existe une convention collective qui classifie ces emplois.
La logique salariale laisse la place à une individualisation du salaire, de sa part fixe(à travers l’ancienneté ou les compétences notamment) comme de sa part variable (autour des primes individuelles).
Le gouvernement actuel a ainsi décidé de renouveler le système de reconnaissance individuelle de la compétence en remplaçant une notation complètement enfermée dans des règles par une évaluation dont tout indique qu’elle débouchera très vite sur les mêmes logiques et/ ou sera utilisée dans bien des cas à tort et à travers. Il met également en place une rémunération au mérite avec un variable individuel sur objectifs.
Cette idée du variable sur objectifs est très à la mode dans le privé. C’est pourtant loin d’être une panacée, tant elle a d’effets pervers, en particulier parce qu’elle favorise l’individualisme et la non coopération. Un variable individuel sur objectif suppose en réalité que les objectifs sont essentiellement individuels, et sont atteints grâce à la compétence et l’engagement individuel. Or dans beaucoup de cas, l’atteinte des objectifs repose sur la coopération et sur le collectif. Dans la fonction publique, même là où la part individuelle est très forte (l’enseignement par exemple), le véritable enjeu aujourd’hui serait plutôt d’améliorer le fonctionnement collectif. Mais comme souvent, on imagine qu’un système de rémunération adapté peut compenser une organisation et un mode de management défaillants !
En réalité, il n’existe pas de système de rémunération parfait, il y a des solutions plus ou moins adaptées à tel ou tel contexte et le choix d’un mode de rémunération dépend des objectifs que l’on se donne. Et bien sur, son efficacité dépend aussi de sa cohérence avec le système d’organisation et de management.
Reprenons pour finir le cas évoqué au début d’un journal, en particulier s‘il est en ligne.
Si le positionnement du journal consiste à vouloir couvrir de manière relativement complète l’actualité, c’est l’organisation collective qui prime. Si le correspondant du journal à Lisbonne est bon, tant mieux ; mais la qualité du journal vaut d’abord par sa qualité d’ensemble, et il est plus important de ne pas avoir de trous dans la couverture thématique ou de zone de faible qualité dans le traitement que d’avoir ici ou là un journaliste particulièrement brillant. La logique salariale et la classification des emplois sont alors structurantes, quite à demander à un responsable (rédacteur en chef ou dirigeant) de prendre en charge l’indispensable éditorial.
A l’opposé, si le journal offre une couverture minimale, éventuellement copiée sur ce qu’envoient les agences, mais que sa force réside dans ses éditoriaux, éventuellement démultipliés grâce à la collaboration de telle ou telle « vedette », la logique individuelle prend le dessus, et il va payer ses éditorialistes selon une logique de résultat individuel, le statut de pigiste facilitant le cas échéant ce mode de rémunération.
Hugues, avec ton talent, tu devrais faire fortune dans un tel système. Ou au moins gagner suffisamment pour vivre dans l’aisance et par exemple te payer un vélo neuf chaque année!
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