La remise en cause des 35 heures par Manuel Valls ne plait guère au Parti Socialiste, où il ne fait pas bon sortir du catéchisme. N’est-ce pas l’occasion à gauche de se demander à qui ont réellement profité les 35 heures, en dehors du catéchisme obligé ?
Avec le recul, on peut se demander si le passage obligé aux 35 heures pour tous, tel qu’il a résulté de la loi dite Aubry 2 n’était pas autant une erreur sociale qu’économique
Le choix des 35 heures reposait d’abord sur une conception erronée de l’emploi, celle d’un gâteau limité dont il fallait réduire les parts pour augmente le nombre de convives. Il est vrai que tout le long des années 80 et 90, cette erreur d’analyse a été très partagée, à droite comme à gauche. Mais la croissance de la fin des années 90 était justement en train de démontrer que le nombre d’emplois pouvait être en forte croissance.
Les expériences menées sous le régime de la loi Aubry 1, dans les années 1998 et 1999 ont débouché sur des créations nettes d’emplois. Mais ce que n’a pas voulu voir le ministre du travail, c’est que les entreprises concernées avaient des raisons très particulières de passer aux 35 heures en échange d’aménagement des horaires et de blocage des salaires, et que ces raisons étaient loin d’être communes aux autres entreprises.
En pratique, dans une période de diminution du chômage, les 35 heures ont ravivé les tensions sur le marché du travail dans quelques secteurs clés, comme la santé ou la construction par exemple. Et augmenter les tensions sur le marché du travail en période de surchauffe, c’est de fait accélérer le retour à une récession.
Mais les conséquences sociales des 35 heures sont également très mitigées : il y a des gagnants et des perdants.
Parmi les gagnants, le plupart des agents de la fonction publique, à l’exception fort notable des enseignants qui n’ont rien eu du tout. Ces agents ont généralement bénéficié d’une vingtaine de jours d’ARTT sans aucune contrepartie, du moins en apparence. Car il est clair que la faible progression du point de la fonction publique depuis 10 ans est en partie une conséquence des 35 heures, que certains se sont retrouvés à devoir produire en 39 heures ce qu’ils faisaient en 35 heures et que la dégradation des finances de l’État se traduit aujourd’hui par la RGPP ou les restructurations des hôpitaux avec la T2A.
On trouve d’autres gagnants dans le secteur privé et on a suffisamment souligné le gain des cadres. Le partage de la valeur ajoutée n’ayant guère changé, on peut cependant imaginer que ce gain de temps a été financé par de la productivité ou par les salaires et leur modération.
Mais c’est sans doute dans les plus bas niveaux de rémunération qu’il faut trouver ceux qui sont peut-être les vrais perdants des 35 heures, et cela pour trois raisons très différentes.
La première raison est que pour maintenir le niveau du SMIC, on a été amené à faire des aides ciblées sur les bas salaires et à augmenter très rapidement le SMIC horaire. On a ainsi gaspillé la seule mesure qui depuis 20 ans ait permis d’augmenter le nombre d’emploi non qualifiés et de diminuer le taux de chômage dans la catégorie la plus touchée par celui-ci. L’écrasement de la hiérarchie salariale au voisinage du SMIC devient de plus en plus un problème dont pâtissent de fait les moins qualifiés. Est-ce ce que la gauche voulait ?.
La deuxième raison est que les contreparties sur l’aménagement du temps de travail ont plus touché les populations de production et de service les moins bien payées, qui ont vu se multiplier les horaires atypiques ou le travail du samedi qui étaient déjà en croissance.
La troisième raison est que ce sont ces populations qui avaient le moins envie de revoir l’arbitrage salaire/temps en faveur du temps. Parce qu’au final on peut résumer le passage aux 35 heures en cette modification de l’arbitrage et il n’est pas difficile de comprendre que ce sont les moins bien payés qui étaient le moins prêts à diminuer à la fois leur temps de travail et leur salaire : on l’aurait bien vu si on avait laissé le choix à chacun.
Si les 35 heures ont profité aux cadres et défavorisé les ouvriers les moins payés, est-ce vraiment une mesure de gauche? Manuel Valls en rompant le catéchisme sur le sujet ne prouve-t-il pas qu’il est plus en contact avec les « masses populaires » que beaucoup de ses camarades ?
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