Faut il organiser des départs en retraite anticipés pour ceux qui ont eu des métiers pénibles ? C’est une des revendications syndicales majeures sur ce dossier des retraites qui revient à l’ordre du jour du calendrier social. La réponse n’est évidemment pas simple, dans un contexte où la volonté gouvernementale est au contraire de prolonger les carrières.
Certains salariés seniors sont usés par une vie de travaux pénibles et ne souhaitent qu’une chose : prendre leur retraite. Plus encore, ils aimeraient partir suffisamment tôt pour pouvoir vivre quelques années de retraités en ayant la santé suffisante pour en profiter.
Il faut dire que la vie de certains « jeunes » retraités en pleine santé qui profitent à plein de leur temps libre fait des envieux. Même les seniors qui continuent à pointer à l’usine du coin et qui voient leurs anciens de quelques années, fatigués mais encore capables de jouer aux boules ou taper la belote sur la place du village, aimeraient évidemment en faire autant.
Au-delà du désir de chacun, il y a une réalité incontournable : ceux dont les métiers sont les plus pénibles sont aussi ceux qui ont l’espérance de vie la plus basse, la différence avec d’autres plus privilégiés se comptant en années.
En 2005, une étude de l’INSEE montrait que l’espérance de vie des ouvriers de 35 ans était inférieure de 7 ans à celle des hommes cadres, la différence n’étant que de 3 ans pour les mêmes catégories chez les femmes. L’étude montrait aussi que l’écart chez les hommes avait augmenté d’un an dans les 20 dernières années. On notera ici que ces différences ne s’expliquent qu’en partie par les conditions de travail, d’autres facteurs (appel à la médecine, hygiène, conditions de vie) jouant également leur rôle.
Des mesures ont été prises ici ou là pour que des salariés ayant vécu des conditions spécifiques puissent faire valoir plus tôt leur droit à la retraite.
Je suis bien placé pour citer le cas des mineurs de fond, qui bénéficiaient depuis longtemps de la retraite à 50 ans, puis qui ont connu dans les années 70 des départs pour 30 ans de fond, donc à 44 ans pour ceux (la plupart) qui avaient commencé à travailler à 14 ans. Il faut dire que leurs conditions de travail étaient particulièrement difficiles.
Plus près de nous, le décret amiante permettait à ceux qui avaient travaillé 30 ans sur un site à risque ou qui avaient développé une maladie professionnelle de partir à 50 ans, l’anticipation pour les autres par rapport aux 60 ans légaux étant égale à un tiers du temps passé en exposition au risque.
J’ai signalé le cas des personnels de la police, la gendarmerie ou de l'administration pénitentiaire qui bénéficient d’une année de boni pour 5 ans de travail. Eux ont la contrainte des horaires postés, parfois de nuit.
On notera cependant que jusque 2003, ceux qui avaient commencé à travailler avant 18 ans, se trouvaient partir en retraite à 60 ans avec plus de 42 ans de cotisations. Or, c’est principalement parmi ceux qui ont commencé tôt qu’on trouve les métiers les plus pénibles, concentrés sur les moins qualifiés.
La loi Fillon qui instaurait le départ anticipé (avant 60 ans) pour les carrières longues n’était donc que justice : merci la CFDT. Plus de 100 000 salariés en ont bénéficié tous les ans depuis, sauf en 2009 qui a vu les conséquences du rallongement de la durée de cotisation exigée.
Faut il aller plus loin ? C’est la demande syndicale aujourd’hui. Elle se heurte à deux difficultés
La première bien entendu est que l’heure n’est plus aux nouvelles mesures d’anticipation. Au mieux, on pourrait imaginer de ne pas prolonger la carrière de ceux qui ont eu un métier pénible, au moment où on prolongera les autres. Ce n’est évidemment pas une conquête qui permet aux syndicats de crier à la victoire !
La deuxième est d’évaluer la pénibilité, en particulier le long d’une carrière, quand beaucoup de salariés ont multiplié les employeurs. Il parait par exemple difficile de savoir combien de temps un salarié a occupé un poste de travail qui l’obligeait à avoir tel posture difficile. Par contre il est sans doute assez facile de savoir combien de temps on a eu des horaires postés, car il y en a une trace sur les fiches de paie.
On peut aussi se demander s’il faut tenir compte des postes tenus ou des conséquences observées (par exemple telle inaptitude ou maladie professionnelle). Le décret handicap prenait en compte les deux critères. Il est probable qu’il a bénéficié à des personnes réellement handicapées et à d’autres qui en fait n’avaient rien subi mais ne pouvaient techniquement être distinguées des premières. Dans les mines, la retraite à 50 ans profitait à celui qui avait travaillé au marteau piqueur comme à l’électromécanicien relativement protégé.
On verra ce qu’imaginent les partenaires sociaux, mais je ne suis pas très optimiste.
Sur ce sujet, je voudrais reprendre une étude du Centre d'analyse stratégique début 2007 que j’avais déjà citée. On y notait que les ouvriers quittent leur emploi près de 3 ans plus tôt que les cadres, à comparer avec le fait que les carrières ont souvent commencé plus tôt et à la différence d’espérance de vie.
On y notait aussi que quatre départs sur dix en fin de carrière se font de l’emploi vers d’autres dispositifs que la retraite. Le phénomène est en forte diminution cette année mais perdure évidemment. Les départs pour raison de santé (invalidité, maladie longue) étaient déjà en augmentation : il est probable que toute mesure pour réduire les autres dispositifs ou pour repousser l’âge de départ en retraite se traduira par une augmentation de ces départs pour raison de santé qui se chiffraient déjà à l’époque à plus de 70 000 par an.
La note évoquait 3 ensembles de métiers. D’abord ceux qui étaient en récession : 25% des quinquagénaires étaient concernés. Ensuite ceux où les sorties pour raison de santé sont fréquentes pour 30% des personnes et enfin ceux qui n’avaient aucun des deux problèmes précédents.
Dans cette dernière catégorie on trouvait à la fois des familles professionnelles où l’âge de départ est élevé et d’autres où cet âge est bas. Ce sont normalement ces derniers qui devraient être visés prioritairement par un allongement de la carrière…
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