Entrer dans le débat public pour y apporter un regard d’expert, c’est ce que de nombreux médias proposent régulièrement à des chercheurs en sciences économiques ou sociales. Avec le risque de se faire instrumentaliser ou de perdre sa rigueur scientifique.
Dans le Monde du 14 septembre, Philippe Askenazy affirmait que la loi Fillon de 2003 avait « lourdement entamé les droits à pension de la très grande majorité des salariés ». A moins qu’il n’ait confondu avec la loi Balladur de 1993, l’économiste écrivait là une contre vérité manifeste, la loi Fillon créant les carrières longues et alignant la durée de cotisations des fonctionnaires sur celle des salariés du privé.
Le débat public nous entraîne t-il, pour défendre nos convictions, à déformer la réalité ? C’est évidemment un risque important, en particulier dans les sciences économiques et sociales, où on trouve des défenseurs de théories apparemment fort contradictoires !
Les réalités étudiées par ces sciences sont éminemment complexes. La seule solution pour tirer de cette complexité un début de compréhension, c’est d’accepter de la simplifier pour ne tenir compte que de ce qui est essentiel, en pratique de ce que nous considérons comme essentiel.
J’ai fait régulièrement des diagnostics socio organisationnels, et je me suis trouvé confronté à cette situation d’avoir une multitude d’informations, parfois contradictoires. Le diagnostic consiste à choisir parmi ces informations celles qui paraissent le plus importantes et/ ou significatives, et en tirer des éléments de sens. Ce faisant, on simplifie la réalité à l’extrême évidemment.
Comment savoir si le diagnostic est pertinent ? La « preuve » se fait par les résultats obtenus : si les mesures que je fais prendre en fonction du diagnostic donnent le résultat recherché, c’est qu’il était bon. On peut comparer avec ce que fait un médecin. Lui aussi, après avoir fait un inventaire d’informations diverses (signes cliniques et diverses mesures), pose un diagnostic, c'est-à-dire qu‘il donne une interprétation de ce qu’il observe. Si cela lui permet de guérir le malade, on dira que le diagnostic est probablement bon !
De même, les dirigeants politiques et ceux des banques centrales confrontés à la dernière crise financière, ont fait un diagnostic qui les a amené à prendre des mesures. On dira que ce diagnostic n’était pas mauvais puisqu’on a évité le pire. Mais on ne sait pas ce qui se serait passé si on avait fait autrement !
On peut ainsi estimer à l’instar de Jean Michel, que le diagnostic de Laurent Mucchielli sur la violence, s’il reflète des réalités incontestables, n’est guère pertinent pour l’action.
Pour revenir à mon sujet initial, il n’est pas anormal que des économistes aient des points de vue très différents sur une situation, selon l’importance qu’ils apportent à tel ou tel fait ou à tel objectif (par exemple l’objectif de croissance et celui de réduction des inégalités). De ce fait, ils peuvent aussi considérer qu’un fait qui ne conforte pas leur théorie peut être négligé. Il n’est pas acceptable pour autant qu’ils profèrent des contre vérités.
Un dernier mot. Puisque j’ai critiqué Philippe Askenazy qui réalise régulièrement des critiques dans le Monde, je dois dire ici tout le bien que je pense de jean Pisani Ferry, un autre chroniqueur du même journal. Mais peut être ne vois je pas les contre vérités qu’il assène, parce que je suis assez généralement d’accord avec lui ?
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