Le Monde de l’économie titrait mardi dernier sur « un million de chômeurs en fin de droits ». J’avais trouvé l’éditorial un peu tendancieux mais pas le temps de creuser plus avant. Depuis, les informations parues un peu partout montrent évidemment une situation un peu plus complexe qu’un simple titre ne peut l’exprimer.
De quoi parle t-on ?
Il faut rappeler pour la compréhension du problème, que
l’indemnisation du chômage par les Assedics (aujourd’hui par pôle emploi) ne
relève pas de la solidarité nationale mais d’un système d’assurance : ce
sont ceux qui ont cotisé qui peuvent en
bénéficier. En sont donc exclus les jeunes qui n’ont jamais travaillé ou les
gérants d’entreprises et les indépendants.
La situation est assez semblable à celle des retraites :
celles-ci ne vont pas à ceux qui ont dépassé un certain âge mais à ceux qui ont
cotisé. Comme pour les retraites, les caisses de solidarité ne peuvent
distribuer de l’argent que dans la mesure où elles reçoivent des cotisations.
Si elles veulent augmenter les avantages ou faire face à une augmentation des
ayants droits, elles doivent augmenter les cotisations des salariés en place.
Vérification faite sur ma feuille
de paie de décembre, on est à 95% du montant net (le taux n’est pas uniforme
selon les salariés et les entreprises mais les différences sont assez faibles,
sauf pour les salariés bénéficiant d’aides spécifiques).
Je pourrais donc dire en simplifiant que je travaille à mi temps
pour moi (et l’Etat car je verserai des impôts sur mes revenus) et à moitié
pour des caisses de Sécurité Sociale, qui m’assurent en contrepartie un salaire
différé si je deviens chômeur ou retraité et me remboursent (en partie) mes
dépenses santé.
Il est donc très difficile
aujourd’hui d’augmenter les cotisations, comme cela a été fait
régulièrement de 1945 jusque vers 1990. Le Medef pousse au contraire à les
baisser.
La convention chômage fixe donc les conditions d’indemnisation
des chômeurs, conditions qui portent sur la durée de cotisation préalable, le
montant des prestations et la durée de celle-ci.
Cette convention avait diminué à 4 mois la durée minimale pour
avoir droit au chômage et harmonisé des règles qui dépendaient des catégories
pour adopter celle simple d’une durée des droits égales à la durée des
cotisations, avec une limite à 24 mois avant 50 ans et 36 mois après, ce qui
était défavorable dans certains cas.
Donc, certains chômeurs n’ont pas droit aux indemnités (dites
allocations d’aide au retour à l’emploi) versées par les Assedics hier, Pôle
emploi aujourd’hui
Ceux qui n’ont
pas encore (ou peu) travaillé, les jeunes essentiellement
Ceux qui ont eu
un travail mais n’ont pas cotisé à cette caisse (les non salariés
essentiellement)
Ceux qui viennent de perdre leur emploi, pendant une période ou
l’indemnité est différée pour tenir compte de primes versées lors du départ
(CP, indemnités de licenciement supérieures à l’indemnité légale etc.). Le
délai ne peut être différé de plus de 75 jours
Ceux qui ont épuisé leurs droits aux allocations : c’est de
ces cas là qu’il est question dans cet article
Quels mouvements de main d’œuvre ?
En 2007, les 46 entrées (pour 100 salariés) se répartissaient en
12.7 CDI, 31.3 CDD et 3.3 intérimaires.
Les 45 sorties se répartissaient en 26.4 fin de CDD, 8.2
démissions, 0.6 licenciements économiques, 2.6 autres licenciements, 2 fin de
période d’essai et 1.5 départ en retraite.
Le taux de sortie (le taux d’entrée suit bien sûr les mêmes
grandes évolutions) a augmenté progressivement entre 1980 et 2200. Il était
d’environ 32% en 1996 et il a approché les 40% en 2000, pour rester à peu près
stable jusqu’en 2006, avant de connaître une nouvelle hausse. A partir de la mi
2008, il a baissé (les démissions diminuent, les CDD et donc leurs sorties
aussi).
Le taux de rotation évolue beaucoup avec l’âge, ce qui reflète la
segmentation du marché du travail. En 2008, il était de 101% pour les moins de
30 ans, de 30 entre 30 et 49 ans et de 24 pour les 50 ans et plus.
Il est également très différent selon le sexe, l’une des raisons
étant que ce taux est nettement plus faible dans l’industrie et la construction
(secteurs masculins) que dans le tertiaire : toujours en 2008, 60.1 pour
les femmes et 36.6 % pour les hommes !
A partir du moment où les droits sont limités dans le temps,
certains chômeurs arrivent en fin de droit.
Le nombre de 1 million de fin de droits en 2010 est une
estimation du service d’études de Pôle emploi. Il faut souligner pour la bonne
compréhension qu’il ne s’agit pas de 1 millions de personnes qui perdent leur
droits en décembre 2010, mais du total cumulé de tous ceux qui ont perdus leurs
droits le long de l’année (une personne pouvant même être dans ce cas plusieurs
fois dans l’année).
Les articles du Monde de l’économie citaient le nombre de
800 000 fin de droits "en année ordinaire". Ils auraient été 850 000 en 2009 et un
peu moins de 800 000 en 2008. Évidemment, tous ces cas ne se sont pas
accumulées : une personne en fin de droit, surtout si elle est jeune (et
n’avait donc que peu de droits) peut avoir retrouvé du travail dans les
semaines qui suivent la fin de ses droits. Parmi les plus âgées, on trouve
aussi ceux qui arrivent à l’âge de la retraite. Leur nombre est loin d’être
négligeable puisque jusqu’en 2009, il y avait plus de 100 000 personnes qui,
tous les ans, étaient dispensées de recherche d’emploi.
L’augmentation prévue en 2010 résulte d’une part de la crise (et
de la difficulté pour les chômeurs à retrouver un emploi) et probablement du
changement de règles établi par la nouvelle convention signée début 2009. la
CFDT, seule signataire à l’époque, fait remarquer que les règles plus
favorables à l’entrée en droit se traduisent mécaniquement par plus de sorties
et demande qu’une analyse plus fine des raisons de sorties de droits soit
faite.
Un éditorial tendancieux.
Comme je le disais en introduction, j’avais trouvé l’éditorial du
Monde de l’économie un peu tendancieux. La relecture confirme cette impression.
L’article parle de « bombe sociale », expression
attribuée aux syndicats, mais qui a un effet trompeur sur la situation :
il ne s’agit pas d’un mécanisme soudain comme le suggère le mot explosion, mais
d’un flux continu.
L’article commence par incriminer la volonté « des
économistes et des entreprises » de rendre le marché du travail plus
flexible. On a vu plus haut qu’il y a là une tendance profonde depuis des
décennies. Comme le note Eric Maurin dans "la peur du déclassement", la durée de
chômage est deux fois plus longue chez nous que dans d’autres pays, pour un
taux de chômage comparable, parce que le risque est très inégalitairement
partagé.
L’article continue en affirmant « Les réformes ont
donc privilégié, par des allégements de charges, les contrats à durée
déterminée. » Cette lecture fait supposer que des allégements de
charge ont été accordés à condition que l’embauche se fasse en CDD. Mais quand
on va lire l’article sur les 800 000 embauches exonérées de charges en 2009, on
découvre que 59% se sont faites en CDD. Donc ce n’était pas le critère
d’attribution. Et c’est moins que la proportion des CDD dans les entrées, qui
est de 68% environ en 2008 (voir plus haut) !
Ne
disons rien bien sûr de la présentation de l’évolution des règles d’attribution
résumée au fait qu’elles ont été « durcies ».
Rien ne lasse penser
dans l’éditorial que des fins de droits existaient déjà avant la crise, même si
on trouve dans un autre article le chiffre de 800 000 en temps ordinaire.
Il
parait pourtant facile d’imaginer qu’en période de crise, le nombre de chômeurs
de longue durée et donc de fin de droits augmente. Il est donc pertinent d'examiner la possibilité de revoir certains critères d'attribution, ceux de l'allocation spécifique par exemple. A la limite et vue la
violence de la crise, on aurait pu s’attendre à une accélération beaucoup plus
forte : il n’est pas illégitime de noter que nos mécanismes de protection
sociale ont véritablement un effet atténuateur de la crise !
Mais comme chacun sait, qui veut tuer son chien…
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