Dans ce monde où la corruption des valeurs morales étend chaque jour davantage son empire, une phrase de la nécrologie du dessinateur Jacques Martin dans le Monde me laisse pantois. Au-delà de l’opinion qu’on peut avoir sur les aventures dessinées d’Alix, il y a une confusion surprenante dans le vocabulaire du journaliste.
Jacques Martin était considéré
comme un des trois grands géants de l’école belge de bandes dessinées, avec
Hergé et Jacobs (le créateur de Blake et Mortimer). Membre du studio Hergé
pendant longtemps, il a lancé de nombreuses séries dont notamment celle d’Alix
et celle de Guy Lefranc. Son dessin, typique de la ligne claire, est de très grande
qualité et basé sur une forte documentation (les aventures d’Alix se déroulent
dans le monde antique, à l’époque de Jules César).
Il se trouve que j’ai depuis très
longtemps trouvé ces séries malsaines, sans être capable de mettre une raison précise sur ce qui est d’abord une intuition, que je n’ai guère fait l’effort
d’approfondir, me contentant de me tenir à l’écart de ces œuvres dont je n’ai
lu que quelques titres.
J’ai eu l’occasion il y a plusieurs décennies de discuter avec un grand admirateur des séries de Jacques Martin, que je trouvais aussi intuitivement pas clair (et j’ai appris ensuite que mon intuition était plus fondée que je l’imaginais). Celui-ci trouvait que le véritable héros des aventures de Lefranc n’était pas ce dernier, mais son adversaire récurrent, Axel Borg. Il se trouve que Alix a également un adversaire récurrent mais cette caractéristique ne peut en soi être reprochée à un auteur de série. L’adversaire récurrent, c’est aussi bien pratique pour n’avoir pas à inventer un nouveau personnage, son physique, son histoire etc. De là à en faire un héros…
Ce que dit Wikipédia sur l’auteur
explique peut être mon sentiment : « La dissimulation comme
système, l'expérience de la pire violence et de la volonté de pouvoir, le
courage face à l'injustice, l'amour brimé, ainsi qu'un profond humanisme sont
parmi les grands thèmes de son œuvre »
Je n’ai pas assez lu ces aventures pour repérer « le profond humanisme » mais il est possible que les trois premiers points aient participé à mon ressenti.
J’étais donc curieux de savoir ce
qu’en dirait mon journal préféré qui a consacré une page entière à l’auteur
dans son édition du week-end. Et je suis tombé sur ces phrases :
« Plus tard, les seins nus d’une héroïne, l’amour d’une femme de 40 ans
pour Alix,ou encore le fait que Jeanjean, jeune compagnon de Lefranc n’aille jamais
à l’école, irritent les bonnes consciences. ..L’homosexualité supposée du
couple Alix-Enak et Lefranc-Jeanjean aussi. »
On a bien lu homosexualité là où je voyais plutôt de la pédophilie. J’ai donc recherché la définition de ce dernier mot et j’ai trouvé ceci :
La pédophilie désigne une
préférence sexuelle d'un adulte envers les enfants
pré pubères
ou en début de puberté.
Toujours sur Wikipédia, Enak est
présenté comme l’amant de 14 ans de Alix (qui est bien un adulte). Le dessin
comme l’âge ici cité font plus référence à un adolescent en début de puberté
qu’à un enfant. Il n’en est pas de même pour Jeanjean qui est lui (au moins
dans l’aventure que j’ai lu c'est-à-dire la première) clairement un enfant face
à l’adulte Lefranc.
C’est donc bien la pédophilie et
non l’homosexualité qu’aurait du évoquer le journaliste, quitte à récuser
l’accusation.
Le choix n’est évidemment pas neutre : s’il s’agit d’évoquer l’homosexualité (de manière implicite car comme le dit l’article, l’auteur se défend d’avoir dessiné des scènes de ce type), il est possible de renvoyer ceux qui y voient mal au terme de « bonnes consciences » elles même condamnables pour leur intolérance. S’il s’agit de pédophilie, entre les héros, donc des personnages valorisés, on se trouve face à un comportement aujourd’hui mis au sommet des crimes (comme l’était au 19ème siècle le parricide).
Il est vrai que dans un monde où un ministre de la culture veut protéger, parce que c’est un artiste, un Polanski soupçonné d’avoir violé une jeune fille de 13 ans (probablement plus une enfant pré pubère, mais ayant 13 ans quand lui en avait 46) il faut s’attendre à tout !
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