La société Manpower se voit reprocher par Le Parisien les marges qu’elle réalise en accompagnant les chômeurs pour Pôle Emploi. L’attaque est d’autant plus injuste que l’entreprise a plutôt cassé les prix pour compenser la baisse de charge de ses agences. Mais le mal est fait, malgré la mise au point de la présidente de Manpower France sur son blog.
Il y a plusieurs années, l’UNEDIC a demandé à des cabinets privés d’aider certains chômeurs a retrouver un emploi. Les cabinets sélectionnés avaient l’habitude d’accompagner des chercheurs d’emploi pour le compte d’entreprises les ayant licenciées, dans le cadre de PSE (Plan de Sauvegarde de l’Emploi).
L’objectif affiché était de faire
des économies sur le coût des indemnités de licenciement. Les chômeurs
concernés étaient sélectionnés sur leur probabilité plus forte que la moyenne a
devenir chômeur de longue durée. L’idée était d’adapter les modalités
d’accompagnement à ces situations, ce qu’on appelle le profilage dans d’autres
pays qui le pratiquent couramment. Un objectif complémentaire non affiché mais
probable était de faire pression sur l’ANPE pour qu’elle revoit et améliore ses
modes de fonctionnement.
La démarche avait fait l’objet de
polémiques, tant sur son coût (nettement plus élevé par personne accompagnée
que dans le cas de l’ANPE) que sur ses résultats (présentés par l’ANPE comme
guère différents des siens), la comparaison étant difficile en raison des
critères de tri, sans compter les hétérogénéités des situations (les taux de
reclassement à 6 mois de l’ANPE sont deux fois plus faibles à Paris que dans
l’Essonne par exemple).
Les contrats arrivant à terme et les deux structures ayant fusionné dans Pôle Emploi, cet organisme a lancé au printemps un nouvel appel d’offres pour un nombre nettement augmenté de personnes à accompagner. Et Manpower a gagné un nombre conséquent de lots.
Pourquoi ce nouvel appel d’offres ? Les agents de l’ANPE, dirigeants compris, ne devaient pas voir spécialement d’un bon œil l’appel à des candidats privés. Mais Pôle Emploi, après la fusion, s’est trouvé confronté, non seulement aux difficultés de celle-ci, mais à la montée très rapide du chômage avec la crise. Du coup, même avec les nombreuses embauches réalisées, l’appel au soutien du privé pour une proportion même relativement faible des chômeurs n’était pas à négliger.
Il est
cependant à noter,d’autant plus ici que c’est le cœur du sujet des articles du
Parisien et de Françoise GRI, que Pôle Emploi a modifié les règles de
facturation adoptées par l’UNEDIC. Celles-ci consistaient en effet à payer 1/3
du prix par candidat à l’inscription, 1/3 en cas de retour à un emploi durable
(CDI ou CDD d’au moins 6 mois) et 1/3, 6 mois après si le bénéficiaire est
toujours dans l’emploi.
Comme l’explique Françoise GRI,
la répartition est maintenant de 50, 25 et 25%. Au passage, remarquons qu’il
s’agit d’un choix de Pôle emploi et non de ses fournisseurs comme le suggère Le
Parisien » :
Dès que ce projet a été bâti avec le chômeur (dans les sept à cinquante-six jours après l’inscription au chômage), Manpower facture 50 % de la somme à Pôle emploi et est dès lors assuré d’être bénéficiaire. « Autrement dit, ils gagnent de l’argent même s’ils ne trouvent pas d’emploi aux chômeurs », s’irrite un concurrent
On se demande si le journaliste a
bien compris les propos du « concurrent » !
La répartition précédente était
coûteuse en trésorerie pour les cabinets en reclassement. Mais la nouvelle
répartition peut inciter les moins sérieux à privilégier les inscriptions
plutôt que la recherche de résultats !
Pourquoi dépenser beaucoup d’énergie pour des chômeurs alors que moins de la moitié (peut être nettement moins dans cette période de crise) trouveront un emploi durable dans le délai de 6 mois ? Il vaut mieux réduire les dépenses au minimum, se concentrer sur les candidats détectés comme ayant le plus de chance de sortir rapidement du dispositif, et accompagner les autres au minimum !
Le document mis en avant par le Parisien donne le sentiment que Manpower a adopté ce comportement cynique. C’est pourtant peu probable, l’entreprise ne peut s’en doute pas se le permettre pour son image.
Il n’est pas sûr que tous les autres
attributaires agiront de la même manière. Non pas parce qu’ils sont cyniques.
Mais parce que les conditions financières sont telles que certains, en
particulier les plus petits, n’auront sans doute pas d’autres choix pour
survivre, quand Manpower a les reins suffisamment solides.
On peut imaginer que les sociétés d’intérim, confrontées à un recul sans précédent de leur charge de travail, n’ont pas voulu fermer des agences ou licencier des salariés, pour préserver leur capacité à rebondir en sortie de crise. Répondre à l’appel d’offres de Pôle emploi était un moyen d’engranger des recettes, quitte à ne pas couvrir tous les frais. C’est le raisonnement par le coût de la décision : les dépenses liées au contrat sont supérieures aux recettes, mais si on fait abstraction des dépenses qui auraient eu lieu de toutes manières, l‘opération est rentable.
Du coup, les grands de l’intérim
ont pris la place d’une société comme Ingéus, la première a travailler pour
l’UNEDIC il y a quelques années : cette dernière n’a pu suivre la division
par deux des prix !
Il est probable que le document présenté par la direction de Manpower à son CCE avait pour but d’expliquer que l’opération était un bon choix, malgré les prix proposés. Mais de la même manière qu’elle n’a pas souligné (on se demande pourquoi) l’erreur du Parisien sur l’origine du mode de facturation, la présidente de Manpower n’a pas été jusqu’à expliquer sur son blog qu’elle travaille en fait à perte.
Pour finir, notons que les petits cabinets qui ont cassé les prix sont en train d’essayer d’embaucher des conseillers avec des bas salaires (on m’a parlé de 1600 euros par mois pour un bac+5) pour s’en sortir. Et notons aussi que Françoise GRI n’a pour l’instant trouvé personne pour parler avec elle du sujet sur son blog comme elle le propose. Je serais peut être le premier !
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