Moins de trois ans après le rejet du projet de Constitution Européenne par les Français, le traité de Lisbonne en reprenait la plupart des modalités et était approuvé par le Parlement français. Ce vote ne traduisait pas la duplicité des partisans du oui, mais l’incapacité des partisans du non a donner une traduction politique à leur victoire.
Dans un article précédent, je notais que l’indice de confiance des Français dans l’évolution future de leur niveau de vie grimpait fortement après les élections nationales, mais que ce n’était pas le cas lords des référendums ; un commentateur remarquait alors : « Le peuple a dit non au referendum de 2005, le oui a gagné en douce, honteusement, un an après. »
Bien sur, le traité de Lisbonne n’a pas été signé en douce : c’était dans tous les journaux, et cela a nécessité un vote des deux Chambres, précédé par une réforme constitutionnelle votée par le Parlement réuni en Congrès à Versailles. Mais cette signature va bien à l’encontre du vote des Français en 2005. Le traité de Lisbonne a aussi été approuvé par le Parlement européen, dont on rappellera qu’il est élu au suffrage direct par les citoyens, par 525 voix pour, 115 voix contre et 29 abstentions.
Rappelons que le texte du traité a été préparé par une institution provisoire, la Convention sur l’Avenir de l’Europe, constituée pour l’essentiel de deux députés ou sénateurs de chaque pays membre, d’une personne désignée par le gouvernement de chaque pays membre et de 16 membres du parlement européen. Ses travaux ont duré un an et demi. Le texte a ensuite été amendé par le Conseil Européen, c'est-à-dire la réunion des chefs d’Etat.
Pour des raisons de politique intérieure (pour gêner le PS), le président Chirac a organisé un référendum sur ce projet, référendum qui a vu le 29 mai 2005 la victoire du non avec 54.68% des suffrages exprimés.
A la suite de ce rejet, la logique aurait voulu que le gouvernement renégocie le projet avec les autres pays membres, en demandant des modifications sur les points apparus comme litigieux, comme cela avait été fait par les danois ou les irlandais en d’autre temps.
Pour que le gouvernement en place puisse mener cette renégociation, il fallait que les points litigieux soient identifiés . Or, au-delà de la diversité des motivations des partisans du non, il faut bien dire que l’exercice tenait de la gageure !
D’abord parce que les principales critiques des opposants au projet portaient sur des éléments des projets précédents (donc déjà ratifiés), par exemple concernant la concurrence libre et non faussée, alors que les questions de désignation d’un président de la commission ou d’un ministre des affaires étrangères n’était pas dans le cœur des débats.
Ensuite parce que deux des principales raisons mises en avant comme motivations de leur vote par ceux qui ont voté non ne donnaient guère de support à une négociation : le fait que « l’élite » veuille leur imposer un traité négocié en secret et compliqué et « la dégradation des conditions de vie actuelles (une des raisons invoquée par 52% du « non ») »
Le gouvernement en place n’ayant guère les moyens, même s’il l’avait voulu, de défendre des demandes précises de modification, la logique est que ce soit le vote populaire qui donne les conditions d’une renégociation, par la désignation d’un nouveau président et de nouveaux députés, à l’occasion des élections de 2007.
Les résultats du vote du premier tour lors de l’élection présidentielle, ont été les suivants :
Les candidats ayant été partisans du « oui » en 2005 ont obtenu :
Nicolas Sarkozy : 31.18%
Ségolène Royal : 25.87%
François Bayrou : 18.57%
Dominique Voynet : 1.57%
Soit un total de 77.19 %
Les candidats ayant été partisans du « non » en 2005 ont obtenu
Jean Marie Le Pen : 10.44%
Olivier Besancenot : 4.08%
Philippe de Villiers : 2.23%
Marie Georges Buffet : 1.93%
Arlette Laguiller : 1.33%
José Bové : 1.32%
Frédéric Nihous : 1.15%
Gérard Schivardi : 0.34%
Soit un total de 22.82%
Lors du premier tour des élections législatives qui ont suivi, les résultats ont été les suivants :
Partis ayant soutenu le « oui » en 2005
UMP 39.54%
Nouveau centre 2.47%
Modem 7.61%
PS 24.73%
PRG 1.32%
Verts 3.25%
Soit un total de 78.92%
Partis ayant soutenu le « non » en 2005
FN 4.29%
Extrême droite 0.39%
CPNT 0.82%
MPF 1.20%
PC 4.29%
MRC et divers g 1.97%
Extrême gauche 3.41%
Soit un total de 16.37%
Les « divers » (droite, écologistes, sans étiquette, régionalistes…) ont obtenu 4.71%
Certes, une partie des candidats PS aux législatives avaient soutenu le non, mais cela ne remet pas en cause la large suprématie dans ce scrutin des partisans du oui
Ce sont bien a des anciens partisans du « oui » que les français ont en 2007 donné mandat de gouverner la France, et donc entre autres de renégocier le traité , ce qui a été fait quelques mois plus tard avec le traité de Lisbonne. La victoire des anciens partisans du oui sur les anciens partisans du non n’a pas été obtenue du justesse : elle a été écrasante.
Si Fabius avait été élu président de la République, il aurait certainement pu montrer aux européens éblouis en quoi consistait le plan B, et trouver avec eux une solution acceptable par les partisans du non, mais ce n’est pas lui qui a été élu !
Reste, pour les partis qui ont dominé les élections de 2007 et qui avaient choisi le « oui », un problème de fond : une partie importante de leurs électeurs ont choisi le non en 2005. C’est plus un problème à gauche qu’à droite, puisque la proportion de votants non y est nettement plus importante : plus de 50% chez les Verts et au PS, contre 20 à 30% à droite. Le fait que ce soit la droite qui a gagné en 2007 explique aussi la conclusion du traité de Lisbonne. Une gauche gagnante aurait certainement été plus empêtrée dans ses contradictions. Mais, il s’agit là du résultat démocratique d’un scrutin !
Pourquoi les partisans du non ont-ils été incapables de prolonger leur victoire ? On peut avancer que certains à gauche ont préféré voter pour Ségolène Royal pour éviter que la gauche soit absente du deuxième tour comme en 2002. Mais en théorie, les près de 55% d’électeurs pour le non permettait d’avoir un candidat de droite noniste et un candidat de gauche noniste tous deux capables d’arriver en tête.
La division de l’extrême droite, l’éparpillement de l’extrême gauche entre cinq candidats ont participé à l’échec des anciens partisans du non : n’est ce pas le même refus de comprendre la nécessité de trouver des compromis avec nos partenaires européens qui se traduit dans une incapacité à trouver des compromis entre eux ?
En réalité, ceux qui ont voté non en 2005 l’ont fait pour des raisons très diverses, et cette diversité des motivations ne leur permettait pas de construire un projet commun, ni pour la France ni pour l’Europe. De fait, leur non était une impasse. Les partisans du oui ont occupé l’espace politique qu’ils ont été incapables d’occuper.
Enfin, il faut bien admettre que si les Français ont des reproches à faire aux partis de gouvernement (et ils le font savoir régulièrement dans les urnes) ils sont très peu nombreux à imaginer que les partis extrêmes ont un programme applicable !
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