Entre le mythique « c’était mieux avant » et le fantasmé « nos grands parents étaient complètement soumis aux autorités dans tous leurs comportements », peut on rechercher une compréhension lucide de notre passé, qui passe souvent par un regard plus distancé sur ce qui se passe aujourd’hui ?
Au hasard de mes vagabondages sur Internet, je suis tombé sur un texte du Monde (des loisirs ?) qui jouait à l’hebdomadaire féminin avec un « spécialiste » répondant aux questions des lectrices. J’ai gardé cet extrait qui m’a paru pour le moins surprenant :
Nous avons tous dans l'idée que la notion de "couple" existe depuis très longtemps. En réalité, elle a moins de cinquante ans sous la forme que nous lui connaissons aujourd'hui. Auparavant, nos grands-parents et arrière-grands-parents vivaient dans un couple-famille, souvent sous un même toit, avec une entraide des générations entre elles, mais surtout une soumission à l'autorité, toujours masculine, du "chef de famille". Le couple, tel que nous l'entendons aujourd'hui, existe depuis "l'invention du sujet", homme ou femme, qui date des années 1970.
Le couple traditionnel avait un certain équilibre, très différent de ce que nous vivons, les solutions aux problèmes étaient trouvées par l'ensemble de la famille et ainsi résolues. Le couple nouveau est plus libre mais certainement plus difficile à construire
Prétendre que la famille nucléaire date de quelques décennies seulement est assez osé. Je n’ai pas le sentiment que mes parents ou mes grands parents allaient demander à leur famille de prendre les décisions. Mais l’idée que l’invention du sujet date des années 70 est sans doute le plus risible. L’auteur n’a-t-il pas lu Shakespeare ou Molière et le refus des enfants de se laisser enfermer dans le choix fait par leurs pères ?
Encore plus ancien, il n’y a qu’à lire les évangiles pour découvrir un texte qui met l’individu au centre. Quand Jésus demande aux accusateurs d’une femme adultère « que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre », il oblige son auditoire à ne plus se réfugier derrière la pression collective et à se positionner pour ce qu’ils sont, chacun avec son histoire.
Il est vrai que pour les enfants, il est difficile de situer les changements et leur place dans l’histoire, ce qui permet à certains de demander pourquoi il n’y avait pas d’alarmes dans les châteaux forts et à d’autres de demander à des adultes s’il y avait de l’électricité quand ils étaient petits.
Justement, l’écrivain Vincent Malone et le dessinateur André Bouchard ont utilisé cette difficulté dans leur ouvrage pour enfants « Quand papa était petit, il y avait des dinosaures » ; A chaque phrase du papa (quand j’étais petit, on n’avait pas peur pour un rien etc…) le dessinateur illustre ce que cela aurait pu signifier chez les hommes préhistoriques (temps que l’auteur mélange joyeusement avec celui des dinosaures) ; C’est très drôle et cela illustre la difficulté à évaluer le décalage réel qui existe d’une génération à l’autre.
Oui, le progrès technique a été foudroyant depuis quelques siècles, il a changé en profondeur notre vie depuis un siècle, et on se demande parfois s’il ne s’accélère pas encore. Nos conditions de vie ont progressé énormément.
Mais bien évidemment, la manière dont nous gérons nos comportements, nos relations, nos émotions, change beaucoup moins vite. Curieusement, notre temps d’apprentissage a beaucoup augmenté mais nous ne semblons pas y avoir spécialement gagné en stabilité.
Nous avons gagné énormément en sécurité à tous les points de vue et pourtant, nous semblons avoir tellement peur de notre ombre que nous sommes tentés par le repliement sur un hier assimilé à un mythique âge d’or.
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