Un ouvrier du bâtiment, ayant commencé à travailler à 14 ans, et usé à 52 ans, ne peut envisager le choix de la date de départ en retraite comme un cadre ayant commencé à travailler à 24 ans et en pleine santé à 58 ans. Si on veut augmenter le taux d’activité des 55/64 ans, il faut s’appuyer sur une typologie des situations des quinquagénaires, ce que je n’avais pas fait jusqu’à présent.
Une de mes collègues me permet de remédier à cette insuffisance, en me faisant découvrir une étude déjà ancienne, puisqu’elle a fait l’objet d’une publication par le Conseil d’Analyse Stratégique, dans sa note de veille de janvier 2007.
L’étude fait apparaître trois grandes catégories de seniors :
Ceux qui sont sur des emplois en récession, soit 25% : les entreprises souhaitent les voir partir en retraite pour supprimer ces emplois. Ils sont souvent peu qualifiés
Ceux qui ont des métiers où les sorties pour raison de santé sont fréquentes soit environ 30%
Ceux qui sont sur les autres métiers, stables ou en développement, et sans impacts majeurs pour la santé, soit 40%
Le solde correspond notamment à des femmes qui ont une longue interruption d’activité et prolongent leur activité pour s’assurer une pension.
Les entreprises ont profité des mécanismes de pré retraites (ou ceux de la dispense de recherche d’emploi), pour faire partir prématurément ceux qui étaient dans le premier cas, sans faire l’effort de chercher à les reconvertir. On trouve aussi probablement dans cette catégorie un nombre important de salariés pouvant justifier de carrières longues, pour avoir commencé à cotiser à 14 ans ou guère plus tard. La seule solution pour retarder leur âge de départ en retraite est d’organiser leur reconversion en deuxième partie de carrière.
Dans les filières en régression (le textile en a été un bel exemple), la reconversion ne peut se faire que en dehors de l’entreprise. La mise en place d’outils de reconnaissance des compétences (comme le certificat de qualification interprofessionnelle dans le textile) est un moyen de faciliter cette reconversion, qui demande de mettre en place des moyens assez importants de formation.
On trouve aussi des métiers en régression dans des secteurs qui ne le sont pas (l’étude cite le cas des secrétaires). Il s’agit alors d’organiser le reclassement interne. Ainsi une banque voulait réduire de moitié son effectif de service généraux alors que dans le même temps,elle voulait recruter fortement des conseillers de clientèle gestion privée ( haut de gamme). Une solution alternative (sans doute moins chère mais plus compliquée à mettre en œuvre) consistait à reconvertir les salariés en sur effectif en agent d’accueil dans les agences, à condition de faire un effort important de promotion des agents d’accueil existants vers l'emploi de conseiller de clientèle particuliers, des conseillers de clientèle particuliers vers les conseillers de clientèle professionnelle et ces derniers vers les conseillers de clientèle gestion privée.
La deuxième situation renvoie aux conditions de travail. Les départs pour raison de santé (invalidité, congé longue maladie) étaient environ au nombre de 45 000 par an entre 1994 et 1997 mais ils sont montés à 70 000 environ en 2001/ 2005. cette augmentation ne reflète pas forcément une dégradation des conditions de travail dans les dernières décennies mais plus probablement une meilleure reconnaissance des inaptitudes et maladies professionnelles(même s’il y a encore à faire dans ce domaine voir ici) : le départ anticipé des travailleurs ayant été en contact de l’amiante a été organisé par un décret de 1999.
Les conditions de travail peuvent être encore dures, mais la tendance générale est à l’amélioration. Il est de plus en plus rare de trouver les conditions abominables qui existaient encore au début de ma carrière. Renault dispose depuis longtemps d’une équipe d’ergonomes et Peugeot s’y est mis très sérieusement sous l’impulsion de JM Folz. Dans le bâtiment, on a fait passer les sacs de ciment ou de sable de 50 à 35kg. Il est évidemment impératif de continuer à faire des progrès. A noter qu’il y a un domaine où l’on ne va pas dans le sens d’une amélioration des conditions de travail : celui du travail en équipes ou de nuit. Le nombre de salariés soumis au travail posté à doublé depuis 30 ans.
Pour ceux déjà victimes d’usure prématurée, la question du reclassement se pose de nouveau. Les rationalisations de l’organisation effectuées depuis des décennies ont supprimé la plupart des postes dans lesquels on mettait autrefois les gens usés. Le reclassement suppose donc une fois de plus un réel effort de reconversion et de formation.
On trouve dans la troisième situation 40% des seniors mais 80% des cadres et 60% des professions intermédiaires. Mais cette situation recouvre en fait deux populations : des salariés qui partent déjà à un âge relativement élevé, et d’autres qui partent au contraire de manière prématurée.
Pour les premiers, il s’agit de personnels souvent diplômés, dont on peut penser qu’ils sont satisfaits de leur emploi et en bonne santé : interrogés sur leurs intentions de départ à la retraite, ils souhaitent d’ores et déjà retarder leur âge de départ.
Les seconds appartiennent soit à des grandes entreprises publiques au régime de départ très favorable, soit à des secteurs qui ont connu des plans de retraite récurrents. Ils se sont depuis longtemps installé dans l’idée d’un départ précoce : ils ont du mal à abandonner (ou à repousser à plus tard) le rêve de passer du statut de vieux travailleur à celui de jeune retraité.
Ce sont eux les premières cibles des évolutions législatives qui ont rendu financièrement plus intéressants de repousser l’âge de son départ. Ce sont eux qui sont les premiers concernés par ce que j’écrivais dans mes propositions pour les seniors.
On notera cependant au final que la question du changement d’amploi en deuxième partie de carrière est majeure quelque soit la situation, ce qui me permet de persister dans mes propositions, tout en en affinant la justification !
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