La liste Europe Ecologie d’Ile de France propose parmi les mesures phares de sa campagne une réduction des prix pour les usagers banlieusards des transports en commun,à travers la suppression du système des zones. On peut se demander si cette mesure est vraiment écologique et sociale.
Rappelons pour les non
franciliens le principe du forfait navigo. La région parisienne est divisée en 6 zones concentriques autour de Paris, cette ville composant à peu près la première zone,
la sixième étant la plus éloignée de la capitale. Des abonnements sont proposés
à ceux qui empruntent tous les jours les transports en commun, le prix de
l’abonnement augmentant en fonction du nombre de zones couvertes.
Un parisien qui ne fréquente que
le métro et les stations de RER les plus proches (comme le Défense qui est en
zone 2) paye pour la zone 1 et 2 soit 56,60 euros par mois. Un lycéen habitant
en zone 5 ou 6 va probablement se rendre à son lycée avec un abonnement zone 5
et 6 à 51,10 euros par mois. Mais un grand banlieusard qui travaille à
Paris ou en proche banlieue devra prendre un abonnement toutes zones à 123,60
euros par mois.
Les franciliens sont nombreux à utiliser les transports en commun : fin janvier 2009, il y a avait plus de 4.5 millions de passe navigo en circulation.
L’ensemble des dépenses en 2008 pour le fonctionnement des
transports publics en Ile-de-France s’élève à 7,4 Milliards d’€. dont 3,1 (soit
42%) payés par les usagers, 3 par les employeurs (publics ou privés) à travers
le versement transport et 1,3 par les diverses collectivités concernées (région
pour la moitié, ville de Paris etc.).
Les salariés se font rembourser la moitié du prix de leur
abonnement par leur employeur (qui paye donc 2 fois s’il a plus de 9 salariés,
d’abord par le versement transport puis par le remboursement au salarié).
La liste écologique propose donc d’unifier les tarifs
d’abonnement quelque soit la zone. La première idée consistait à porter ce
tarif à 65 euros, ce qui représentait une hausse pour certains et un coût
chiffré à 150 M € environ. La campagne
et la surenchère du front de gauche
aidant, le prix proposé sera probablement au niveau de celui versé par
les parisiens (soit 56.60 euros par mois) ce qui représenterait un surcoût de
l’ordre de 400 M €.
Elle met en avant une mesure « sociale » et
considère qu’elle va permettre de diminuer les déplacements par voiture ce qui
en fait une mesure écologique.
L’argument social est assez "intéressant", puisqu’il s’agirait de baisser la contribution de « ceux qui ont moins » pour augmenter celle de « ceux qui ont plus », la richesse de ces derniers (d’abord les parisiens) se mesurant en diversité de l’offre de transport. On comprendra que la tarification actuelle pénalise ceux qui utilisent le transport sur la plus grande distance, même si on n’est pas à une tarification au kilomètre parcouru.
Le PS et l’UMP ripostent en faisant observer que le transfert voiture vers transports en commun sera très faible car les transports sont actuellement saturés mais que le coût de l’opération diminuera les moyens d’investissement du STIF.
Analysons les conséquences éventuelles d’un telle mesure
A court terme, la mesure favorise certains ménages (ceux
qui habitent en banlieue et surtout en grand banlieue, peut être les
entreprises dont ils sont salariés, et désavantage le STIF.
Y a-t-il d’autres effets ? Qualitativement, on peut en citer deux :
D’abord, la baisse du prix peut entraîner des reports de
la voiture vers les transports en commun
Ensuite, la baisse du prix en grande banlieue peut rendre
plus attrayant le fait d’habiter loin et donc favoriser une déconcentration de
l’habitat dont on peut penser que l’effet sur la production de CO2 n’est pas
favorable.
Il est évidemment difficile de mesurer quantitativement
l’impact de cette mesure sans disposer des études sur les déplacements actuels,
études qui existent probablement : la baisse du prix va-t-elle faire changer
quelques personnes ou plusieurs milliers voire dizaines ou centaines de
milliers ?
Un grand banlieusard dont la contribution mensuelle
passerait de 123, 6 euros à 56,6 euros
verrait sa dépense diminuer de la moitié de 67 euros s’il est salarié, soit
33,5 € par mois. Si on estime à 0,3 € le km parcouru en voiture et à 20 le
nombre de jours mensuels travaillés, le gain correspond à 11 km journaliers en
voiture. La distance parcourue en voiture pour aller de la zone 6 à Paris et
retour est très largement supérieure à ce montant.
Ce n’est donc pas pour une motivation économique qu’un banlieusard évite les transports en commun Je connais des banlieusards qui préfèrent la voiture alors qu’ils ont une possibilité plus rapide avec un RER ; mais ceux là ont suffisamment de moyens pour que le choix de leur mode de transport ne dépende pas d’un prix d’abonnement à 56 ou 123 euros.
Les autres prennent simplement leur voiture parce qu’ils
ne peuvent guère faire autre ment, faute d’une offre de transport satisfaisante
pour aller de chez eux à leur lieu de travail : de nombreux déplacements
se font de banlieue à banlieue et là c’est souvent la galère
De la même manière, quels sont les mouvements de
construction et de migration internes actuels? Ce qui est sur, c’est que les
départements de la Seine et Marne et de l’Essonne sont en augmentation de
population rapide ! Faut il encourager cette augmentation ?
En fait, dans les deux cas et sans avoir les dites études
à disposition, mon avis est que les leviers importants sont ailleurs :
dans le développement de l’offre de transport d’une part, dans la politique
immobilière en proche banlieue d’autre part.
Pour mémoire, le métro périphérique imaginée par l’équipe de Christian Blanc vise 3 millions de déplacements journaliers, pour une partie importante de banlieue à banlieue.
Si on ne veut pas miter encore plus le territoire
francilien, il faut augmenter la densité dans la proche banlieue, ce qui n’est
possible que si le réseau de transport fait l’objet des investissements adaptés
Il est vrai qu’il est plus facile en démocratie de promettre des avantages immédiats, même s’ils obèrent l’avenir, que de s’engager dans des investissements qui ne feront effet que dans 10 ou 15 ans, même s’ils sont en fait indispensables. Pourtant, certains n'ont que le mot développement durable à la bouche !
Revenons pour finir à la manière dont la liste écologie a
qualifié sa mesure de sociale.
Il est un fait que la situation des transports en commun
n’est pas identique dans toutes les parties du territoire de l’Ile de France.
Dans la partie centrale de Paris, celle qui est délimitée par les lignes 2 et 6, on peut se retrouver à proximité de plusieurs lignes de métro (3 ou 4) et de
nombreuses lignes de bus.
Au-delà, dans la partie extérieure de Paris mais aussi dans de nombreuses villes proches (Neuilly, Vincennes, Bagnolet, Levallois, Bobigny, Pantin, etc.) l’accès se limite à une ou parfois deux lignes de métro. Au-delà encore, il y a les villes qui ont une gare RER et celles qui n’en ont pas. Le nombre de cités d’où on ne peut rejoindre un RER qu’en prenant sa voiture augmente quand on s’éloigne de Paris.
L’une des conséquences
de cette situation est que les prix du logement sont plus faibles quand les transports en
commun sont moins accessibles. Ceux qui s’installent à tel ou tel endroit font
un choix guidé par leurs contraintes personnelles, en particulier économiques.
On peut imaginer d’unifier de la même manière toutes les
conditions économiques, en commençant par le prix du logement : cela
conduirait à fausser complètement le marché. La mesure d’unification des prix
du transport fausse les logiques économiques de coût pour finalement inciter à
des choix non écologiques (le fait de changer de logement pour aller plus loin
de son travail, si tant est que le montant de la réduction soit incitatif).
Il en est de cette mesure comme d’autres consistant à
conserver les services publics dans les zones qui se dépeuplent : ce genre
de conservatisme se fait au dépens des zones en forte croissance qui ont un
taux de service public faible. C’est ainsi que ma fille, prof dans une ZEP de
la région parisienne, se retrouve dans un collège dont le nombre d’élèves
augmente mais pas les salles de classe (le département suggère de couper les
salles en deux !).
La mesure proposée par les écologistes est du même tonneau : sous prétexte de favoriser ceux qui ont peu de transport, c'est-à-dire ceux qui ont fait un choix peu écologique, elle enlève les moyens de financer l’augmentation de l’offre. Dans le temps, on appelait cela une politique de gribouille.
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